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ne, la Comteffe d'Anglefey le fçavoit mieux qu'aucun autre, ayant beaucoup d'efprit & un ang à la Cour qui la diftinguoit de toutes les manieres; cependant par complaifance elle ne voulut point l'interrompre ; & comme il s'échauffoit aifément dans un recit où il avoit joué un fi beau & fi grand rôle, & que la présence de la Comteffe de Dévonshire lui donnoit une vivacité extraordinaire, il y cut plufieurs endroits de fon difcours cù il parla fi haut, que la Comteffe d'Anglefey qui en étoit la plus proche y en fut auffi la plus incommodée.

Le Comte de Warwick n'avoit garde de. perdre le moment de dire à la Comteffe de petits mots tout le plus bas qu'il pouvoit; il feignoit pour cela de prendre du tabac, & de fe fervir fouvent de fon mouchoir dont il cachoit fa bouche quand il lui parloit; il ne la regardoit pas dans la crainte que fa mere ne s'en apperçût, mais il ne laiffa point de cette maniere de lui dire qu'il l'adoroit, qu'il ne demandoit pour toute recompenfe que la permiffion de la fervir avec le même refpe& qu'on fert les Dieux, & que fon defintereffement meritoit quelque bonté. Quoy qu'elle feignit de ne pas l'entendre, elle l'entendoit fort bien; l'application du Comte à marmoter des mots étoit fi grande qu'il arriva plus d'une fois que la Comteffe d'Anglefey lui addreffa la parole fans qu'il l'entendit : fa fille en ayoit de la peine; elle n'étoit peut-être pas

Tome I.

E

fâchée de ce qu'il lui difoit, mais elle l'auroit été beaucoup, qu'on eût penetrè ce myftere. Au milieu de tous ces embarras, la fatisfaction du Comte augmentoit quand il penfoit que la mere & le General en étoient également les duppes, & qu'il s'êtoit déja affez expliqué pour faire fçavoir fa paffion.

Cette vifite paffa toutes les regles des vifites extraordinaires, elle fut d'une longueur horrible le Comte de Dévonshire ne revenoit point; ils ne fongeoient plus à s'en aller, lorfque Madame d'Anglefey dit d'un air ennuyê, qu'il étoit tard, & qu'apparemment fon gendre fouperoit en Ville. A ces mots ils fe leverent & fortirent.

Le General avoit un extrême chagrin du mauvais fuccez de fa vifite, il querella le Comte de ce qu'il s'êtoit placé proche de la jeune Comteffe, trouvant, que puifqu'il l'aimoit, perfonne que lui n'avoit ce droit: mais fa mauvaife humeur, bien loin de chagriner fon Rival, le rejoüit beaucoup.

Monfieur de Warwick avoit encore découvert de nouveaux charmes dans l'efprit & dans la perfonne de la jeune Comteffe; il étoit affligé de lui trouver une terrible furveillante, en la perfonne de fa mere, & comme il n'imaginoit aucuns moyens de l'ap privoifer: Hélas! s'écrioit-il fouvent, fera ce ici l'écueil de ma bonne fortune & fouffrirai-je encore bien des peines fans aucunc certitude d'en voir une feule payée au gré de mes defirs?

