Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Il me refte à parler de quelques rimes que j'ar hazardées dans ma Tragedie. J'ai fait rimer frein à rien; heros à sombeaux; contagion à poison, &c. Je ne défens point ces rimes parce que je les ai employées mais je ne m'en fuis fervi que parce que je les ai crû bonnes. Je ne puis fouffrir qu'on facrifie à la richesse de la rime toutes les autres beautés de la Poëfie, & qu'on cherche plûtôt à plaire à l'oreille qu'au cœur & à l'efprit. On pouffe même la tirannie jufqu'à exiger qu'on rime pour les yeux encore plus que pour les oreilles. Je ferois, j'aimerais, &c. ne fe prononcent point autrement que traits & attraits cependant on pretend que ces mots ne riment point ensemble, parce qu'un mauvais usage veut qu'on les écrive differemment. M. Racine avoit mis dans fon Andromaque :

M'en croirés-vous ? laßé de ses trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, Seigneur, je la fuirois.

Le fcrupule lui prit, & il ôta la rime fuirois, qui me paroît (à ne confulter que l'oreille) beau coup plus jufte que celle de jamais, qu'il lui fubftitua.

La bizarrerie de l'ufage, ou plûtôt des hommes qui l'établissent, eft étrange fur ce fujet com me fur bien d'autres. On permet que le mot abborre qui a deux r, rime avec encore, qui n'en a qu'une. Par la même raison tonnerre & terre devroient rimer avec pere & mere: cependant on ne le fouffre pas, & perfonne ne reclame contre cette injuftice.

Il me paroît que la Poëfie françoife y gagneroit beaucoup, fi on vouloit fecouer le joug de set ufage déraisonnable & tirannique. Donner

[ocr errors]

aux Auteurs de nouvelles rimes, ce feroit leur donner de nouvelles penfées; car l'affujetiffement à la rime fait que fouvent on ne trouve dans la langue qu'un feul mot qui puiffe finir un vers: on ne dit prefque jamais ce qu'on vouloit dire; on ne peut fe fervir du mot propre ; on eft obligé de chercher une pensée pour la rime, parce qu'on ne peut trouver de rime pour exprimer ce qu'on penfe. C'est à cet efclavage qu'il faut imputer plu fieurs improprietés qu'on eft choqué de rencontrer dans nos Poetes les plus exacts. Les Auteurs fentent encore mieux que les lecteurs la dureté de cette contrainte, & ils n'ofent s'en affranchir.

Pour moi, dont l'exemple ne tire point à con fequence, j'ai tâché de regagner un peu de liberté; & fi la Poefie occupe encore mon loifir je prefererai toûjours les chofes aux mots, & la penfée à la rime.

SIXIEME LETTRE,

QUI CONTIENT.

UNE DISSERTATION

SUR LES CHOEURS.

M

Il ne me reste plus qu'à parler du Chœur que j'introduis dans ma Piece. J'en ai fait comme un perfonnage qui paroît à fon rang comme les autres Acteurs, & qui fe montre quelquefois fans parler, feulement pour jetter plus d'interêt dans la Scene, & pour ajoûter plus de pompe au fpec

tacle.

Comme on croit d'ordinaire que la route qu'on a tenue étoit la feule qu'on devoit prendre, je m'imagine que la maniere dont j'ai hazardé les Chœurs, eft la feule qui pouvoit reüffir parmi

nous.

Chés les anciens le Chœur rempliffoit l'intervale des Actes, & paroiffoit toûjours fur la Scene. Il y avoit à cela plus d'un inconvenient; car ou il parloit dans les entr'Actes de ce qui s'étoit paffé dans les Actes precedens, & c'étoit une repetition fatigante;ou il prévenoit ce qui devoit arriver dans

les

les Actes fuivans, & c'étoit une annonce qui pouvoit dérober le plaifir de la furprise; ou enfin il étoit étranger au fujet, & par confequent il devoit ennuyer.

La prefence continuelle du Chœur dans la Tra gedie me paroît encore plus impraticable : l'intrigue d'une Piece intereffante exige d'ordinaire que les principaux Acteurs ayent des fecrets à fe confier. Eh le moyen de dire fon fecret à tout un peuple? C'est une chofe plaifante de voir Phedre dans Euripide avouer à une troupe de femmes un amour inceftueux, qu'elle doit craindre de s'avouer à elle-même. On demandera peut-être comment les anciens pouvoient conferver fi fcrupuleusement un ufage fi fujet au ridicule; c'est qu'ils étoient perfuadés que le Choeur étoit la baze & le fondement de la Tragedie. Voila bien les hommes! qui prennent prefque toûjours l'origine d'une chefe pour l'effence de la chofe même. Les anciens fçavoient que ce fpectacle avoit commencé par une troupe de payfans yvres qui chantoient les louanges de Bacchus, & ils vouloient que le Theatre fût toûjours rempli d'une troupe d'Acteurs. qui en chantant les louanges des Dieux rapelaffent l'idée que le peuple avoit de l'origine de la Tragedie. Long-tems même le Poëme dramatique ne fut qu'un fimple Chœur, & les perfonnages qu'on y ajoûta depuis ne furent regardés que comme des épifodes; & il y a encore aujourd'hui des fçavans qui ont le courage d'aflurer que nous n'avons aucune idée de la veritable Tragedie, depuis que nous avons banni les Choeurs : c'eft comme fi on vouloit que nous miffions Paris, Londres & Madrid fur le Theatre, parce que nos peres en ufoient ainfi lorfque la Comedie fut établie en France.

R

M. Racine, qui a introduit des Chœurs dans Athalie & dans Efther, s'y eft pris avec plus de precaution que les Grecs ; il ne les a gueres fait paroître que dans les entr'Actes; encore a-t-il eu bien de la peine à le faire avec la vraisemblance . qu'exige toûjours l'art du Theatre.

A quel propos faire chanter une troupe de Jui.. ves lors qu'Efther a raconté fes avantures à Elife Il faut necellairement, pour amener cette mufique, qu'Efther leur ordonne de lui chanter quelque air :

Mes filles, chanté:-nous quelqu'un de ees canti

ques.

Je ne parle pas du bizarre affortiment du chant & de la declamation dans une même Scene: mais du moins il faut avouer que des moralités mifes en mufique doivent paroître bien froides aprés ces dialogues pleins de paffions qui font le caractere de la Tragedie. Un Choeur feroit bien mal venu aprés la declaration de Phedre, ou aprés la converfation de Severe & de Pauline.

Je croirai donc toûjours, jufqu'à ce que l'éve nement me détrompe, qu'on ne peut hazarder le Chœur dans une Tragedie, qu'avec la précaution de l'introduire à fon rang, & feulement lors qu'il eft neceffaire pour l'ornement de la Scene: encore n'y a-t-il que trés-peu de fujets où cette nouveauté puiffe être reçûe. Le Chœur feroit abfolument déplacé dans Bajazet, dans Mitridate, dans Britannicus, & generalement dans toutes les Pieces dont l'intrigue n'eft fondée que fur les interêts de quelques particuliers; il ne peut convenir qu'à des Pieces où il s'agit du falut de tout

peuple. Les Thebains font les premiers intereffés dans le fujet de ma Tragedie; c'eft de leur

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »