Imágenes de páginas
PDF
EPUB

feaux doivent être foumifes à l'examen le plus fcrupuleux avant d'être mifes en pratique : & nous voyons tous les jours que les plus petites erreurs dans l'application de regles très-certaines & très-connues, produisent des défauts de la plus grande conféquence: c'eft pourquoi la prudence & le calcul doivent toujours ici guider & même corriger les efforts du génie.

Cette remarque regarde fur-tout les Conftructeurs qui ne feroient pas fuffifamment verfés dans la théorie pour appliquer directement le calcul aux Vaiffeaux qu'ils veulent conftruire: ce qui eft cependant d'une néceffité abfolue pour connoître la fituation de leurs centres, leur force pour porter la voile, les résistances tant directes que latérales qu'ils doivent éprouver dans le fluide, en un mot pour avoir une idée jufte de leurs qualités. Nos connoiffances phyfiques ne feront portées au degré de perfection dont elles font fufceptibles, que lorfque nous ferons affez avancés, non-feulement, pour pénétrer les caufes des phénomenes, mais encore pour calculer leurs effets. Dans L'ARCHITECTURE NAVALE, nous croyons qu'on doit fe défier beaucoup des changements qu'on peut être porté à faire à un Vaiffeau d'après la feule infpection de fon plan, fans les avoir préalablement foumis au calcul: il n'eft donné qu'aux Artistes d'une expérience confommée & éclairée par une bon ne théorie préliminaire, de fe diriger ainfi d'après le fimple coup d'œil & encore a-t-on vu fort fouvent des Vaiffeaux fort mauvais fortir des mains d'Ingenieurs dont on devoit attendre des ouvrages de la plus grande perfection, & cela pour avoir exécuté leurs Vaiffeaux d'après leur feule fpéculation, fans foumettre leur plan à un calcul rigoureux.

On trouvera dans cet Ouvrage tous les fecours qu'on peut defirer pour la connoiffance parfaite des grands objets que préfentent la Conftruction & la Manoeuvre des Vaiffeaux. Aucune des théories données jufqu'ici n'a fourni des résultats auffi conformes à l'expérience : & on peut même dire, que dans un

très-grand nombre de cas elles en font tout à fait éloignées.

Ceux des Géometres qui ne prennent pas un intérêt direct aux progrès de la Science Navale, trouveront cependant dans cet Ouvrage une foule d'objets qui affurément les intérefferont. La Science du mouvement des corps folides & des fluides y est préfentée d'une maniere abfolument nouvelle : la théorie du frottement & de la percuffion des corps n'avoit point encore été envifagée fous ce point de vue, du moins cela n'eft pas venu à notre connoiffance. Ainfi l'EXAMEN MARITIME peut être regardé comme un Ouvrage qui contient une foule d'objets de Méchanique générale tout à fait nouveaux.

Quant aux Lecteurs qui par état font obligés d'avoir recours à ́ces fortes d'ouvrages, fans cependant avoir les connoiffances de Géometrie & de Calcul que ces lectures exigent, nous leur confeillons de fe contenter de la lecture du Livre cinquieme du fecond Volume: parce que ce Livre contient en abrégé, & fans aucun calcul, tous les résultats du refte de l'Ouvrage, les maximes ou regles de pratique qui en découlent, & l'on a eu foin d'indiquer par des renvois les endroits où la théo-rie rigoureuse a été traitée.

C'est dans la vue d'être de quelque utilité aux progrès d'une Science que nous cultivons encore plus par goût que par état, que nous avons entrepris l'Ouvrage que nous publions aujourd'hui, & pour payer à la Société le tribut que tout Citoyen lui doit dans l'état où il eft placé. Afin de rendre cet Ouvrage plus utile nous nous fommes permis d'y faire quelques corrections & quelques additions; nous avons développé les idées qui ne nous ont pas paru préfentées avec affez de clarté : nous avons corrigé quelques calculs, & en avons fouvent indiqué l'efprit. Mais pour éviter tout reproche, nous avons prefque toujours indiqué nos changements dans les notes, afin de conferver le Texte dans l'état où l'Auteur l'a jugé digne de l'impreffion.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

L'INSTRUCTIO

INSTRUCTION. du Navigateur, fi nous en exceptons le petit nombre de principes fimples & élémentaires fur lefquels la Science du Pilotage eft fondée, a toujours confifté, jusqu'à ces derniers temps, dans les feules connoiffances que la pratique & l'expérience peuvent fournir. La Construction des Vaiffeaux & des autres Bâtiments a toujours été confiée à des hommes qui n'étoient gueres que de fimples Charpentiers; & la Manoeuvre, qui est l'art de donner au Vaiffeau tous les mouvements néceffaires, & de lui faire exécuter toutes les évolutions dont on peut avoir befoin, a été pareillement abandonnée à la routine la plus deftituée de principes. On ne croyoit pas même que ces deux branches de la Science du Marin euffent quelque rapport avec les Mathématiques, bien loin de penfer qu'elles dépendoient uniquement de la Méchanique, qui eft peut-être la plus difficile & la plus compliquée de toutes les Sciences. Mais il n'y a rien dans tout ceci qui doive étonner; l'Homme de Mer, environné de dangers, occupé tout entier de la pratique, excédé des travaux & des fatigues que fon état exige, ne trouve point le repos ni la difpofition d'efprit néceffaires pour une étude auffi étendue & auffi pénible; le Sçavant, qui a befoin d'une grande tranquillité pour ses méditations, ne cherche point à s'expofer aux fatigues extrêmes, aux inquiétudes & aux rifques dans lefquels l'autre paffe fa vie. L'expérience eft cependant un grand maître dont on apprend avec facilité des chofes qu'il eût été prefque impossible. de découvrir par la feule théorie. La difficulté de réunir les lumieres de la théorie à celles de l'expérience, en quoi confifte cependant:

