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ches, & qui fournissoient une milice utile à la Republique, n'étoient plus Jeuplées que d'efclaves exempts par leur condition d'aller à la guerre. Qu'un changement fi préjudiciable aux interêts de la République, lui avoit fait naître le deffein de remettre en vigueur la Loi Licinia, & de rappeller le petit peuple au partage des terres, dans la vûë de foulager fa mifere, & de lui & de lui procurer le moyen d'élever des enfans qui puffent un jour remplir les Legions. Quoi qu'il en foit de ces motifs fecrets, foit ambition particuliere ou zele du bien public, Tiberius ne fut pas plutôt parvenu au Tribunat, qu'il fit connoître qu'il avoit deffein de faire revivre la Loi Licinia. Mais il ne la propofa qu'avec tous les ménagemens qui pouvoient adoucir les ufurpateurs des terres publiques.

Nous avons vû qu'il étoit défendu par cette Loi à tout Citoyen Romain de poffeder plus de cinq cens journaux ou arpens de ces terres, à peine de dix mille affes d'amende. On pouvoit même, fuivant la rigueur de la Loi, obliger ceux qui

l'avoient enfreinte, à rapporter au profit du Tréfor public le produit des terres qui excedoient le nombre permis par la Loi. Tiberius qui croyoit affez gagner s'il pouvoit feulement la remettre en vigueur, proposa une amnistie generale pour le paffé.

Mais les Grands de Rome & les Riches qui fe croyoient alors audeffus des Loix, rejetterent avec mépris cet adouciffement à une Loi qu'ils prétendoient profcrite. La plûpart en pleine affemblée traiterent le Tribun de féditieux & de perturbateur du repos public. Tiberius fans fortir de fon caractere, leur demandoit avec moderation fi la condition des habitans de la campagne qui n'avoient plus ni terres en propres, ni même d'étrangeres à cultiver, ne leur faifoit pas pitié? S'ils n'étoient pas encore plus touchez de la mifere de leurs autres Concitoyens, à qui de tant de conquêtes que la République avoit faites, il n'étoit refté que les cicatrices des bleffures qu'ils avoient reçûes dans les combats? Ce qu'ils vouloient faire eux-mêmes de cette foule d'ef

claves dont ils avoient rempli l'Italie, ces esclaves auffi inutiles pendant la guerre, que dangereux par leur nombre en tems de paix? S'adreffant enfuite au petit peuple,il lui reprefentoit fes propres malheurs d'une maniere touchante & propre à exciter fon indignation. » Les bê»tes fauvages, leur difoit-il, ont des tanieres & des cavernes pour se re» tirer, pendant que les citoyens de » Rome ne fe trouvent pas un toit ni une chaumiere pour fe mettre à » couvert de l'injure du tems, & que fans féjour fixe ni habitation, ils er» rent comme de malheureux prof» crits dans le fein même de leur pa>>trie. On vous appelle, ajouta-t-il, "les Seigneurs & les Maîtres de l'U»nivers.Quels Seigneurs! Quels Mai"tres! Vous à qui on n'a pas laiffé » feulement un pouce de terre qui "pût au moins vous fervir de fepulchre.

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Quoique Tiberius eût moins en vûe de remedier à la pauvreté des particuliers, que de repeupler la campagne, d'où il croyoit que dépendoit la fortune de la République; cependant de pareils difcours qu'il

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tenoit fouvent, lui attiroient les louanges & l'affection de la multitude. Chacun fe felicitoit d'avoir un Tribun fi éclairé & fi plein de zele pour les interêts du peuple.Tiberius ayant établi fon credit, & trouvant les efprits dans cette chaleur & cette agitation fi neceffaire pour le fuccès de fes deffeins, convoqua l'affemblée où l'on devoit proceder à la publication, ou pour mieux dire, au renouvellement de la Loi Li cinia.

Tiberius en fit voir la justice avec tant d'éloquence, il fit une peinture fi affreuse de la mifere du petit peuple & des habitans de la campagne, & en même tems il fçut rendre fi odieufes cette ufurpation des terres publiques, & ces richeffes immenfes que l'avárice & l'avidité des Grands avoient accumulées, que tout le peuple comme tranfporté de fureur, demanda les bulletins avec de grands cris pour pouvoir donner fes fuffra ges.

Les riches pour éloigner la publi cation de la Loi,détournerent adroi tement les urnes où l'on confervoit ces bulletins. Cette fraude excita

l'indignation du Tribun & la colere du peuple: il s'éleva mille bruits confus dans l'affemblée. Les riches

qui ne vouloient que gagner du Manlius & tems, envoyerent deux ConfulaiFulvius. res à Tiberius pour le prier d'appaifer le peuple, & de rétablir le calme dans la ville.

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Le Tribun leur demanda ce qu'il pouvoit faire fans manquer à fon devoir & à fon honneur: » Sufpen» dez aujourd'hui, lui dirent les deux Confulaires, la propofition de la » Loi: donnez aux efprits trop aigris >> le tems de fe rapprocher de l'équité » & de la raison ; & pendant ce temslà le Senat trouvera les moyens de » concilier les differens partis. Tiberius y confentit, & l'affemblée fut congediée. On convoqua le Senat le lendemain.Tiberius comptoit fur la condefcendance ordinaire de cette Compagnie, & il fe flattoit que la crainte d'une fédition obligeroit les Senateurs à relâcher enfin une partie des terres contestées : & effectivement il y en eut plufieurs qui par un principe d'équité étoient d'avis qu'on eût quelque égard aux plaintes du Tribun & à la mifere du peuple.

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