Imágenes de páginas
PDF
EPUB

feroient-ils pas aimez ? Que de rapports entre eux! Mêmes inclinations, même ardeur de fçavoir & de s'inftruire, même droiture dans le cœur, même zele pour la gloire, même caractere de douceur; douceur qui ne leur ôtoit rien de cette noble fierté, dont l'heureux mélange fait paroître certains hommes au- deffus des autres. Parvenus à la fleur de leur âge, leur taille majeftucuse, leur beauté mâle, leur front ou vert & prévénant, infpiroient en leur faveur les fentimens d'une affection refpectueufe, dont les Grands font fi jaloux, fans fon ger à la mériter.

La nature ébauche les grands Hommes par les dons précieux 'dont elle les décore; mais ils ont befoin d'une éducation qui les perfectionne, & d'exemples propres à leur donner de l'émula

tion; les exemples domestiques font toujours les plus puiffans. Raoul & Roger eurent tous ces avantages. Une fimple idée d'Enguerrand de Couci, pere de Raoul; de Henri de Rethel, oncle de Roger, fuffira pour convaincre de cette verité.

Enguerrand de Couci, furnommé le Grand, avoit été Favori de Louis le Jeune : il en étoit digne par l'étenduë de son génie, par fa prudence, par fa profonde politique, par une fermeté d'ame héroïque, enfin par la profa bité. Ennemi de la flaterie, il ofoit montrer à son Roi, la verité; quelque défagréable qu'elle fût, il la préfentoit toute nuë. quand fa vûë devoit produire un effet ou utile, ou glorieux, comme il fçavoit la cacher, lorfque fon afpect ne pouvoit caufer que des defirs impuiffans, ou des re

grets

grets fuperflus. Ses vaftes connoiffances lui faifoient prévoir les événemens les moins attendus & les plus reculez. Quelque cachées qu'en fuffent les caufes, elles n'échappoient point à fa pénétration: fa politique prévcnoit quelques-uns de ces événemens, fa fageffe portoit le remede convenable aux autres; le fuccès répondoit prefque toujours aux deffeins d'un homme fi éclairé & fi judicieux. Enguerrand étoit fier, ambitieux, hazardant de tomber plutôt que de ne pas renverfer tout ce qui le choquoit. Jaloux de la confiance de fon Roi, qu'il méritoit, & que peu de perfonnes méritoient autant que lui, on le regardoit comme le fléau de ceux qui, dans le gouvernement des affaires, étoient plus attentifs à leurs intérêts qu'à ceux de l'Etat: enfin il étoit

Tome I.

B

affez grand, pour préferer la difgrace à la faveur, s'il eût fallu l'acheter aux dépens de la gloire de fon Roi. Il avoit pour principe qu'un Miniftre en répond à I'Univers; que comme il la partage avec fon Souverain, il doit rougir comme lui, quand quelque chofe la bleffe. Il accordoit rarement fon amitié ; le feul homme de la Cour qui l'avoit entierement acquife, étoit Henri de Rethel, oncle de Roger. Ceux qui ne connoiffoient pas parfaitement ces deux hommes illuftres, devoient être étonnez d'une union fi intime.

La vertu d'Enguerrand le faifoit craindre & admirer; celle de Henri le faifoit chérir & refpecter. Henri étoit doux & bienfaifant, lent à blâmer, prompt à loüer, égal dans le commerce de fes amis, brave fans oftentation,

experimenté dans l'art de la Guerre, tranquile dans les revers, modefte au fein de la Victoire, toujours, par cet heureux caractere, en état de profiter ou de réparer il étoit à la Cour comme dans fon domeftique, fimple & d'un abord facile; il voyoit, fans nul chagrin, les ambitieux, ardens à fe pouffer, à demander, & à obtenir : il falloit que les graces vinffent au-devant de lui; & quand il en recevoit, il les regardoit plutôt comme un effet de la bonté de fon Souverain, que comme la récompense de ses fervices. Rien ne pouvoit ni l'humilier, ni lui donner de vanité. Jamais il ne fut foupçonné d'un orgueil rafiné, & caché fous des manieres fi fimples : les hommes, dans une longue vic, paffée à la Cour, fe démafquent dans quelques occafions; la ré

« AnteriorContinuar »