Mais, enfin fur fes pas aux autels entraînée, Egine, je sentis dans mon ame étonnée Des tranfports inconnus que je ne conçus pas: Avec horreur enfin je me vis dans fes bras. Cet himen fut conclu fous un horrible augure. Egine, je voyois dans une nuit obscure, Prés d'Oedipe & de moi je voyois des enfers Les gouffres éternels à mes pieds entr'ouverts; De mon premier époux l'ombre pâle & fanglante Dans cet abîme affreux paroiffoit menaçante; Il me montroit mon fils, ce fils qui dans mon flane Avoit été formé de fon malheureux fang; Ce fils dont ma pieufe & barbare injuftice. Avoit fait à nos Dieux un fecret facrifice.
De les fuivre tous deux ils fembloient m'ordonner; Tous deux dans le Tartare ils fembloient m'entraî-
De fentimens confus mon ame poffedée
Se prefentoit toûjours cette effroyable idée; Et Philoctete encor trop prefent dans mon cœur, De ce trouble fatal augmentoit la terreur.
J'entens du bruit, on vient, je le voi qui s'avance. JOCASTE.
C'est lui-même ; je tremble; évitons fa prefence.
PHILOCTETE.
E fuyés point, Madame, & ceffés de trem
Ofés me voir, ofés m'entendre & me parler. Je ne viens point ici par des jaloufes larmes
De votre himen heureux troubler les nouveau charmes.
N'attendés point de moi de reproches honteux,
Ni de lâches foupirs indignes de tous deux :
Je ne vous tiendrai point de ces difcours vulgaires Que dicte la moleffe aux amans ordinaires ;
Un cœur qui vous cherit, & (s'il faut dire plus, S'il vous fouvient des noeuds que vous avés rompus) Un cœur pour qui le vôtre avoit quelque tendreffe, N'a point apris de vous à montrer de foibleffe.
De pareils fentimens n'apartenoient qu'à nous; J'en dois donner l'exemple, ou le prendre de vous..
Si Jocafte avec vous n'a pû fe voir unie, Il eft jufte avant tout que je m'en justifie
Je vous atmois, Seigneur, une fuprême lok
Toûjours malgré moi-même a disposé de moi, Et du fphinx & des Dieux la fureur trop connue Sans doute à votre oreille eft déja parvenuë. Vous fçavés quels fléaux ont éclaté sur nous,
Je fçai qu'Oedipe eft votre époux: Je fçai qu'il en eft digne ; & malgré sa jeunetle, L'Empire des Thebains fauvé
par fa fagelle, Ses exploits, fes vertus, & fur tout votre choix Ont mis cet heureux Prince au rang des plus grands
Ah! pourquoi la fortune à me nuire conftante Emportoit-elle ailleurs ma valeur imprudente ? Si le vainqueur du fphinx devoit vous conquerir, Faloit-il loin de vous ne chercher qu'à perir? Je n'aurois point percé les tenebres frivoles D'un vain fens déguifé fous d'obfcures paroles. Ce bras que votre afpect eût encore animé, A vaincre avec le fer étoit accoûtumé, Du monftre à vos genoux j'euffe aporté la tête... D'un autre cependant Jocaste eft la conquête ; Un autre a pû jouir de cet excés d'honneur !...
Vous ne connoiffés pas quel eft votre malheur.
Je vous perds pour jamais, qu'aurois-je à craindre
Vous êtes dans des lieux qu'un Dieu vangeur ab
Un feu contagieux annonce fon couroux, Et le fang de Laïus eft retombé fur nous : Du Ciel qui nous poursuit la justice outragée Vange ainfi de ce Roi la cendre negligée ; On doit fur nos autels immoler, l'affaffin,
On le cherche, on vous nomme, on vous accuse enfin.
Madame, je me tais, une pareille offence Elonne mon courage, & me force au filence. Qui moi de tels forfaits! moi des affaffinats! Et que de votre époux... vous ne le croyés pas. JOCASTE.
Non je ne le croi point, & c'est vous faire injure, Que daigner un moment combattre l'imposture. Votre cœur m'est connu, vous avés eu ma foi,; Et vous ne pouvés point être indigne de moi. Oubliés ces Thebains que les Dieux abandonnent, Trop dignes de perir depuis qu'ils vous foupçon-
Et fi jamais enfin je fus chere à vos yeux,
Si vous m'aimés encore, abandonnés ces lieux, Pour la derniere fois renoncés à ma vûë.
Jocafte! pour jamais je vous ai donc perdue JOCASTE
Oui,Prince,c'en eft fait,nous nous aimions en vain, Les Dieux nous reservoient un plus noble destin; Vous étiés né pour eux; leur fageffe profonde N'a pû fixer dans Thebe un bras utile au monde, Ni fouffrir que l'amour rempliffant ce grand cœur Enchaînât prés de moi votre obscure valeur. Non d'un lien charmant le foin tendre & timide Ne dut point occuper le fucceffeur d'Alcide; Ce n'eft qu'aux malheureux que vous devés ves foins.
De toutes vos vertus comptable à leurs befoins, Déja de tous côtés les tyrans reparoiffent, Hercule eft fous la tombe,& les monftres renaissent. Allés, libre des feux dont vous fûtes épris, Partés, rendés Hercule à l'univers furpris. Seigneur, mon époux vient, fouffrés que je vous
Non que mon cœur troublé redoute fa foibleffe: Mais j'aurois trop peut-être à rougir devant vous, Tuifque je vous aimois, & qu'il eft mon époux.
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