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vois paffer quelques jours, vous aviez la fiévre, & la plupart des Courtifans repetoient une Comedie avec les Dames qui refterent à Withall auprès de Madame la Duchefle ma Mere; je n'avois avec moi que ceux qui ne s'étoient pû difpenfer de me fuivre, la troupe étoit affez petite, & dans l'ardeur de la chaffe je m'égarai: Le Soleil avoit déja perdu une partie de fa force, le ciel étoit couvert le tems froid, il commença, de pleuvoir, j'a-, vois beaucoup courû, je ne voyois plus les chiens, & le bruit des cors me paroifloit fi éloigné, que j'aimois mieux les attendre dans une grande route où je me trouvai, que de les aller chercher.

J'apperçus une touffe d'arbres affez propre pour me garantir de l'orage, je mis pied à terre, & je fus me ranger deffous: mais j'y étcis à peine quand j'entendis de grands cris, & que j'appercûs une femme que fon cheval emportoit; il venoit vers moi, je n'eus pas de peine à l'arrêter; & jettant les yeux fur celle que j'avois fecouruë, je la reconnus pour la Comteffe de Dévonshire: elle étoit fi pâle & fi tremblante, que jugeant qu'elle fe trouvoit mal, je la pris entre mes bras, & je la defcendis de cheval. Dans les premiers mouvemens de fon trouble elle ne me reconnut point, & elle ne me parla que de fa peur: Ceffez, Madame, d'en avoir, lui dis-je, vous étes en fûreté ; plût au Ciel qu'en vous y mettant, je pûffe auffi m'y mettre; mais je fens

déja

déja qu'il eft difficile de fe garantir de tous les maux qui font inféparables du plaifir de vous voir. Pendant que je parlois elle s'étoit affez remife pour remarquer avec étonnement toute la liberté de ma conversation, elle arrêta fes yeux fur moi, & me reconnoiffant: Quor c'eft à vous Sire, s'écria t-elle en felevant du lieu où elle étoit affife, c'est à vous à qui je dois la vie? de quels termes me fervirai-je pour vous marquer ma reconnoiffance ! Si Vous me permettez, lui dis-je, de vous dicter les termes dont je veux que vous vous ferviez,' ils n'emprunteront rien du refpect ni de la foumiffion, je fouhaite quelque chofe moins commun & plus tendre. Elle rougit, & me pria de trouver bon qu'elle ne reftât pas davantage auprès de moi: Que penferoit le Comte det Dévonshire, dit-elle, s'il me trouvoit feule dans un lieu fi folitaire avec vôtre Majefté ? I me croiroit plus heureux que je ne le fuis Madame, repliquai-je, mais il ne pourroit me croire plus touché de vôtre merite & de vôtre beauté.

En effet, continua le Roi, je n'ai jamais rien veu de plus charmant, fes cheveux tomboient par boucles fur fes épaules; elle avoit un jufteau-corps qui laiffoit voir toute fa taille, & vous fçavez que c'est une merveille; l'incarnat qui avoit fuivi la pâleur uniffoit fur fon teint les rofes avec les lys; elle avoit une émotion extraordinaire de erainte, & peut-être de joye de ma rencontre imprévûë, qui ajoûtoit de Tome I

C

nouvelles graces à celles que tout le monde lui trouve; enfin je la regardois avec un plaifir que je ne fçaurois exprimer ; je voulois la retenir, je craignois de lui faire de la peine, parce que fon mari, qui fe promenoit dans la forêt, alloit fans doute la chercher par tout = mais la voyant fur le point de monter à cheval: Eft-il poffible, lui dis-je, que vous puiffiez encore vous expofer au même peril que vous ve nez de courir? non, Madame, je ne le fouf frirai pas, & s'il eft vrai que vous ayez des raifons pour me fuir, je veux bien m'éloigner, quelque violence que je me faffe de yous quitter, mais promettez-moi que vous me ména-: gerez d'autres momens. Il n'en eft point avec moi, Sire, répondit-elle modeftement, qui ne doivent vous être indifferens.

