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trouva, l'étonna lui-même. Qu'avez-vous donc, Milord, lui dit-il, vous ne me parlez point!Je vous ai déja déclaré,dit le Comte, que je ne vaux rien aujourd'hui pour la belle converfation. J'y confens, ajoûta le General, pourvû que vous me difiez tout au moins pourquoi vous êtes fi furpris de ce que je viens de vous apprendre? C'eft, repliqua le Comte en fe remettant un peu, qu'il me paroît fort extraor dinaire que quelqu'un foit en état de vendre. le Portrait de la Comteffe, car je doutois même que la gardant, comme l'on fait, on voulût la laiffer peindre. Quoiqu'il en foit, répondit-il, le Roi acheta ce Portrait, & me chargea de le porter dans fon petit Cabinet comme un bijoux dont il connoiffoit le mérite:s'il m'avoit examiné il auroit vû toute mon agitation; mais comme il commandoit qu'on lui amenât le Peintre qui avoit fait ces Portraits, je me doutai bien qu'il vouloit s'informer du nom de cette belle Dame. Il n'en falloit- pas davantage pour me réveiller de bon matin; je fuis allé chez le Peintre, je lui ai fait une liberalitéaffez confiderable pour l'affûrer; je l'ai obligé à me vendre l'Original dont le Roi n'a que la copie, & de lui dire que c'eft la belle Rosemonde, fille du Comte de Cliffort, Maîtreffe de Henry II. Roi d'Angleterre, & que s'il trouvoit la drapperie trop moderne pour être de ce tems-là, il lui dit qu'il l'avoit habillée à la mode pour s'en défaire mieux; enfin je l'ai fi bien inftruit qu'il s'est tiré à merveilles de

routes les questions du Monarque, j'en ai vou lu être le témoin, afin de l'aider s'il manquoit à quelque chofe, & de tems en tems le Roi me difoit En verité, Rofemonde étoit bien ai mable, je ne fuis pas furpris que Henry n'ait jamais pardoné à fa femme d'avoir fait mourir une fille fi charmante: la Reine Eleonor la regardoit avec des yeux jaloux, Sire, ai-je repliqué. Ouy, a dit le Roi, & pour moi je l'admire; voila ce qui fait la difference de nos fentimens. Je n'ai prefque rien répondu à cela; j'avois tant peur de lui mettre Rofemonde. trop avant dans l'efprit, & qu'il ne trouvât la Comteffe de Dévonshire en fon chemin, que j'ai cherché foigneufement à le diffiper par une partie de paulme, que je lui ai donné envie de faire avec le Duc de Gloceftre. Ce qui me met en repos, continua-t'il, c'est que le voilà perfuadé qu'il ne s'agit que de Rofe monde, & que la Comteffe d'Anglefey qui connoît la beauté de fa fille, & ce qu'elle pourroit produire fur un jeune Prince fufceptible des plus tendres impreffions, la cache fi foigneufement qu'elle ne l'a pas amenée à la Cour, & qu'elle fait croire à tout le monde qu'elle eft prefque toujours malade.

Mais je fçai, continua-t'il, à quoi m'en tenir, & je fuis réfolu à faire une étroite amitié avec le Comte de Dévonshire. Je vous ai déja idit, Milord, qu'il a befoin de moi dans une grande affaire, où je voulois prendre un parti qui lui étoit fort oppofé; mon crédit peut faire

pancher la balance de quelque coté qu'il tourne, ces raifons l'ont obligé à me recevoir avec des égards infinis, & quand j'allai chez lui, il me pria d'entrer dans l'appartement de fa femme. Je vous avoue que les charmes de fon efprit acheverent ce que ceux de fa perfonne avoient commencez. J'étois fi ébloui & fi enchanté qu'il ne falloit pas moins que la préfence de fon mari, pour m'empêcher de faire fur le champ ma déclaration ; je moderois mes foupirs avec une violence capable de m'étouffer, & jamais homme à mon âge n'a fait un fi rude noviciat. Hélas! je ne fuis plus furpris que l'amour apprivoife les tigres & les ours, vous jugez bien cependant que fi j'étois condamné à me taire encore long-tems, je choifirois auffi tôt la mort; mais il ne m'eft pas aifé d'entrer en converfation, fi vous ne me faites le plaifir de venir avec moi, vous entretiendrez le Comte & je parlerai à mon aife à la Comteffe.

