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tenté afin d'avoir de fes nouvelles, & que fon Ecuyer s'étoit travefti pour lui rendre une Lettre, dont elle s'étoit chargée.

A ces mots la Comteffe changea de couleur: Voulez-vous me perdre, Albine, lui dit elle? Avez-vous oublié tout ce qui m'eft. arrivé, pour avoir eu moins d'exactitude que je ne devois? Bien que je n'aye rien d'effentiel à me reprocher, c'eft toujours trop que de donner lieu aux foupçons: Ne me parlez plus de Monfieur de Warwick, mon indocile cœur ne m'en parle que trop. Quoi, Madame,lui dit Albine, vous refufez fa Lettre? ouy, je la refufe, repliqua-t'elle, rendez-la à celui qui s'en eft chargé, & lui ordonnez de ma part de partir.

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Albine ne demeura pas médiocrement furprife de cette réfolution: Vous ferez caufe de la mort du Comte, lui dit-elle, ou bien il portera à quelque extremité, dont vous રે vous repentirez toute votre vie; & depuis quand, repartit la Comteffe d'un air de colere, eft-il permis de perfecuter une femme qui ne veut aimer que fon devoir ? Laiffez moi, Albine, je me fais une violence qui me tuë; mais qu'importe, ajoûta-t'elle triftement, je n'ai rien qui me rende la vie agréable.En achevant ces mots, fes yeux s'emplirent de larmes: Albine crut que c'étoit un moment heureux pour faire ouvrir le paquet du Comte : Madame, lui dit-elle, en fe jettant à fes pieds, ne refufez point de lire cette Lettre, Monfieur

Tome I.

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de Warwick croira que vous le méprifez. de quelle maniere un homme fi fier pourra-t'il digerer un traitement fi dur? Son amour fe changera peut-être en haîne. Hélqu'il me haïffe, s'écria-t'elle, c'est tout ce que je lui deman de. Son cœur alors preffé de douleur, ne pouvoit plus retenir fes foupirs. Albine étudioit tous les mouvemens de fa Maîtreffe; elle continua de la preffer, & de lui dire mille raifons pour l'engager d'ouvrir ce paquet. Enfin, voyant que la Comteffe refufoit de le faire, elle prit le parti de lire la Lettre tout haut: Elle eut la foibleffe de l'écouter; mais elle n'y voulut jamais répondre.

Albine rendit compte à Berincour de la fcene qui s'étoit paffée: Il trouva de la vertu & de la tendreffe dans le procedé de Madame de Dévonshire. il ne pût s'empêcher de la plaindre; & il auroit bien voulu que fon Maître s'en fût détaché. Il ne laiffa pas de prier la vieille Gouvernante de faire de nouvelles tentatives pour obtenir quelques lignes de fa main. Elle n'obmit ni raifons ni prieres. La Comtesse fâchée de fes importunitez, la ménaça de dire à fon mari la perfécution qu'elle lui faifoit ; de forte qu'il n'y eut point d'autre parti à prendre pour Berincour, que celui de s'en

retourner.

Pour faciliter ce départ, le Jardinier François qui étoit avec lui, feignit d'avoir befoin de plufieurs chofes qu'il lui envoyoit, difoitfl, chercher à Londres: Cependant Berincour

ne fçavoit rien de l'éxil de fon Maître. Quand il en fut informé, il fe hâta de l'aller trouver àCaerleon. On lui dit en arrivant qu'il fe pro menoit au bord de la riviere d'Ufque: En effet, il l'apperçut fous des faules & des pcupliers, dont l'écorce étoit déja toute chargée des Chiffres de la Comteffe, & des Vers qu'il avoit faits pour elle. Le Comte en le reconnoiffant, n'eut pas la patience de l'attendre, il courut au devant de lui, & lui demanda la réponse de Madame de Dévonshire; mais Berincour qui n'en apportoit point, le fupplia d'écouter ce qu'il avoit à lui dire.

