Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

fuis l'homme du monde de qui vous recevre les meilleurs avis. Il eft impoffible que j'aim en fi peu de temps, repliqua le General, il n' a pas trois heures que j'ai vu pour la premier fois la perfonne qui me fait foûpirer, mais Mi lord, continua t'il, que je la trouve belle fon air eft noble fans affectation, il n'a jamai été une taille plus parfaite; fon teint, la cou leur de fes cheveux, tous les traits, tout, dis je, charme en elle. J'étois allé à Hampton cour pour y voir le Duc de Norfolk; il y eft malade depuis quelques jours; je fuis entré dans le Jar din, le Comte de Dévonshire & fa femme fe promenoient: Comme il fouhaite que je le ferve dans une affaire directement oppofée aux interefts d'un de mes amis; fi-tôt que je l'ai reconnu, j'ai pris foin de l'éviter: J'ai paffe dans une allée où je ne croyois pas qu'il dût venir, hélas ! au bout de quelques momens, je l'ai apperçû affis avec la Comteffe fur un lit de gazon; il faifoit chaud; elle étoit laffe de s'être promenée; fes joües reffembloient à des rofes blanches mêlées d'incarnat; elle avoit les yeux fi brillans que je n'en ai point vû de pareils : Vous le dirai-je encore bien des fois, Milord, je la trouve raviflante? Vous me le dirés tout autant que cela vous fera de plaifir, repartit le Comte; Je fuis charmé que vous foyés fenfible pour une belle perfonne, & je m'imagine déja que je vous vois filer comme Hercule faifoit près d'Omphale. Qu'il s'en faut qu'elle foit mon Omphale, ajoûta-t'il, vous voyés un

és malheureux qui ne fçait pas les premiers prinmecipes d'un art où vous excellés. Ne parlons y point d'ignorance, lui repondit le Comte, il refuffit d'aimer pour acquerir fubitement toute

la capacité dont on a befoin; & puis vous ne e; me ferés pas accroire que vous n'ayés jamais is été touché par quelque autre? Non, dit-il, je 1- ne connois point l'Amour; je vais vous en faire des fermens épouventables.

Il alloit en effet attefter le ciel & la terre, lorfque le Comte l'interrompit: Je vous croy, Milord, je vous croy, lui dit-il ; Je fuis perfuadé que vous n'avés pas aimé ; mais apprenés-moi ce que je peux faire pour vôtre fervice. Vous pouvés, dit-il, m'inftruire de la conduite que je dois tenir pour me faire aimer: car enfin, vous le fçavés mieux qu'homme du monde. Il faudroit que je connuffe la Comteffe de Dévonshire, repliqua le Comte, que je l'euffe pratiquée, & qu'elle me donnât quelque part dans fa confidence ; je pourrois alors vous fervir de guide: mais vous me mettés dans un Païs où je ne fuis pas orienté ; je n'en fçai ni les mœurs ni le langage: Que puis-je vous dire qui ne ferve à vous jetter dans de nouveaux embarras? Je n'en aurai pas au moins pour être agréablement réçû chés elle, reprit le General; fon mari, comme je vous l'ay déja dit, a befoin de moi, & je le fervirai de mon mieux ; mais ce n'eft pas toujours un moyen fûr pour plaire à l'époufe que de plaire à l'époux. C'eft en tout cas un grand achemine

ment, dit le Comte, & il arrive plus fouver que ceux qui plaifent à la Dame déplaifent a mari, qu'il n'arrive que ceux qui plaisent a mari déplaifent à fa femme. Il rit de tout fo cœur de ce que Monfieur de Warwick lui di foit: Vous m'encouragés, ajoûta t'il; Je meur d'envie de m'embarquer fous de fi favorable aufpices: Au fond qu'ai je à rifquer? Une liberté dont je dois être las. Je ne fçai fi vous er étes las, dit le Comte, mais je fçai bien que vous devriés en être honteux.

