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Dont Phorbas an retour voulut cacher fa honte.

Cette petite tromperie de Phorbas devoit-elle être le nœud de la Tragedie d'Oedipe Il s'eft. pourtant trouvé des gens qui ont admiré cette puerilité; & un homme diftingué à la Cour par fon efprit m'a dit que c'étoit là le plus bel en

droit de Corneille.

Au cinquiéme Acte Oedipe, honteux d'avoir époufé la veuve d'un Rei qu'il a maffacré, dir qu'il veut fe bannir & retourner à Corinthe; & cependant il envoye chercher Thefée & Dircé,

Pour lire dans leur ame

S'ils prêteroient la main à quelque fourde tra

Et

me.

que lui importent les fourdes trames de Dircé, & les pretentions de cette Princeffe fur une couronne à laquelle il renonce pour jamais ?

Enfin il me paroît qu'Oedipe aprend avec trop de froideur fon affreufe avanture. Je fçai qu'il n'eft point coupable, & que fa vertu peut le confoler d'un crime involontaire : mais s'il a affés defermeté dans l'efprit pour fentir qu'il n'eft que malheureux, doit-il fe punir de fon malheur & s'il eft affés furieux & affés defefperé pour fe crever les yeux, doit-il être affés froid pour dire à Dircé dans un moment fi terrible?

Votre frere eft connu, vous le fçavés, Madame,
Votre amour pour Thesée eft dans un plein repos.

Hela qu'on dit bien vrai, qu'en vain on s'imagine
Dérober notre vie à ce qu'il nous deftine.

Doit-il refter fur le Theatre à debiter plus de quatre-vingt vers avec Dircé & Thesée : qui font deux étrangers pour lui, tandis que Jocafte fa femme & fa mere ne fçait encore rien de fon avanture, & ne paroît pas même fur la Scene.

Voila à peu près les principaux défauts que j'ai crû apercevoir dans l'Oedipe de Corneille. Je m'abuse peut-être mais je parle de fes fautes avec la même fincerité que j'admire les beautés qui y font répandues ; & quoique les beaux morceaux de cette Piece me paroiffent trés-inferieurs aux grands traits de fes autres Tragedies, je def efpere pourtant de les égaler jamais : car ce grand homme eft toûjours au - deffus des autres même qu'il n'eft pas entierement égal à lui-mê

me.

lors

Je ne parle point de la verfification; on fçait qu'il n'a jamais fait de vers fi foibles & fi indignes de la Tragedie. En effet, Corneille ne connoiffoit gueres la mediocrité, & il tomboit dans le bas avec la même facilité qu'il s'élevoit au fublime.

J'efpere que vous me pardonnerés, M. la temerité avec laquelle je parle ; fi pourtant c'en eft une de trouver mauvais ce qui eft mauvais, & de refpecter le nom de l'auteur fans en être l'efclave.

Et quelles fautes voudroit-on que l'on relevât ? Seroit-ce celles des Auteurs mediocres, dont on ignore tout jufqu'aux défauts ? C'eft fur les imperfections des grands hommes qu'il faut attacher fa critique; car fi le préjugé nous faifoit admirer leurs fautes, bientôt nous les imiterions, & il se trouveroit peut-être que nous n'aurions pris de ces celebres Ecrivains que l'exemple de mal

faire.

CINQUIEME LETTRE,

QUI CONTIENT

LA CRITIQUE

DU NOUVEL OEDIPE.

M.

Me voila enfin parvenu à la partie de ma differtation la plus aifee, c'est à dire à la critique de mon ouvrage ; & pour ne point perdre de tems, je commencerai par le premier défaut, qui est celui du fujet. Regulierement, la Piece d'Oedipe devroit finir au premier Acte. Il n'eft pas naturel qu'Oedipe ignore comment fon predeceffeur eft mort. Sophocle ne s'eft point mis du tout en peine de corriger cette faute. Corneille en voulant la fauver a fait encore plus mal que Sophocle, & je n'ai pas mieux reüffi qu'eux. Oedipe chés moi parle ainfi à Jocaste :

༤.;,

On m'avoit toûjours dit que ce fut un Thebaix
Qui leva fur fon Prince une coupable main.
Pour moi qui fur fon Trône élevé par vous-même,
Deux ans aprés fa mort ai ceint fon diadême » ·

Madame, jufqu'ici respectant vos douleurs,
Je n'ai point rapellé le fujet de vos pleurs,
Et de vos feuls perils chaque jour alarmée,
Mon ame à d'autres foins fembloit être fermée.