Ce récit le jetta dans une profonde mélancolie; il fe crut encore plus malheureux qu'il ne l'étoit. Il penfa qu'Albine par des motifs d'interêts, avoit compofé tous les endroits flatteurs de la converfation qu'elle difoit avoir eue avec fa Maîtreffe; mais qu'il étoit vrai qu'elle ne fentoit pour lui que de l'indifference, puifqu'elle ne lui avoit point écrit. Cette opinion fe fortifia fi fort par mille circonftances, que fa douleur devint extrême.

Il paffa ainfi trois jours voulant une chofe, en voulant une autre. Enfin il fe détermina à renvoyer Berincour chez la Comteffe, & à lui écrire des plaintes fi refpectueufes qu'elle en pût être touchée. Son Ecuyer qui n'aimoit point cette commiffion, lui repréfenta inutilement qu'il ne réuffiroit pas mieux dans fon fecond voyage qu'il avoit fait au premier. Il lui reprocha fon peu d'affection, & le fit partir

toûjours déguisé en Jardinier, afin de n'être

pas connu.

Pendant fon abfence Madame de Dévonshire qui étoit groffe, s'étoit bleffée, elle en avoit pensé mourir; de forte que Berincour étant arrivé;Albine lui dit que faMaîtreffe auroit beaucoup de peine à trouver une heure favora ble pour l'entretenir, & qu'on la laffoit rarement feule: mais, ajoûta-t'elle, ce qui eft heureux, c'eft que je vous verrai fouvent; que nous prendrons des mesures pour nôtre mariage, & que fi nous ne faifons pas les affaires du Comte de Warwick & de la Comteffe de Dévonshire, tout au moins nous ferons les nôtres.

Ne comptez pas là-deffus, lui dit-il, d'un air chagrinsma fortune ne dépend que d'une heureufe négociation, & je ne penferai de ma vie à l'Hymen, que mon Maître ne foit content.

Ces paroles donnerent une nouvelle vivacité à la vieille Albine; elle apprit à sa Maîtrefle le retour de l'Ecuyer du Comte: Cette nouvelle la jetta dans le dernier chagrin. Elle lui deffendit abfolument de fe charger de fa Lettre, & lui dit que s'il ne partoit en diligence, elle l'en feroit repentir, Enfin la chofe parut fi férieuse à fa Confidente, qu'elle dit à Berincour de s'éloigner au plûtôt, & que tout ce que le Comte tenteroit à l'avenir, deviendroit inutile, parce que la Comteffe profitoit de fon abfence pour écouter fa raifon ; Qu' elle fe détachoit tous les jours de lui, & quelie ne vouloit point lire des Lettres, dont le

caractere paffionné lui rappelloit une idée trop chere, & trop dangereufe pour fon re

pos.

fes

Berincour n'avoit guere de chofe à répondre à ce que lui difoit Albine; mais il connoiffoit trop bien le Comte, pour retourner fur pas, fans avoir une réponse plus confolante à lui porter. Il lui représenta qu'il n'y auroit rien de plus remarquable que fon départ, s'il le précipitoit fi fort, & qu'il confentoit de s'en aller, pourvû qu'on lui donnât le tems qu'il jugeoit néceffaire. Albine fit fi bien que Madame de Dévonshire goûta les raifons de Berincour.

La Comteffe avoit pris fur elle tout ce qu'on y peut prendre, lorfqu'elle refufa avec tant de fermeté, de lire les Lettres du Comte de Warwick; quelques défirs qu'elle eut de l'oublier, & même de le hair, il eft certain qu'elle fentoit toujours dans fon cœur une fatale prévention pour lui. Non, difoit-elle à fa Confidente, je ne me pardonnerois pas les fentimens que je conferve encore, fi je n'éprouvois par la violence que je me fais, qu'on n'eft point maîtreffe de fon inclination; un aftre qui m'eft fatal, a permis que j'aye vû le Comte, que depuis ce funefte inftant, je n'aye pû par tous les égards que je me dois, par les motifs de mon devoir, & par le fecours de l'absence, l'éloigner de mon efprit. Albine avoit l'ame trop interreffée pour perfuader à sa Maîtreffe de prendre une ferme réfolution: Elle l'ex

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