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il s'étoit déjà fait de trop fréquentes promotions dans les Tournois, furent multipliés à l'infini dans ces funeftes guerres. Le peuple, fous l'augufte nom qui dans l'origine n'avoit été donné qu'à fes défenseurs & à fes juges, vit tous les jours accroître le nombre de fes tyrans, contre lefquels il crut même quelquefois être obligé de s'armer, comme on le vit fous les rois Jean & Charles V.

Plus les Chevaliers perdoient de leur confidération (23) par leur mul- (23) titude, plus ils s'efforçoient de la regagner par la violence avec laquelle ils ufoient d'une autorité qui leur échappoit ; & d'autant plus jaloux de ce rang qu'ils en étoient moins dignes, ils exercèrent en conquérans le même pouvoir que les premiers auteurs de la Chevalerie n'avoient exercé qu'à titre de patrons & de bienfaiteurs. S'il leur arrivoit de fuccomber fous le poids de leurs iniquités, ce n'étoit fouvent que pour être remplacés par un autre ordre d'hommes, peutTome II.

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être encore plus pervers & plus corrompus. L'ignorance profonde (24) dans laquelle vivoient les Chevaliers; car plufieurs d'entre eux ne favoient pas même lire; cette ignorance les forçoit d'abandonner le foin de leurs affaires, comme ils avoient abandonné l'adminiftration de la Juftice à des Baillis & à d'autres Officiers qui étoient à leurs gages. Entraîné par eux dans des procès injuftes, enveloppé à deffein dans les détours d'une procédure qui fouvent étoit foûtenue par des actes de violence, un Che valier ne pouvoit plus fe dérober à la rigueur des loix que par le fecours de ceux qui avoient été les inftrumens & les miniftres de fes injuftices; & ceux-ci le faifoient fouvent tomber dans le piège qu'ils lui avoient tendu, pour s'approprier les débris de fa fortune & pour s'élever fur la ruine de leur maître. Ainfi ces odieux Chevaliers, ces nouveaux tyrans du peuple en trouvoient eux-mêmes de plus dangereux dans des espèces de Clercs ou

Eccléfiaftiques ( car les Officiers dont je parle, étoient presque tous de cet ordre) hommes ignorans & fans moeurs, qui, peu inftruits des lettres profanes, & moins encore de l'Ecriture fainte, ne connoiffoient que les calculs de la finance, & les fubtilités de la chicane (25) qu'ils avoient apportées des pays ultramontains.

Malgré les defordres de ceux qui profeffoient la Chevalerie, elle ne laiffoit pas de fe foûtenir à la faveur d'une ancienne réputation fondée fur la fageffe de ces loix & fur la gloire de quelques-uns de fes héros. Peut-être même qu'avec tous les abus qui fembloient tendre à fa deftruction, elle auroit fubfifté long-tems, fi d'autres caufes que nous tâcherons de développer ici, n'avoient enfin produit få décadence & fa chûte.

Notre histoire nous préfente fur le trône plufieurs Princes qui furent à la fois les modèles & les protecteurs de la Chevalerie; mais de tous ces illuftres Monarques, les

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plus propres, ce me femble, à la faire fleurir, furent Charles VI Charles VII & François I.

Charles VI ne refpiroit que la guerre au fortir de fon enfance une victoire éclatante avoit fignalé fes premières armes ; & fa paffion pour les Tournois lui attira fouvent des reproches très-férieux, dans un tems où les Tournois étoient le plus en honneur. Contre l'usage ordinaire des Princes(6), & fur-tout des Rois, il s'y méfuroit avec les plus braves & les plus adroits joûteurs, fans examiner's'ils n'étoient point d'une naissance trop difproportionnée à son rang; il compromettoit fa dignité; il exposoit témérairement fa vie en fe mêlant avec eux. Jufqu'à la fin de fon règne, en 1414, malgré l'état déplorable de fa fanté, Charles VI ranimoit les reftes d'une vigueur prefqu'éteinte pour fe montrer encore les armes à la main : il voyoit avec complaifance dans le duc de Guyenne fon fils, un digne émule de fon adreffe & de

fon amour pour les exercices de la Chevalerie. Perfonne n'ignore ce que fit Charles VII fon fucceffeur pour arracher aux Anglois les plus belles provinces de la Monarchie. Cette époque eft gravée en caractères ineffaçables dans l'efprit & dans le coeur d'une nation tendrement attachée à fes légitimes Souverains, & dont le deftin fera toujours de ne pouvoir être heureufé qu'autant qu'ils règneront fur elle.

François I. vainqueur à Marignan (27) d'une nation jusque-là re- (27) gardée comme invincible, paffa prefque toute fa vie dans les camps & dans les armées. Sa bravoure, fa probité, fa franchife, fa générofité, fa galanterie, tout jufqu'à fa taille, à fa phyfionomie ouverte & martiale, l'eût fait choisir par l'antiquité romanefque pour le chef de fes Paladins ; & fon nom infcrit dans la lifte des neuf Preux (28) ne (28) l'auroit point déparée. Qui croiroit que fous trois règnes qui devoient naturellement être fi favo

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