Enfin ce qui surprit & confierna le Senat, c'est qu'Appius oubliant sa propre gloire, & celle de ses ancêtres, n'eut point de honte , pour flater les anciens Tribuns ausquels il avoit vendu sa foi , de proposer trois Plebeïens pour Decemvirs, sous prétexte qu'il étoit juste qu'il y eût quelqu'un dans ce College, qui veillât aux interêts du peuple. Il y fit entrer Q. Petilius, C. Duellius & Sp. Oppius, tous trois Plebeïens exclus par leur naissance de ces premieres Magistratures, & qui n'y parvinrent que parce qu'ils y avoient porté eux-mêmes Appius par tous les suffrages du peuple, dont ils disposoient à leur gré, & qu'ils avoient déterminez en fa faveur, suivant leurs conventions se cretes. An de Ro- Appius se voyant enfin parvenu me 303: par sa dissimulation & ses intrigues, à la tête du Décemvirat, ne fongea plus qu'à rendre sa domination perpetuelle ; il assembla aufli-tôt ses nouveaux Collegues qui tous lui étoient redevables de leur Dignité. Pour lors mettant bas le marque de Républicain , il leur representa que que de rien ne leur étoit plus aisé retenir toute leur vie la souveraine Puissance ; qu'ils étoient revétus d'une commission dans laquelle se trouvoient réunies l'autorité Consulaire & la puissanceTribunitienne; que le Senat & le peuple toujours opposez, plutôt que de voir le çétablissement de ces deux Magistratures qui leur étoient également odieuses , aimeroient mieux leur laisser comme en dépôt le soin du gouvernement ; que les particuliers s'accoûtumeroient insensiblement à leur autorité, & que pour la coilserver, ils devoient rappeller å leur Tribunal la connoissance de toutes les affaires , fans fouffrir qu'on les portât au Senat ou devant l’Assemblée du peuple. Qu'il falloit surtout éviter avec grand soin toure convocation de ces deux Corps, qui les feroit apercevoir de leurs droits & de leurs forces. Qu'il se trouvoit toujours dans ces fortes d'affemblées des esprits inquiers & impatiens de toute domination, & que pour rendre inébranlable l'autorité du Decemvirat , il étoit de Pinterêt des Decemvirs de demeu rer étroitement unis entr'eux. Qu'ils Collegues, ils se laisserent conduire D.H. 1.10. - ses vủës. Chacun applaudit à ses sub fiil. projets; tous firent les fermens berté publique. Id. ibid. Ces nouveaux Magistrats entre rent en possession de leur Dignité 25.de Mai. aux Ides de Mai; & pour inspirer d'abord de la crainte & du respect haches haches avec leurs faisceaux,comme en portoient ceux qui marchoient devant les anciens Rois de Rome ou devant le Dictateur; en sorte que la place fut remplie de fix-vinge Licteurs qui écartoient la multitude avec un falte & un orgueil insuppor table dans une Ville où regnoient auparavant la modestie & l'égalité. Le peuple ne vit qu'avec indignation cet appareil de la tyrannie. La comparaison qu'il faisoit de la moderation des Consuls avec les manieres fieres & hautaines des Decemyirs, lui fit bien-tôt regreter l'ancien gouvernement. Il se plaignoit secretement qu'on lui eût donné dix Rois pour deux Consuls. Mais ces réflexions venoient trop tard, & il n'étoit plus maître de de truire son ouvrage. Les Decemvirs commencerent å regner imperieusement & avec une autorité absoluë. Outre leurs Licteurs, ils étoient encore environnez en tout tems d'une troupe de gens fans nom & sans aveu, la plupart chargez de crimes ou accablez de dettes, & qui ne pouvoient trouver de sûreté que dans les troubles de l'Etat.Mais Tome II, B ce qui étoit encore plus déplorable, c'est qu'on yit bien-tôt à la suite de ces nouveaux Magistrats une foule de jeunes Patriciens qui préferant la licence à la liberté, s'attacherent servilement aux dispenfateurs des graces. Et même pour satisfaire leurs passions & fournir à leurs plaifirs, ils n'avoient point de honte d'être les ministres & les complices de ceux des Decemvirs. Il n'y eut plus d'asiles assez sûrs pour la beauté & la pudeur. Cette jeunesse effrenée, à l'ombre du pouvoir souverain, enlevoit impunément les filles du sein de leurs meres; d'autres sous de foibles prétextes , s'emparoient du bien de leurs voisins, qui se trouvoit à leur bienséance. En vain on en portoit des plaintes aux Decemvirs, les malheureux étoient rejettez avec mépris, & la faveur seule, ou des vûës d'interêt, tenoient lieu de droit & de justice. Que fi quelque citoyen par un reste de l'ancienne liberté, étoit assez hardi pour faire éclater fon ressentiment, ces tyrans le faisoient battre à coups de verges comme un esclave; d'autres étoient exilez; il y en eut même |