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guerre, que nos Chevaliers errans trouvoient dans leurs voyages, le hafard leur offroit fouvent encore, dans les lieux écartés où ils paffoient, des crimes à punir, des violences à réprimer, & des moyens de fe rendre utiles en pratiquant ces fentimens de juftice & de générosité qu'on leur avoit infpirés. Toujours armés pour l'affiftance qu'ils devoient aux malheureux, pour la protection & la défenfe qu'ils avoient promises aux hommes & aux femmes, on les voyoit voler de toutes parts, dès qu'il étoit question d'acquitter le ferment de leur Chevalerie. Mais puifque nous fommes fur le chapitre des abus que pouvoient commettre des hommes exerçans le droit de marcher par-tout avec des armes puiffantes, & de les employer à leur volonté ; pouvonsnous croire qu'ils n'en aient fouvent détourné l'ufage légitime pour les faire fervir à leur intérêt perfonnel, à leur paffion particulière? Les divers portraits que nous

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voyons de nos Chevaliers errans, ne nous donnent que trop de fujet de défiance fur la conduite que tenoient plufieurs d'entre eux.

Mais fans nous étendre davantage fur ces chercheurs d'aventures, qui furent dans la Chevalerie ce que les Girovagues étoient dans l'ordre monaftique, la Religion n'étoit pas mieux fervie que l'Etat par la plupart des autres Chevaliers. Ils avoient fait voeu de défendre, de maintenir & d'exalter l'un & l'autre ; ils avoient été revêtus par les églifes, des titres de Vicomte, d'Avoué & d'autres femblables: cependant ils ne difcontinuèrent prefque jamais d'en abufer, au préjudice de ceux-mêmes qui s'étoient mis fous leur fauvegarde. Protecteurs de nom (8), op- (8) preffeurs réels, quelques-uns d'entr'eux firent passer une grande partie des biens eccléfiaftiques dans des mains qui ne devoient s'armer que pour les défendre : en effet nos Jurifconfultes ne donnent point d'autre origine aux dixmes inféo

dées. Les Clercs & les Religieux, dépouillés de leurs domaines, eurent souvent occafion de déplorer leur fort, & de s'appliquer l'apologue du courfier, qui cherchant un aide pour fervir fa vengeance, ne trouva qu'un maître qui lui fit perdre fa liberté.

On a vû dans le commencement de ces Mémoires, quelles étoient les premieres leçons que l'on donnoit dès l'enfance aux jeunes gens qui fe deftinoient à la Chevalerie; on ne fera point étonné de voir les fruits qu'elles produifirent. Une (9) religion toute fuperftitieufe (9) fembloit être l'unique règle de leur conduite; ils ne connoiffoient que des pratiques extérieures re(10) commandées par des Prêtres (10), la plûpart prefque auffi ignorans que ceux dont ils gouvernoient les confciences.

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Aftraints fcrupuleufement à des obligations journalières (1), dont on ne les vit prefque jamais fe difpenfer, ils croyoient par cette régularité, & par quelques dons faits

aux Eglifes & aux Moines, être en droit de violer dans tout le refte les loix du Christianisme, toujours inféparables de la pureté des moeurs, de la bonne foi & de l'humanité. Des Chevaliers fouillés de crimes fe flattoient d'avoir un moyen facile de les expier à la première occafion qui s'offroit d'aller faire un pélérinage dans les lieux Saints ou quelque expédition, foit contre des infidèles, foit contre des hérétiques. Si ce remède leur manquoit, ils ne doutoient point qu'ils ne pûffent fe mettre à couvert de la vengeance divine, lorfqu'à la fin de leurs jours, quittant le cafque pour prendre le froc, ils fe feroient enveloppés du manteau de quelque ordre monaftique (12) : fou- (12) vent même ils fe contentoient d'ordonner, en mourant, qu'on les revêtît après leur mort de ces refpectables habits. Un trait du brave Etienne Vignoles, dit Lahire, achevera de nous faire connoître quelle forme la religion avoit prife dans l'efprit des gens de guerre:

du

il alloit avec le comte de Dunois, pour faire lever le fiege de Montargis, en 1427: Quand Lahire approcha du fiége, (c'eft-à-dire, camp des Anglois, qui tenoient la ville affiégée)....il trouva un Chapelain auquel il dit qu'il lui donnaft hativement l'abfolution; & le Chapelain lui dit qu'il confeffat fes péchés. Lahire lui répondit qu'il n'auroit pas loifir, car il falloit promptement frapper fur l'ennemi, & qu'il avoit fait ce que gens de guerre ont accoûtumé de faire; fur quoi le Chapelain lui bailla l'abfolution telle quelle, & lors Lahire fit fa prière à Dieu en difant en fon gafcon, les mains jointes: Dieu. je te prie que tu faffes aujourd'hui pour Lahire autant que tu voudrois que Lahire fift pour toi s'il étoit Dieu & tu fuffes Lahire; & il cuidoit, ajoûte T'hiftorien, très-bien prier & dire.

Nos anciens Chevaliers mêloient tellement la galanterie avec leur religion, qu'on nous pardonnera de ne les jamais féparer. Si leur chriftianifme n'étoit qu'un amas déplorable de fuperftitions, nous

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