. Ce compliment ne me paroît point une excuse
valable de l'ignorance d'Oedipe. La crainte de dé
plaire à fa femme en lui parlant de la mort de fon
premier mari, ne doit point du tout l'empêcher
de s'informer des circonftances de la mort de fon
predeceffeur. C'eft avoir trop de difcretion, &
trop peu de curiofité; il ne lui eft pas permis non
plus de ne point fçavoir l'hiftoire de Phorbas. Un
Miniftre d'Etat ne fçauroit jamais être un homme
affés obfcur pour être en prifon plufieurs années
fans qu'on n'en fçache rien. Jocate a beau dire:
Dans un château voifin conduit fecretement,
Ze dérobai fa tête à leur emportement.

On voit bien que ces deux vers ne font mis que pour prévenir la critique; c'eft une faute qu'on tâche de déguifer, mais qui n'en eft moins faute.

pas

Voici un défaut plus confiderable, qui n'eft pas du fujet, & dont je fuis feul refponfable. C'est le perfonnage de Philoctete. Il femble qu'il ne foit venu en Thebe que pour y être accufé; encore eftil foupçonné peut-être un peu legerement. Il ar rive au premier Acte, & s'en retourne au troifié me. On ne parle de lui que dans les trois premiers Actes, & on n'en dit pas un feul mot dans les deux derniers. Il contribue un peu au nœud de la Piece! & le dénoûment fe fait absolument fans lui: ainfr il paroît que ce font deux Tragedies, dont l'une

toule fur Philoctete, & l'autre fur Oedipe.

:

J'ai voulu donner à Philoctete le caractere d'uir Heros, & j'ai bien peur d'avoir pouffé la grandeur d'ame jufqu'à la fanfaronade. Heureusement j'ai lû dans Madame Dacier, qu'un homme peut parler avantageufement de foi lors qu'il eft calomnié voila le cas où fe trouve Philoctete. Il eft reduit par la calomnie à la neceffité de dire du bien de lui-même. Dans une autre occafion j'aurois tâché de lui donner plus de politeffe que de fierté ; & s'il s'étoit trouvé dans les mêmes circonstances que Sertorius & Pompée, j'aurois pris la converfation heroïque de ces deux grands hommes pour modele; quoique je n'euffe pas efperé de l'atteindre. Mais comme il eft dans la fituation de Nicomede, j'ai cru devoir le faire parler à peu prés comme ce jeune Prince, & qu'il lui étoit permis de dire, un homme tel que moi, lors qu'on l'outrage. Quelques perfonnes s'imaginent que Philoctete étoit un pauvre Ecuyer d'Hercule, qui n'avoir d'autre merite que d'avoir porté fes fleches, & qui veut s'égaler à fon maître, dont il parle toûjours. Cependant il eft certain que Philoctete étoit un Prince de la Grece fameux par fes exploits, compagnon d'Hercule, & de qui même les Dieux avoient fait dépendre le deftin de Troye Je ne fçai fi je n'en ai point fait en quelques endroits un fanfaron, mais il eft certain que c'étoit un Heros.

Pour l'ignorance où il eft en arrivant fur les affaires de Thebe, je ne la trouve pas moins condamnable que celle d'Oedipe. Le mont Oeta ou il avoit vû mourir Hercule n'étoit pas fi éloigné de Thebe, qu'il ne pût fçavoir aisément ce qui fe pafloit dans cette ville. Heureufement cette igno rance vicieuse de Philoctete m'a fourni une expo

fition

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