Cette propofition convenoit trop bien au Comte de Warwick pour la refufer; il avoit fait plufieurs tentatives afin de la revoir, il y étoit allé differentes fois & fous divers prétextes. Madame d'Anglefey, qui étoit une furveillante habile, avoit donné de fi bons ordres, que paffé la premiere vifite, où à proprement parler il le furprit, il y avoit toûjours des raifons & des excufes prêtes pour les renvoyer honnêtement; de maniere que lorfque le General qui s'étoit fort impatroni

fé dans la maison, le pria d'y venir, il en fut ravi. Il n'y avoit que le foin d'amufer le Comte de Dévonshire qui n'étoit pas tout-à-fait de fon goût; mais quand il lui auroit fait une pire condition, il l'auroit acceptée, efperant au moins qu'il pourroit de tems en tems dire quelques petits mots qui le payeroient de fa peine.

Le General vint le prendre dans fon Caroffe, afin que la livrée du Comte que l'on s'étoit accoûtumé à renvoyer de chez la Comteffe d'Anglesey n'effrayât perfonne, il ne fut fuivi d'aucuns de fes gens; de forte qu'ils étoient à la porte de Madame de Dévonshire qu'elle croyoit voir le General tout feul, & bien que fon mary n'y fût pas, fa mere & elle le jugeoient fi peu redoutable, qu'elles le reçûrent fans façon,

Le Comte de Warwick avoit trop d'inte rêt â examiner l'accueil qu'on lui feroit pour n'y pas mettre toute fon application, il remar qua que fa prefence les embarrassoit; elles eûrent l'une & l'autre beaucoup de civilité pour lui; mais la jeune Comteffe levoit à peine les yeux pour le regarder, que rencontrant auffi-tôt ceux de fa mere elle les baiffoit avec precipitation & changeoit de couleur; il n'eut pas lieu de douter que cet air de joye, qui s'étoit repandu dans leur premiere converfation, n'étoit pas approuvé par Madame d'Anglefey, & qu'elle avoit peut-être donné lâ deffus quelques leçons qui ne lui étoient

pas favorables; enfin il demeura fort embar raffé à fon tour; mais le plaifir de voir une fi aimable perfonne & fi rare, l'emporta fur le chagrin que lui caufoit fon ferieux.

Le General Talbot avoit été un peu fâché de trouver Madame d'Anglesey dans la Cham bre de fa Fille, il s'épouvantoit bien moins du Comte de Dévonshire; mais prenant fon mal en patience, il dit en entrant qu'il le venoit attendre pour l'entretenir d'une affaire importante: & comme il fe trouva placé proche Madame d'Anglesey, il penfa qu'il ne feroit pas mal de l'entretenir pour s'infinuer dans fon efprit. Il y avoit des fujets fur lefquels il s'étendoit volontiers; par exemple ce fameux fiege d'Orleans que le Comte de Salifbery fit avec lui, où la Pucelle d'Orleans commença de fe fignaler par une valeur miraculeufe, auffi bien qu'à la bataille de Patay que le Comte de Suffolk perdit; le General s'y furpaffa, & ils furent l'un & l'autre faits prifonniers par la même Heroïne. Le General ne s'étendoit pas moins volontiers fur la prife de Rouen par le Comte de Dunois, c'étoit lui qui defendoit cette grande Ville avec le Duc de Sommerfet, & qui refta feul en ôtage pour cinquante mille écus d'or; mais les Anglois auroient plûtôt engagé la moitié du Royaume que de l'abandonner. Ils fçavoient qu'il étoit un de leurs plus braves deffenfeurs, & communément on l'appelloit l'Achille d'Angleterre: Tout cela n'étoit ignoré de perfon

ne

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