Il n'avoit pas feulement fes chagrins à foûtenir, il avoit ceux du General; celui ci venoit le réveiller à la pointe du jour pour lui conter des chofes qui lui feroient devenuës tres indifferentes, fi le nom de la Comteffe dont elles étoient mêlées, n'eût adouci la mauvaise humeur. Il n'avoit pû trouver l'occafion de retourner chez elle, parce que le Comte de Dévonshire ayant appris que le General l'avoit attendu fi long-tems étoit allé chez lui plufieurs fois de fuite; & comme le General n'étoit pas fertile en expedients amoureux, quelque envie qu'il cût de ménager des prétextes, il les avoit tous épuifez, de forte qu'il vint chez le Comte avec un air fort fâché. Je fuis au desespoir, lui dit-il; le Comte de Dévonshire m'a vû fi fouvent que nous n'avons plus rien à nous dire; j'ai reglé l'affaire qu'il avoit, plus avantageufement pour lui, qu'il ne l'auroit reglée lui-même, cela eft caufe que j'ai fait une injuftice à mon meilleur ami; il femble que mes foins ne font d'aucun merite auprès de ce jaloux; il me prend à préfent envie, continuat'il brufquement, de me broüiller avec lui: car enfin de quoy me fervent les liaisons que j'ai ménagées ? Je ne vois plus sa femme, je vous avoue que j'étouffe, & que mon filence me fait perdre des pensées qui pourroient lui plaire. Ce feroit un mauvais moyen, dit le Comte, pour vous faire bien recevoir d'elle, que de vous broüiller avec

lui : mais comme vous le connoiffez plus que moi, feignons qu'il veut vendre la belle maifon, qu'il a proche de Windfor, & que je veux l'acheter; allons le trouver enfemble, s'il y eft, vous l'entretiendrez d'abord & je tâcherai de parler à la Comteffe pour la préparer à vous écouter favorablement; s'il n'y eft pas, vous profiterez de l'occasion.

Le General fut fi content de cet expedient, qu'il l'embraffa de tout fon cœur: ils envoyerent fçavoir fi le Comte de Dévonshire étoit chez lui; on vint lui dire que non; c'est ce qu'ils demandoient. Ils y furent auffi-tôt; il étoit déja revenu. Cette nouvelle penfa les defefperer, leur Caroffe étoit entré dans la cour, au lieu de defcendre ils s'amuferent à regler ce qu'ils devoient faire l'un vouloit monter tout droit dans la Chambre de la Comteffe de Dévonshire, l'autre vouloit qu'on ne vit perfonne & qu'on s'en retournât son les regardoit par les fenêtres qui difputoient comme des gens en colere: enfin le Comte de Warwick gagna fur le General qu'il defcendroit feul, que fa vifite feroit fort courte, & qu'il ne parleroit point de la maifon de campagne; ce qu'ils avoient reglé enfemble fut exactement executé ; le General paffa un moment avec Milord de Dévonshire qui lui parut auffi long qu'une année; il rentra dans fon Caroffe comme un poffedé. Je fuis au defetpoir, dit il au Comte, je trouve à mon chemin des ob

ftacles infurmontables, n'eft-ce que pour moi qu'ils font faits ? J'avois toûjours entendu parler de l'amour comme d'une paffion douce, qui caufoit de grands plaifirs & rarement des peines: Je croyois qu'il fuffisoit d'aimer pour fe voir aimé, pour fe le dire, pour faire des parties de promenade enfemble; j'ai connu mille gens qui alloient de plein pied chez leurs Maîtreffes, & mille Maîtreffes que l'on ne connoiffoit que par le nom & le mérite de leurs Amans; A mon égard toutes les regles font changées; je trouve par tout des dragons à combattre, je n'ai pu parler à celle que j'adore, & ma patience eft mife à la plus rude épreuve : C'en eft fait, Milord, je fuis las d'une vie fi differente de celle que j'ai menée jufqu'à présent, je ne veux plus fonger qu'à ma premiere liberté ; c'est elle qui fera mon unique maîtreffe, & je me trompe si je m'en fépare jamais.

Il auroit parlé avec la même véhémence le refte du jour, fi en arrivant à Withall, ils n'cuffent pas trouvé le Roy qui rentroit; le Comte de Warwick fatigué des lamentations du General & plein de dépit de n'avoir pas vû la Comteffe, fe hâta de joindre fa Majefté, qui l'ayant vû defcendre de Caroffe, lui dit tout bas: D'où venez-vous? Sire, repliqua le Comte, vôtre Majefté le peut bien fçavoir puifque je fuis avec le General. Je vous entends, dit-il : mais vous avez E j

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