Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Pour arracher mon cœur au penchant qui l'attire,
Je me fuis dit cent fois tout ce qu'on peut me dire.
J'ai fui mon ennemie. Hélas! loin de fes yeux,

L'Amour qui me pourfuit, ne triomphoit que mieux;
Et me l'offrant fans ceffe avec de nouveaux charmes,
Le cruel, contre moi tournoit mes propres armes,
L'affreufe jaloufie agiffant à fon tour,

Me fit précipiter, & cacher mon retour.
J'arrive; & dans l'inftantiant chez Aftérie....
Quelle fut ma douleur, ou plûtôt ma furie!

Je furpris des difcours qui fembloient m'annoncer,
Qu'un Rival plus heureux l'aime fans l'offenfer.

ODMAR.

Que dîtes-vous, Seigneur?

TAMERLAN.

Honteux de ma foibleffe,

Je voulus m'affranchir d'une indigne tendresse,
Tout fembla fucceder à mes nouveaux defirs.
Mon cœur moins agité retenoit fes foûpirs;
Et prefque indifferent en voyant ma Captive,
J'espérois rappeller ma raison fugitive.
Quelle erreur réveillant mes sentimens jaloux,
Au flambeau de la haine alluma mon courroux!
D'un charme féducteur croyant mieux me défendre,
Contre un objet aimé, j'ofai tout entreprendre.
Du fuperbe Ottoman j'augmentai les malheurs :
Aftérie en frémit, & fit parler fes pleurs.
On m'y crut infenfible; & le penfant moi-même,
J'applaudis en secret à ma rigueur extrême.

C'eft ainfi qu'effayant d'inutiles efforts,

De l'Amour déguisé je suivois les transports.
Mes yeux fe font ouverts; & j'ai lû dans mon ame
Le triomphe certain d'une funefte flâme.
D'un chimérique efpoir mon cœur défabufé,
A remplir fes deftins s'eft enfin difpofé.
Mais toujours un rival présent à ma mémoire,
Sembloit avec mes feux intéreffer ma gloire.
Pour rompre fes projets, pour affurer les miens,
J'ai voulu que l'hymen me prêtât fes liens.
ODMAR.

D'un vaincu, d'un captif, la fille infortunée!
TAMERLAN.

Oui, j'allois à fon fort unir ma deftinée,
Si ce même Captif, démentant fa fierté,
Eût pû donner un frein à fa témerité.
J'avois exprès mandé cet ennemi farouche;
J'allois me découvrir : il m'a fermé la bouche;
Et fes emportemens, que je devrois punir,
M'ont fait d'un foin plus doux perdre le fouvenir.
Que faire cependant? Haine, Dépit, Vengeance,
Amour, pour m'accabler, tout eft d'intelligence.
Bajazet!.... Aftérie! .... O vœux irréfolus!
O trouble affreux d'un cœur qui ne fe connoit plus!
ODMAR.

Je l'avoûrai, Seigneur, on ne peut que vous plaindre;
Mais, parmi tant de maux, il vous en refte à craindre;
Car ne vous flattez pas ; je connois Bajazet :

Qu'il n'apprenne jamais ce funeste secret,

Du moins, (& c'eft affez que l'amour vous furmonte;) D'un refus trop fenfible épargnez-vous la honte.

TAMERLAN.

Ah! Si jufqu'à ce point il osoit m'irriter!

ODMAR.

Qui méprise la mort, n'a rien à redouter.
D'ailleurs, que produiroit une aveugle furie?
Pourriez-vous immoler le pere d'Aftérie ?
Penfez-vous que fon fang, par vos mains répandu,
Vous rendroit le repos que vous avez perdu?
11 eft, Seigneur, il eft une plus noble voye.
L'Amour triomphe : ofez lui disputer sa proïe.
Pour brifer les liens que fa main a formés,
Eloignez de vos yeux ce qui les a charmés.
Andronic va bien-tôt retourner dans la Grece;
Confiez-lui le foin d'y mener la Princesse.

TAMERLAN.

Andronic! Trifte objet d'un éternel courroux,
Qui, contre Bajazet a conduit tous mes coups;
Lui, qu'elle ne peut voir fans répandre des larmes ;
Lui, qui vint implorer le fecours de mes armes,
Quand fon Pére, déja vaincu par Bajazet,
'Alloit, fans mon appui, devenir fon fujet!
Non; ne lui faifons point cette nouvelle offense.

Mais, que vois-je! Grand Dieu ! C'eft elle qui s'avance.

SCENE V.

TAMERLAN, ASTE'RIE, ODMAR, GARDES.

E

ASTERIE.

H bien, Seigneur! mon pere a paru devant vous;
Ne peut-il inspirer des Sentimens plus doux ?
Accablé fous le poids d'une honteuse chaîne,
Dans le fein du malheur est-il digne de haine?
Et lorfqu'après fix mois vous voulez lui parler,
Ne voyez-vous fes maux, que pour les redoubler?
TAMERLAN.

Non, Madame ; à regret je vois couler vos larmes.
Ce jour alloit finir de trop longues allarmes,
Bajazet, de fon fort arbitre déformais,

Sortoit de fa prison pour n'y rentrer jamais ;
Il remontoit au Trône : Enfin ce jour, peut-être,
De mon propre deftin l'auroit rendu le maître.

Pour fléchir fon orgueil', que n'ai-je point tenté ?

Il brave également ma haine, & ma bonté.

[ocr errors]

Qu'il jouiffe à loifir des fruits de fon audace!
Le moment eft paffé pour obtenir sa grace:
S'il porte encor des fers que j'ai voulu brifer,
Ce n'eft pas moi, c'eft lui qu'il en faut accufer.

ASTE'RIE.

Ah! Seigneur, s'il eft vrai que plaignant ma mifere,
Vous fongiez en effet à me rendre mon Pere,
La fierté d'un Captif vous doit-elle émouvoir?
Ne pardonne-t-on rien à l'affreux défefpoir?
Avez-vous oublié fa fortune premiére?

[ocr errors]
[ocr errors]

Il voioit fous fes loix la Terre prefque entiére.
Vous feul, interrompant le cours de fes deftins,
Fêtes un malheureux du plus grand des Humains.
Quel revers! Les horreurs d'un indigne efclavage
De Bajazet vaincu, devinient le partage.
Il parle en maître encor, lorfqu'il faut obéir:
Mais enfin un grand cœur ne fçait point se trahir.
Hélas! J'avois penfé qu'Ennemi magnanime,
Vous-même approuveriez la vertu qui l'anime;
J'ai crûque, repentant d'une injufte rigueur,
Vous alliez nous montrer un généreux Vainqueur;
J'attendois en ce jour le terme de ma peine;
Et ce jour plus fatal ajoûte à votre haine.

TAMER LA N.

Je n'ai point mérité ces reproches honteux;

[ocr errors]

Votre pere, lui feul, a trompé tous nos vœux:

Mais, quand vous gémiffez du malheur qui l'accable,
D'un pareil fentiment le croyez-vous capable?

Privé depuis fix mois du plaifir de vous voir, mod
Devoit-il mépriser ce favorable espoir?

Le foin de m'outrager templit route fon ames
Il veut fe perdre: Eh bien, il périra, Madame;

« AnteriorContinuar »