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le peuple de l'abattement & de la confternation où l'avoit jetté la perte des Gracques; & il failit avec plaifir cette occafion de fe vanger du Conful Opimius,& de l'avarice fordide des premiers de la République.

Mafiniffa, ce fameux Prince Affricain, illustre par l'amitié des deux Scipion, & fi connu par fon attache ment inviolable au parti des Romains, avoit été rétabli par leurs ar mes dans le Royaume de Numidie, en reconnoiffance des fervices qu'il leur avoit rendu contre les Carthaginois. Il laiffa en mourant fes Etats avec la protection des Romains, à Micipfa fon fucceffeur. Ce Prince eut deux enfans, l'aîné s'appelloit Adherbal, & le cadet Hiempfal. Il avoit encore un neveu appellé Jugurtha,fils de Manastabale fon frere, mort avant Mafiniffa: mais ce vieux Prince l'avoit laiffé dans l'obfcurité, & n'avoit pas voulu le reconnoître pour fon petit fils, parce qu'il n'étoit pas né d'un mariage légitime.

Micipfa le trouvant bien fait & de bonne mine, le tira de cette obfcurité, & le fit élever avec les Princes fes enfans, quoiqu'il fût plus âgé qu'eux

qu'eux. Jugurtha, dit Sallufte, répondit parfaitement aux intentions du Roi fon oncle,& aux inftructions de fes Miniftres. Aucun des jeunes Seigneurs de fon âge ne le furpaf foit, foit qu'il fallut tirer de l'arc, monter à cheval, ou difputer le prix de la courfe. S'il alloit à la chaffe. & qu'il rencontrât un lion ou quelqu'autre bête farouche, il fe jettoit auffi-tôt à la tête des chaffeurs pour lui donner le premier coup: & quand après l'avoir tué il en recevoit des louanges, foit orgueil ou modeftie, il méprifoit ces fortes de victoires, comme fort au-deffous, difoit-il, de ce qu'on devoit attendre du courage & de la valeur d'un

Prince.

Le Roi de Numidie fe fçut d'abord bon gré de ce fuccès de fes foins, & il regardoit avec plaifir le jeune Jugurtha comme l'ornement de fa Cour.Mais on ne fut pas longtems fans démêler dans ce Prince une ambition demefurée, & conduite par un efprit adroit, infinuant, fourbe & artificieux. La joye de Micipfa fe changea en crainte, furtout en confiderant fon âge avanTome II.

T

cé, & la jeuneffe de fes enfans ; & il s'apperçut avec douleur qu'il avoit élevé dans fa maifon un ennemi fecret, & qui en feroit peut-être le deftructeur. Pour fe tirer de cette inquiétude, il réfolut de l'envoyer à la guerre, dans l'efperance que le fort des armes pourroit l'en défaire. Il le mit à la tête d'un corps de troupes qu'il envoyoit à Scipion Emilien qui affiegeoit alors Nu

An de Ro- mance en Espagne.

me 620.

Mais Jugurtha fçut tirer differens avantages d'un projet qui n'avoit été formé que pour le perdre. Il commença par gagner & par s'attacher le foldat & l'Officier qui étoient à fes ordres, par des careffes, des prefens, & fur tout par des actions d'une valeur furprenante. Les Romains même fi bons Juges de cette forte de merite, convenoient qu'on ne pouvoit pas voir un jeune Prince plus courageux, & même plus entendu à fon âge dans le mêtier de la guerre. Cette eftime generale lui acquit un grand nombre d'amis, & parmi eux il forma des liaisons étroites avec les Officiers qui lui parurent avoir le plus de

credit dans le Senat & à Rome.L'habile Africain qui prévoyoit combien le credit de ces premiers Officiers pouvoit lui être utile pour fon élevation, n'oublia rien pour les mettre dans fes interêts. Il les gagna à force de préfens; & ces hommes intereffez, pour en tirer de nouveaux, excitoient, fon ambition. Ils lui infinuoient que fans s'arrêter à l'ordre de la naissance, il devoit après la mort de Micipfa, prétendre ouvertement à fa Couronne : & que pourvû qu'il ne manquât pas d'argent, il ne manqueroit pas d'amis & de puiffans protecteurs dans le Senat, où la plupart des fuffraétoient, pour ainsi dire, à ven

dre.

Scipion inftruit de ces cabales, & fâché qu'on corrompît l'efprit de ce jeune Prince par des maximes fi pernicieuses, le prit en particulier, & l'avertit avec bonté de ne rechercher jamais l'amitié des Romains que par des voyes d'honneur, & par des actions dignes de fon cou& de fa naiffance. Il ajouta, pour lui laiffer voir qu'il n'ignoroit rien de fes deffeins les plus fecrets,

rage

qu'il étoit toujours dangereux de prétendre acheter de quelques particuliers ce qui appartenoit au public; qu'avec autant de valeur qu'il en avoit fait paroître, il ne pouvoit manquer de Couronnes: mais que fi par un defir précipité de dominer il employoit d'indignes moyens, il l'avertiffoit en ami qu'il perdroit même l'argent qu'il employeroit à corrompre les fuffrages, & qu'à la fin il fe perdroit lui-même. Jugurtha dont l'efprit fouple & adroit prenoit aifément toutes fortes de formes, feignit d'être touché de ces remontrances. Il promit à Scipion d'en profiter ; & après la fin de la campagne, il prit congé de ce General qui écrivit en fa faveur au Roi de Numidie, qu'il étoit très-content de fes fervices, & qu'on ne pouvoit montrer plus de courage & de conduite qu'il en avoit fait paroître dans toutes les occafions où il avoit combattu.

Jugurtha de retour en Numidie avec tout l'éclat que lui donnoit la réputation qu'il avoit acquife à l'armée, & l'amitié des Romains, commence à jetter les fondemens de

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