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près. Mais comme il fut arrivé à un pont, Pomponius & Licinius pour faciliter fa fuite, firent fermes les armes à la main, & arrêterent quelque tems ceux qui le pourfuivoient, & qui ne purent paffer qu'après avoir tué ces deux genereux Romains.

Caïus eut le tems de gagner un petit bois confacré aux Furies. Mais comme il vit qu'il ne pouvoit échaper à fes ennemis qui avoient entouré ce bofquet, on dit qu'il fe fit tuer par Philocrates, & que ce fidele efclave fe tua enfuite lui-même fur le corps de fon maître. D'autres difent que Caïus ayant été atteint par ceux qui le pourfuivoient, Philocrates embraffant fon maître, le couvrit de fon corps, & qu'on ne le put frapper qu'après avoir tué ce fidele domestique. On coupa la tête à Caïus que fes affaffins mirent au bout d'une pique. Un certain Septimuleïus créature d'Opimius, l'enleva à ceux qui la portoient comme un trophée, & en ayant tiré fecretement la cervelle,il la remplit de plomb fondu pour la rendre plus pefante, & s'en fit payer par le Conful dix-fept livres & demie d'or.

On en jetta le corps dans le Tibre avec ceux de Flaccus & de plus de trois mil citoyens qui étoient péris dans cette émeute. Le Conful dont la haine implacable n'étoit point affouvie par tant de fang répandu, fit arrêter & enfuite mourir en prison tout ce qu'il put découvrir d'amis & de partifans des Gracques. Leurs biens furent confifquez; on défendit aux veuves d'en porter le deuil: Licinia femme de Caius, fut même. privée de fon douaire ; & Opimius toujours acharné fur les malheureux refles de ce parti, étendit son inhumanité jufques fur ce jeune enfant App.Alex. de bell civ qui lui étoit venu porter des paroles de paix, & il le fit mourir en prifon,

1. 1.

Ce cruel Magiftrat après avoir répandu tant de fang, n'eut point de honte de faire conftruire un Temple fous le titre de Concorde, comme fi par des foins pacifiques il fût venu à bout de réunir fes concitoyens. Le peuple ne regardoit ce Temple qu'avec horreur, & comme un monument de fon orguëil & de fa cruauté. Mais Opimius fans s'embaraffer d'une animofité impuiffante, ne fongeoit qu'à éteindre jusques au fou

venir des Loix des Gracques. Ce fut dans cette vuë qu'un Tribun du peuple, apparemment gagné par lui & les autres Grands de Rome, reprefenta dans une affemblée, qu'il trouvoit des difficultez invincibles dans la recherche & le partage des Terres; mais qu'il requeroit pour les interêts du peuple, que chaque proprietaire de ces Terres en payât une certaine redevance proportionnée à la quan tité qu'il en occupoit; & que les deniers qui proviendroient de ces rentes, fuffent diftribuez aux pauvres citoyens, à ceux fur-tout qui ne poffedoient aucune portion de ces Terres publiques. Il ajouta qu'au moyen de cette redevance, il étoit d'avis que ceux qui occupoient ces Terres en fuffent reconnus légitimes proprietaires, fans qu'on les pût jamais inquieter à l'avenir; & qu'il devoit leur être permis de vendre dans la Idem Ap. fuite ces heritages & d'en difpofer, ibid. quoique toujours fous l'obligation du Cens qui auroit été reglé.

Le peuple féduit par l'appas du Cens, & trompé par fon Tribun, reçut cetteLoi qui fit tomber abfolument celle desGracques, Le citoyen

riche ne craignant plus aucune recherche, étendit fans fcrupule les bornes de fon domaine. Ce fut à qui acheteroit le premier l'heritage d'un voifin pauvre. Toutes les terres pafferent entre les mains des Grands, & le petit peuple retomba dans la mifere que les deux Gracques avoient voulu prévenir.

On ne parla plus bientôt de ces Cens & de ces rentes qui devoient tourner à fon profit. Les riches & les Grands de Rome fupprimerent comme de concert, cette marque de la nature & de la fervitude de ces terres. Un autre Tribun auffi infidele à fon parti que celui dont nous venons de parler, éluda insensiblement l'execution de cette partie de la Loi, fous prétexte que les Grands payoient un affez grand tribut à la République par les fervices qu'ils rendoient dans les Magiftratures dont ils étoient revêtus. Et ce fut par cet enchaînement d'artifices joints à la force & à la violence, que les plus puiffans demeurerent enfin en poffeffion de ces terres publiques dont ils avoient fait leur proye, & comme leur conquête particuliere.

On en fera moins furpris fi on confidere que les Plebeïens ne trouvoient plus de protection dans cette animofité des Tribuns contre les Patriciens & la Nobleffe. Ces deux factions que la naissance tenoit tou jours oppofées, s'étoient tournées en deux partis, de pauvres & de riches,de quelqu'Ordre qu'ils fuffent; & le pauvre citoyen,abandonné des riches Plebeïens qui s'étoient joints au Senat, fe voyoit encore indignement trahi par fes propres Magiftrats complices de l'ufurpation de ces terres que le peuple reclamoit inutilement. Il ne fe prefentoit plus depuis la fin malheureufe des Gracques, aucun Tribun affez defintereffé ou affez genereux pour ofer prendre publiquement fa défense. L'avarice, l'interêt particulier, le defir de s'élever par la faveur particuliere des Grands, avoient fuccedé au zele du bien public: l'orgueil & le luxe tenoient lieu de ce noble definteresse. / ment & de cet amour pour la Patrie à qui Rome devoit fa grandeur & fa puiffance.

Dans une corruption prefque generale, l'affaire de Jugurtha fit sortir

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