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CHAPITRE X.

Dont la matiere eft inépuisable.

REGARDONS du côté de la ville, & à

mefure que je découvrirai des fujets dignes d'être mis au nombre de ceux qui font ici, je vous en dirai le caractere. J'en vois déjà un que je ne veux pas laiffer échapper. C'est un nouveau marié. Il y a huit jours que, fur le rapport qu'on lui fit des coquetteries d'une aventuriere qu'il aimoit, il alla chez elle plein de fureur, brifa une partie de fes meubles, jetta les autres par les fenêtres, & le lendemain il l'époufa. Un homme de la forte, dit Zambulo, mérite affurément la premiere place vacante dans cette maison.

Il a un voisin, reprit le Boiteux, que je ne trouve pas plus fage que lui. C'est un garçon de quarante-cinq ans, qui a de quoi vivre, & qui veut fe mettre au fervice d'un grand. J'apperçois la veuve d'un jurisconfulte. La bonne dame a douze luftres accomplis. Son mari vient de mourir. Elle veut fe retirer dans un couvent, afin, ditelle, que fa réputation foit à l'abri de la médifance.

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Je découvre auffi deux pucelles, pour mieux dire, deux filles de cinquante ans. Elles font des voeux au ciel, pour qu'il

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ait la bonté d'appeller leur pere, qui les tient enfermées comme des mineurs. Elles efperent, qu'après fa mort, elles trouveront de jolis hommes qui les épouseront par inclination. Pourquoi non, dit l'Ecolier? Il y a des hommes d'un goût fi bizarre. J'en demeure d'accord, répondit Afmodée. Elles peuvent trouver des époufeurs; mais elles ne doivent pas s'en flatter. C'eft en cela que confifte leur folie.

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Il n'y a point de pays où les femmes fe rendent juftice fur leur âge. Il y a un mois, qu'à Paris une fille de quarante-huit ans & une femme de foixante- neuf, allerent en témoignage chez un commiffaire, pour une veuve de leurs amies dont on attaquoit la vertu. Le commiffaire interrogea d'abord la femme mariée, & lui. demanda fon âge. Quoiqu'elle eût fon extrait-baptiftaire écrit fur fon front, elle ne laiffa pas de dire hardiment, qu'elle n'avoit que quarante ans. Après qu'il l'eut interrogée, il s'adrefla à la fille: Et vous, Mademoiselle, lui dit-il, quel âge avezvous ? Paffons aux autres queftions, monfieur le commiffaire, lui répondit-elle, on ne doit point nous demander cela. Vous n'y pensez pas, reprit-il. Ignorez - vous qu'en juftice..... Oh! il n'y a justice qui tienne, interrompit brufquement la fille ! Eh! qu'importe à la juftice de favoir quel âge j'ai ? Ce ne font pas fes affaires. Mais je ne puis, dit-il, recevoir votre dépe

fition, fi votre âge n'y eft pas. C'eft une circonftance requife. Si cela eft abfolument néceffaire, répliqua-t-elle, regardez-moi donc avec attention, & mettez mon âge en confcience.

Le commiffaire la confidéra, & fut affez poli pour ne marquer que vingt-huit ans. Il lui demanda enfuite, fi elle connoiffoit la veuve depuis fi long-temps. Avant fon mariage, répondit-elle. J'ai donc mal coté votre âge, reprit il, car je ne vous ai donné que vingt huit ans, & il y en a vingt-neuf que la veuve eft mariée. Hé bien s'écria la fille, écrivez donc que j'en ai trente. J'ai pu à un an connoître la veuve. Cela ne feroit pas régulier, répliqua-t-il ajoutons-en une douzaine. Non pas, s'il yous plaît, dit-elle; tout ce que je puis faire pour contenter la juftice, c'est d'y mettre encore une année; mais je n'y mettrois pas un mois avec, quand il s'agiroit de mon bonheur.

Lorfque les deux dépofantes furent forties de chez le commiffaire, la femme dit à la fille: Admirez, je vous prie, ce nigaud qui nous croit affez fottes pour lui aller dire notre âge au jufte. C'eft bien affez vraiment, qu'il foit marqué fur les regiftres de notre paroiffe, fans qu'il l'écrive encore fur fes papiers, afin que tout le monde en foit inftruit. Ne feroit-il pas bien gracieux pour nous, d'entendre lire en plein barreau: madame Richard, ágée

de foixante & tant d'années, & mademoi felle Périnelle, âgée de quarante-cinq ans, dépofent telles & telles chofes. Pour moi, je me moque de cela. J'ai fupprimé vingt années à bon compte. Vous avez fort bien fait d'en ufer de même.

Qu'appellez vous de même, répondit la fille d'un ton brufque? Je fuis votre fervante. Je n'ai tout au plus que trente-cinq ans. Hé! ma petite, répliqua l'autre d'un air malin, à qui le dites-vous? Je vous ai vu naître. Je parle de long-temps. Je me fouviens d'avoir vu votre pere. Lorfqu'il mourut, il n'étoit pas jeune, & il y a près de quarante ans qu'il eft mort. Oh! mon pere, mon pere, interrompit avec précipitation la fille irritée de la franchise de la femme ; quand mon pere épousa ma mere, il étoit fi vieux qu'il ne pouvoit pas faire d'enfants.

Je remarque dans une maison, poursuivit l'efprit, deux hommes qui ne font pas trop raisonnables. L'un est un enfant de famille, qui ne fauroit garder d'argent ni s'en passer. Il a trouvé un bon moyen d'en avoir toujours. Quand il eft en fonds, il achete des livres ; & dès qu'il eft à fec, il s'en défait pour la moitié de ce qu'ils lui ont coûté. L'autre eft un peintre étranger, qui fait des portraits de femmes. Il eft habile. Il deffine correctement. Il peint à merveille, & attrape la reffemblance. Mais il ne flatte point; & il s'imagine qu'il aura la presse, Inter ftulos referetur.

Comment donc, dit l'Ecolier, vous parlez latin! Cela doit-il vous étonner, répondit le Diable? Je parle parfaitement toutes fortes de langues; je fais l'Hébreu, le Turc, l'Arabe & le Grec. Cependant je n'ai pas l'efprit plus pédantefque. J'ai cet avantage fur vos Erudits.

Voyez, dans ce grand hôtel, à main gauche, une dame malade, qu'entourent plufieurs femmes qui la veillent. C'est la veuve d'un riche & fameux architecte une femme entêtée de nobleffe. Elle vient de faire fon teftament. Elle a des biens immentes qu'elle donne à des perfonnes de la premiere qualité, qui ne la connoissent feulement pas. Elle leur fait des legs à cause, de leurs grands noms. On lui a demandé fi elle ne vouloit rien laiffer à un certain homme qui lui a rendu des fervices confidérables. Hélas! non, a-t-elle répondu d'un air trifte, & j'en fuis fâchée. Je ne fuis point affez ingrate, pour refuser d'avouer que je lui ai beaucoup d'obligation mais il eft roturier; fon nom désho noreroit mon teftament.

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Seigneur Afmodée, interrompit Léan dro, , apprenez - moi de grace, fi ce vieillard, que je vois occupé à lire dans un cabinet, ne feroit point par hafard un homme à mériter d'être ici. Il le mériteroit fans doute, répondit le Démon. Ce perfonnage eft un vieux licencié, qui lit une épreuve d'un livre qu'il a fous la preffe.

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