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gens qui ne s'introduifent dans la confiance des Grands, que par une complaifance criminelle pour leurs plaifirs. Ce miniftre de la paffion du Decemvir, entra dans l'école publique où étoit la jeune Virginie, la prit par la main, & vouloit l'entrainer par force dans fa maison, fous prétexte qu'elle étoit née d'une de fes efclaves: & c'étoit un ufage que les enfans des efclaves, l'étoient eux-mêmes des patrons de leurs peres & meres. La jeune fille interdite ne fe défendoit que par fes larmes; mais le peuple ému par les cris de fa nourrice, accourut à fon fecours, & empêcha Claudius de l'enlever. Cet homme effronté 3 déclara auffi-tôt qu'il reclamoit la puiffance des Loix, qu'il ne prétendoit point ufer de violence; mais qu'il croyoit qu'il étoit permis à un maître de reprendre fon efpartout où il la trouvoit, & qu'il fommoit ceux qui s'oppofoient à la juftice de fes prétentions, de venir fur le champ devant le Decemvir : & en difant ces paroles, il y conduifit la jeune Virginie. Tout le peuple la fuivit, les uns par

clave

curiofité, & pour voir le dénouement d'un évenement fi extraordinaire, & les autres par confideration pour Icilius, qui pendant fon Tribunat s'étoit rendu très-agréable à la multitude. Numitorius oncle de Virginie, averti de cette entreprise, accourut auffi-tôt à son secours avec celui à qui elle avoit été promife. Claudius expofa fes prétentions devant un Juge qui étoit l'auteur même de la fourberie. Il dit que cette fille étoit née dans fa maifon; qu'elle en avoit été dérobée fecretement par une esclave qui étoit fa mere, & qui pour cacher fon larcin avoit feint d'être accouchée d'un enfant mort. Mais qu'on avoit découvert depuis qu'elle avoit vendu cette enfant à la mere de Virginie qui étoit fterile, & qui dans F'impatience d'avoir des enfans l'avoit fuppofée pour fa fille. Qu'il étoit prêt de produire des témoins irreprochables de ce qu'il avançoit; mais qu'en attendant la décifion du procès, il étoit jufte qu'une efclave fuivit fon maître, & qu'il offroit des cautions de la reprefenter, fi Virginius à fon retour prétendoit encore en être le veritable pere.'

Numitorius vit bien que ce coup partoit d'une main plus redoutable; mais il diffimula fagement fes foupçons, & il reprefenta au Decemvir avec beaucoup de moderation, que le pere de faniéce étoit abfent pour le fervice de fa patrie; qu'il étoit injufte d'attaquer un citoyen fur l'état de fes enfans pendant fon abfence; qu'il ne demandoit qu'un délai de deux jours pour le faire revenir de l'armée; qu'en attendant fon retour, il offroit de retenir Virginie chez lui. Que ce foin lui appartenoit comme à fon oncle; qu'il s'offroit de la reprefenter fous telles cautions qu'on exigeroit de lui; mais qu'il n'étoit pas jufte que dans la maifon d'un homme tel que Claudius, la fille de Virginius courût encore plus de rifque de fon honneur que de fa liberté. Il ajouta que ce qu'il demandoit, étoit conforme aux Loix, qui ordonnoient que dans un litige, & avant le jugement définitif, le demandeur ne pût troubler le défenfeur dans fa poffeffion.

Toute l'affemblée approuva la justice de cette Requête. Appius

ayant fait faire filence, & affectant l'équité & le défintereffement d'un bon Juge, déclara qu'il feroit toujours le protecteur d'une Loi fi jufte, & qu'il avoit lui-même rédigée dans les douzeTables. Mais que dans l'affaire en queftion, il fe rencontroit des circonftances qui en varioient l'efpece; qu'il n'y avoit que le pere feul qui pût reclamer la poffeffion de celle qu'il prétendoit. être fa fille ; & que s'il étoit prefent, il lui adjugeroit la provifion. Mais qu'en fon abfence, un beaufrere n'avoit pas le même droit; qu'il vouloit bien à la verité accorder le tems neceffaire pour faire revenir Virginius de l'armée, afin d'être inftruit de fes intentions, mais fans que ce délai pût préjudicier à un maître qui redemandoitfon esclave: & ainfi qu'il ordonnoit que Claudius conduisit Virginie chez lui, en donnant des cautions fuffifantes de la reprefenter au retour de celui qu'on difoit être fon pere.

Toute l'affemblée se récria contre l'injuftice de cet Arrêt. On n'entendoit de tous côtez que des plaintes & des murmures. Les femmes

fur-tout, les larmes aux yeux, fe rangerent autour de Virginie, & la mirent au milieu d'elles comme pour lui fervir de rempart. Mais Claudius méprifant leurs cris & leurs prieres, vouloit l'enlever, lorf qu'Icilius, à qui elle étoit promife, arriva fur la place, la colere & la fureur dans les yeux. Appius qui redoutoit le crédit qu'il avoit fur l'efprit du peuple, lui fit dire par un Licteur, qu'il eût à fe retirer, & que l'affaire étoit jugée. Mais Icilius que fa paffion rendoit furieux, inftruit des mauvais deffeins d'Appius, & le regardant comme un rival odieux: ,, Il faut, lui cria-t-il, que tu m'arrache la vie, avant que tu puiffe jouir du fruit de tes artifices & de ta ty→rannie. N'es-tu pas content de nous » avoir privez des deux plus fortes défenfes de la liberté, la protection » de nos Tribuns, & la voye d'appel » devant l'affemblée du peuple? Fautil encore que nous craignions pour » l'honneur des filles Romaines? Tu » ne peut pas ignorer que Virginie » m'eft promise. Je dois époufer une vierge &une fille de condition libre; je ne la veux recevoir que des mains

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