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moins d'un fiecle, étendirent leurs conquêtes dans les trois Parties de notre Continent. L'Italie entiere, toutes les Efpagnes, l'Illirie jusques au Danube, l'Affrique, la Grece, la Thrace, la Macedoine la Syrie, tous les Royaumes de l'Afie mineure formoient ce vaste Empire; & les Romains porterent jufques chez les peuples les plus barbares, la crainte de leurs armes & le respect de leur puiffance.

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Le luxe de l'Orient paffa à Rome avec les dépouilles de ces grandes Provinces. Ce fut pour l'entretenir qu'on commença à briguer lesCharges de la République dont le profit augmentoit avec l'Empire. Les moeurs des Romains changerent avec la fortune, & il femble. que ce foit une autre nation qui va paroître fur la scene. On trouvera à la verité plus de fcience dans le mêtier de la guerre; des Generaux plus habiles & des armées invinci- 1 bles; tout cela conduit par une politique ferme, prévoyante & qui ne fe démentit jamais: mais on trou-1 vera auffi moins d'équité dans les confeils. La douceur de vaincre &

pu

de dominer corrompit bien-tôt dans les Romains cette exacte probité si eftimée par leurs ennemis même. L'ambition prit la place de la juftice dans leurs entreprises: une for dide avarice & l'interêt particulier fuccederent à l'interêt du bien blic: l'amour de la patrie se tourna en attachement pour des chefs de parti. Enfin la victoire, la paix, & l'abondance ruinerent cette concorde entre les Grands & le peuple entretenue par l'occupation qu'avoient donné les guerres Puniques. Et les deux Gracques en renouvellant des propofitions juftes en apparence, mais peu convenables à l'état prefent de la République allumerent les premieres étincelles des guerres civiles dont nous allons parler.

Tiberius Gracchus & Caïus Gracchus étoient fils de Tiberius Sempronius Gracchus perfonnage Confulaire, grand Capitaine, & qui avoit été honoré de deux triomphes; mais qui étoit encore plus illuftre par des moeurs excellentes, & par defintereffement parfait : vertus qui commençoient à fe faire remar

un

quer, pour n'être plus fi communes parmi les Romains. La famille Sem- pronia, quoique Plebeïenne, étoit des plus diftinguées dans la République, depuis que le peuple étoit admis indifferemment avec la Nobleffe aux premieres Dignitez de

l'Etat.

La mere des Gracques, appellée Cornelie, étoit fille du Grand Scipion. Tiberius l'aîné de fes enfans avoit épousé la fille d'Appius Claudius Prince du Senat; Caïus celle de Publius Craffus ; & leur foeur appellée Sempronia avoit été mariée au jeune Scipion fils de Paul Emile. En forte que ces deux freres par differentes alliances, ténoient aux premieres Maifons de la République.

Ces avantages étoient foutenus dans la perfonne de Tiberius par un air noble, par une phyfionomie prévenante, & par toutes ces graces de la nature qui fervent comme de recommandation au merite. Il avoit acquis en même tems, dit un ancien Vell. PaHistorien, toutes les vertus qu'on terc. 1. 2. peut attendre d'une excellente édu cation, beaucoup de fageffe, de moderation, de frugalité & de definte

An de Rome 620.

reffement. Son efprit d'ailleurs étoit orné des plus rares connoiffances; & à l'âge de 30 ans il paffoit pour le premier Orateur de fon fiecle. Son style étoit pur, fes termes choifis, fes expreffions fimples; mais toujours nobles & fi touchanres qu'il enlevoit les fuffrages de tous ceux qui l'écoutoient.

Ses ennemis publioient que fous des manieres fi infinuantes il cachoit une ambition démefurée, une haine implacable contre le Senat, & un zele exceffif pour les interêts du peuple, dont il faifoit le motif ou le prétexte de toutes fes entreprises.

Ce fut cet attachement aux interêts du peuple, & peut-être l'envie de fe diftinguer, qui lui firent reprendre le deffein du partage des terres prétention ancienne que les Grands de Rome croyoient éteinte par P'oubli & la prefcription, & qu'il entreprit de faire revivre, quoiqu'il prévît bien toute la résistance qu'il y trouveroit de la part du Senat, & même du côté des plus riches parmi le peuple. On prétend que ce deffein lui avoit été infpiré par Cornelie fa mere, femme avide de gloire,

& qui pour exciter l'ambition de: fon fils; lui avoit fait comme une efpece de reproche de ce qu'on ne l'appelloit dans Rome que la bellemere de Scipion, & non la mere des Gracques. Elle lui reprefentoit continuellement qu'il étoit temps qu'il fe fit connoître lui-même;qu'à la verité Scipion fon beau-frere tenoit le premier rang parmi les Capitaines & les Generaux de la Répu- ' blique; mais qu'il pouvoit par une autre route & par des Loix utiles au peuple, fe faire un grand nom;qu'il ne lui reftoit même que ce moyen de s'égaler en quelque forte au vainqueur de Carthage; & qu'en appellant le peuple au partage des terres publiques, il ne fe rendroit pas moins celebre que fon beau-frere par fes conquêtes.

Mais C. Gracchus a écrit dans une histoire citée par Plutarque, que fon frere forma feul ce projet & qu'un voyage qu'il fit en Italie avant fon Tribunat, lui en avoit fait naître la pensée. Cet Hiftorien rapporte que Tiberius avoit obfervé avec furprife que les campagnes remplies auparavant d'habitans ri

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