A

:

la perfection d'une Science fi importante, eft caufe qu'elle eft restée pendant tant de fiecles dans les ténebres mais comme dans le fiecle préfent, les Mathématiques ont fait des progrès étonnants, & ont été introduites, avec un avantage fingulier, dans prefque tous les Arts & dans toutes les Sciences, il eût été contre l'ordre que la Marine n'eût pas joui du même avantage, ou au moins qu'on n'eût pas donné naissance à la perfection dont elle est fufceptible, & dont elle jouira fans doute par la fuite.

Dès l'année 1673, le Pere Pardies avoit donné fon Traité de Statique, ou de la Science des Forces Mouvantes, dans lequel on trouve, fous forme d'exemple, une détermination de la route que doit suivre un Vaiffeau pouffé par un vent latéral. Ce premier essai auroit pu fervir de guide pour s'avancer davantage dans une matiere fi abondante; néanmoins cette Science ne fit aucun progrès jufqu'à l'année 1689, où le Chevalier Renau donna un Ouvrage in-8°. intitulé, de la Théorie de la Manœuvre des Vaif feaux. Il suivit le sentier que lui avoit ouvert le P. Pardies; tous deux conviennent en ce que le chemin direct du Vaisseau eft moindre que celui qu'il feroit, s'il divifoit le fluide avec la même facilité par toutes fes parties, dans la raison du rayon au finus de l'angle que forme la voile avec la quille; & que le chemin latéral eft auffi moindre que ce même chemin, dans la raifon compofée de celle du rayon au cofinus du même angle, & de celle de la résistance du côté à celle de la proue. Mais, par malheur, le Chevalier Renau admettoit que les réfiftances étoient comme les quarrés des vîteffes des fluides, & comme les quarrés des finus de leur incidence fur les furfaces qu'ils choquent principe qui alors étoit reçu, presque fans la moindre répugnance, par les Géometres les plus célebres, & qui n'a pas même ceffé de l'être jufqu'à préfent. Ceci donna lieu au célebre Hollandais Chrétien Huygens d'exposer dans la Bibliotheque univerfelle & historique, ( année 1693.) les contradictions dans lesquelles étoit tombé le Chevalier Renau. Il lui fit voir que, felon fes principes, les vîteffes directes du

vent,

Vaiffeau devoient être beaucoup plus grandes, & que l'angle qu'il affignoit aux voiles, comme le plus avantageux pour gagner au n'étoit pas tel qu'on le déduifoit légitimement. M. Renau défendit fon opinion, (Journal des Sçavants, 1695) fondé fur le principe incontestable de la décompofition des forces; & comme Huygens ne répondit pas d'une maniere fatisfaifante à fes arguments,

il y eut, de part & d'autre, différentes répliques, fans qu'il fûe

poffible d'arriver à une conclusion, & de connoître de quel côté étoit la vérité. Cependant la difpute ceffa; & lorfque, par cette mifon, M. Renau fe croyoit plus affuré de fon opinion, il parut un Mémoire dans les Ades de Leipfic du mois de Juillet 1696, par Jacques Bernoulli, Profeffeur de Mathématiques à Groningue, dans lequel ce Sçavant admettoit l'opinion de Huygens, à quelques modifications près. Le point où il s'en écarta, fut en ne fuppo fant pas la vîtesse du vent comme infinie à l'égard de celle du Naiffeau; erreur dans laquelle étoient tombés les deux autres ; & c'eft pour cela que fes résultats font en partie différents de ceux de Huygens. Le Chevalier, provoqué par cette nouvelle attaque, mit au jour un Ouvrage intitulé, Mémoire où eft démontré un principe de la Méchanique des liqueurs, dont on s'eft fervi dans la Théorie de la Manoeuvre des Vaiffeaux, & qui a été contefté par M. Huygens; mais il fe réduit à foutenir fa propofition fur la décompofition du mouvement, fans fatisfaire à la tâche que lui avoie imposée Huygens. Jean Bernoulli, frere de celui dont nous venons de parler, Profeffeur de Mathématiques à Bafle, se déclara d'abord pour l'opinion du Chevalier; mais enfuite, ayant apporté plus d'at→ tention à cet objet, il adopta le fentiment de Huygens, & publia en 1714 un Livre intitulé, Effai d'une nouvelle Théorie de la Manœuvre des Vaiffeaux, après l'avoir foumis à la cenfure de F'Académie Royale des Sciences de Paris. La fublime Géométrie de l'Auteur, fit qu'il étendit fes calculs beaucoup plus loin qu'on ne l'avoit fait jusqu'alors; & la difpute, entre MM. Renau & Huygens, demeura décidée, fuivant l'avis général des Sçavantes

« AnteriorContinuar »