jetté la France dans la confternation, & peut-être encore d'en attirer d'autres femblables. Les Tour(36) nois, ces refforts (36) fi puiffans pour faire mouvoir les Chevaliers, ayant ceffé prefque totalement, entraînèrent par leur chûte celle de la Chevalerie même. La valeur Françoife, toujours bouillante dans le fein même d'une Cour voluptueufe, n'étant plus occupée des exercices des Tournois, ni retenue dans les bornes du devoir par les fages loix de l'ancienne Chevalerie, dégénera bien-tôt en une aveugle fureur pour les duels les Tournois de plaifance & les joûtes de courtoifie fe convertirent malheureusement en gages de bataille, en combats à outrance qui, joints aux guerres civiles, furent près de détruire la noblesse Françoise.

Nous avons représenté jufqu'ici, le mieux qu'il nous a été poffible, l'ancienne conftitution de notre Chevalerie, fes avantages & fes inconvéniens, fes profpérités & fes

revers; nous n'avons rien omis de ce qui pouvoit faire juger du caractère dominant-des Chevaliers, des Nobles & de ceux qui fuivoient la profeffion des armes. Si nous ne féparons point ces trois états, c'est que les preuves par lefquelles on voudroit en établir la diftinction, ne font rien moins que décifives & que tous trois furent également compris fous le terme de Milites.

De célèbres écrivains, qui, dans l'étude de notre hiftoire, fe font attachés fur-tout à démêler les principes & le fyftème de l'ancien gouvernement, pourront exercer leur critique fur les faits que nous avons expofés: heureux fi ce tableau facilitoit à ces rares génies les moyens de remonter aux premières fources de tant de défordres qui naquirent du sein même de la Chevalerie, malgré la fageffe de fes règlemens. C'est affez pour nous de finir cette longue fuite de récits hiftoriques par quelques réflexions fur l'ignorance & la barbarie dans laquelle fe plongèrent les Cheva

liers, principalement depuis qu'ils eurent abandonné les glorieufes fonctions de la juftice. Sans craindre de paroître trop prévenus en faveur des Lettres, nous tâcherons de faire voir qu'on leur doit, en partie, la réforme qui s'est introduite dans les moeurs de notre Nation. Ne craignons point de le dire, ce font les Lettres, qui commençant à répandre dans le coeur des hommes les premières femences de douceur & d'humanité, fi néceffaires pour les rapprocher, les concilier, & les unir, accoûtument par degrés les efprits à la réflexion & au raisonnement; car le goût qu'elles nous donnent eft-il autre chofe que l'ufage des règles de la droite raison, pour juger des productions du génie, & des ouvrages de l'art?

tels

Si les anciens Chevaliers qui, dans tous les préambules des carpour les Tournois, ne paroiffent avoir en vûe que de fuir l'oifiveté, avoient connu le prix d'un heureux loifir employé avec éco

nomie au délaffement du corps, à la culture de l'efprit (37) & de la (37) raison, ils auroient ouvert les yeux fur eux-mêmes; ils fe feroient convaincus qu'il n'eft ni plus nécessaire ni plus noble d'endurcir fon corps aux travaux de la guerre, que de former fon coeur & fon efprit aux vertus & aux talens de la fociété. Mais leur goût n'étoit cultivé que par la lecture des ouvrages de leurs Trouvères & Jongleurs gens groffiers & libertins qui fans ceffe courant le monde, la plupart pour gagner leur vie (38), n'avoient (38) pas le temps de puifer dans les fources pures de l'antiquité, les principes raifonnés du bon goût & de la morale. Inftruits par de meilleurs maîtres & formés fur des modèles moins imparfaits, nos Chevaliers euffent appris que ce ne font point quelques traits de feu ou de génie, jettés au hasard; mais la justeffe des idées & l'heureux accord du tout avec fes parties, qui rendent un ouvrage digne de l'eftime des connoiffeurs. Dans la fuite ils

(39)

auroient pû facilement appliquer à la morale (39) cette règle immuable & univerfelle : ils auroient reconnu que la pratique fcrupuleufe de quelques devoirs, & des actes de quelques vertus éclatantes portées au plus haut degré, mais accompagnées de tous les excès d'une vie fcandaleufe ou criminelle, ne produisent qu'un affemblage monstrueux; & qu'il n'eft de folide vertu que dans la pratique uniforme & conftante de tous les devoirs de la religion, de la morale & de l'état qu'on a embraffé ; ils fe feroient convaincus que c'eft uniquement par le cours d'une vie innocente ou du moins exempte des crimes, qu'on peut mériter véritablement le titre d'hommes vertueux. Gémiffons fur le fort de notre ancienne Chevalerie dont nous ne pouvons trop admirer les loix & la morale ; & difons que fi elle eût trouvé, dans des fiecles plus heureux, une nation telle que les Athéniens, ou que celle qu'on leur a fi fouvent & fi juftement compa