Ils parloient avec tant d'attention que le Roy avoit fini fon jeu fans qu'ils l'euffent remarqué; il s'étoit même approché d'eux affez doucement, & comme il entendit les derniers mots de leur conversation, il l'interrompit en demandant dequoi le General devoit être honteux? Le Comte alloit lui dire pour le divertir, quand il lui fit figne de ne le pas déce ler. Il répondit à fa Majefté qu'il reprochoit au General fon indifference, & qu'il lui propofoit de trocquer, fi cela fe pouvoit, une partie de fa fenfibilité contre une partie de fon infenfibilité. Le Roy repliqua en foûriant qu'il en fçavoit bon gré au Comte, & qu'il aimoit affez le General pour lui fouhaiter un amufement.

[ocr errors]

Tout ce que le General avoit dit à Monfieur de Warwick de la Comteffe de Dévonshire, lui donna une extrême envie de la connoître ; il l'avoit déja veuë, mais elle lui fembloit fi jeune, on la laiffoit paroître fi ra

rement

rement à la Cour, & il étoit fi occupé d'une ent autre perfonne, que fes charmes n'avoient aufit aucune impreffion fur lui: Il n'eut pas de au peine à trouver un prétexte pour aller chez onelle; il choifit un jour qu'il fçavoit que le

Comte étoit à la chaffe ; il feignit d'avoir à l'enStretenir, & compofant une affaire qu'il avoit estrès bien arrangée, il fit demander à la Comtelle s'il pouvoit, fans l'incommoder, lui parler fur quelques interefts qui regardoient fon

e mari.

Elle étoit dans une Grotte qui termine fon Jardin, il faifoit fort chaud ; il la trouva couchée fur un lit de gazon, avec une robbe de chambre de taffetas couleur de rofe à fleurs d'argent, elle paroiffoit negligée & rêveuse ; la Comteffe d'Anglefey fa mere étoit affife fur le même lit de gazon.

Bien que les exagerations & les transports du General Talbot l'euffent fort prévenu, il ne laiffa pas de goûter tout le plaifir de la furprife; fon cœur d'accord avec fes yeux l'affurerent qu'il n'y avoit rien au monde de fi beau que Madame de Dévonshire; & malgré cette hardieffe naturelle qu'on reprochoit au Comte, malgré le plan qu'il s'étoit fait de parler d'une affaire affez fpecieufe pour n'avoir rien à craindre, il demeura fi interdit, que fans ceffer de faire des reverences, il fatigua beaucoup les Dames, il cherchoit cependant ce qu'il vouloit leur dire, & il n'en retrouvoit pas le premier mot.

Tome I.

B

L'embarras pour fe placer fut bien une autre chofe; la Comteffe d'Anglefey vouloit qu'il fe mît auprès d'elle; il crut qu'il ne verroit. pas affez bien fa fille : mais ayant trouvé une grande coquille de marbre, qui recevoit ordinairement l'eau d'un vafe pofé au deffus,il s'affit fur le bord fans prévoir ce qui lui pourroit arriver, & pria ces Dames de l'y fouffrir. II commença alors le compliment, ou pour mieux. dire, le galimatias le plus abftrait que l'on puiffe faire, il s'en appercevoit bien, mais il avançoit toujours chemin, quand il fentit au bout d'un moment une fraîcheur fi extraor dinaire qu'il ne fçavoit que devenir; les Fontainiers qui l'avoient vû entrer dans la Grotte s'étans hâtés de faire jouer les eaux, celle qui tomboit du vafe prit fon cours dans fon habit & le moüilla comme s'il eùt été au bain: En cet endroit fon embarras augmenta à tel point,. que tout d'un coup il le rendit muet, mais fi bien muet, que la Comteffe de Dévonshire qui l'écoutoit avec attention, & qui n'en avoit pas moins pour le regarder, lui voyant perdra la parole au milieu de fon difcours, elle crut qu'il fe trouvoit mal: Permettez moi, Milord,. -lui dit-elle, de vous demander comment vous, vous portés? Il penfa lui dire qu'il fe portoit fort mal, & il lui auroit dit vrai : il demeura. tout confus de cette queftion. Sans doute, difoit-il en lui-même, qu'elle connoît mon embarras; lui apprendrai-je que je fuis pénetré. d'eau jufqu'aux os? elle me plaifantera ; mais.

« AnteriorContinuar »