Jamais orage n'a été plus terrible que celuique j'effuyai; l'on me cherchoit avec beau-> coup d'inquietudes, & de mon côté j'en res fentois une très violente de ce qui ferait arrivé à la Comteffe. Non, difois-je en moi-même, je ne fçaurois excufer mon imprudente. com-. plaifance; je l'ai quittée au milieu de cette forêt, le temps eft affreux ; que je me fuis crueld'avoir négligé une occafion fi favorable de refter auprès d'elle ! S'il lui arrive quelque accident pourrai-je me le pardonner la Fortune & l'Amour d'intelligence l'avoient conduite dans cette folitude, mais je la laiffe de gayeté de cœur, & je perds un bien que je regretterai peut-être toute ma vie.

Lorfque je fus à Windfor je dis en foupant que l'on avertit le Comte de Dévonshire de m'envoyer fa meûte, parce que n'ayant pas amené mes grands chiens, je ne pouvois chaffer le Cerf; je ne doutois point qu'il ne me vînt faire fa cour; il n'y manqua pas auffi, & je le reçûs comme le mary d'une perfonne que j'aimois déja, c'est-à-dire fort bien; car il est rare que l'on veüille effaroucher un époux : celui-là étoit foutenu par le Comte d'Anglefey & par fa belle-mere d'une maniere à me perfuader que je devois garder de grandes mefures à l'égard de la jeune Comteffe. Je lui demandai ce qu'il avoit fait la veille, & pourquoi il n'étoit pas venu à la chaffe? Il me dit que s'étant trouvé mal, il avoit pris le parti de se pro mener en chariot, que fa femme, qui étoit à cheval, avoit couru le plus grand danger que l'on puiffe imaginer, & qu'elle devoit la vie à un Païfan qui l'avoit fauvée.

Je m'arrêtai peu avec lui; je partis pour aller à la chaffe du côté de fa maifon ; j'avois tant d'envie d'y arriver, que j'en apperçus à peine les pavillons, qu'il me fembloit qu'ils fuyoient devant mes yeux.

Mais pour garder des mefures, malgré mon impatience, je fuivis le Cerf qu'on venoit de lancer, dans une fi furieufe crainte qu'il ne me menât trop loin, que j'étois tenté à tous momens de faire tirer deffus: Amour, difoisje, tuë-le d'une de tes fléches, avance les momens où je dois voir la Comteffe, tu ne fçau

rois me rendre un meilleur office.

Je feignis, quand le Cerf fut pris, d'être fort altéré; le Comte me fupplia d'entrer chez lui: je ne l'obligeai pas à m'en prier plus d'une fois: Au bruit des cors & des chiens, la jeune Damo parut fur une terraffe de plein pied à fon appartement; elle fe promenoit avec quelques femmes du voifinage & fa mere. Sire, s'écria le Comte de Warwick en interrompant le Roi, qu'étoit-elle donc devenue? Elle aime peu la campagne, repliqua t-il, le Comte d'Anglefey ne fe portoit pas bien. C'est-à-dire continua le Comte en levant les yeux au Ciel que tout favorifoit vôtre Majefté ? J'en conviens, ajoûta le Roi, car le Comte occupé à donner des ordres pour me faire fervir une fuperbe collation,me laiffa l'entiere liberté d'entretenir la Comteffe.

Que vous m'avés caufé d'inquietudes, luj dis-je ! Hélas! Madame, je craignois tout pour vous après ce qui vous étoit déja arrivé ! & combien me fuis-je reproché la complaifance que j'avois euë de vous quitter ! Rien n'étoit plus neceffaire pour le repos de tout le monde, répondit-elle en foûriant, vôtre Majefté n'étoit pas encore fort éloignée quand Monfieur de Dévonshire arriva. Il me demanda par quel miracle j'avois pû échapper de la fureur d'un cheval emporté ? je lui en rendis compte, Sire, à cela près qu'au lieu de nommer vôtre Majefté, je parlai d'un Païfan qui m'avoit garantie d'être tuée. Le miftere que vous avez

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