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vendu Virginie à la femme de Virginius. Claudius ajoûta qu'il ne manqueroit pas d'autres témoins s'il en étoit befoin, & qu'il efperoit de la juftice du Decemvir, qu'il ne fe laifferoit pas furprendre aux cris & aux menaces des partisans d'Icilius, ni toucher par les larmes d'une jeune personne dont le fort à la verité faifoit pitié; mais qui étant• née dans la fervitude, devoit y rentrer, quoiqu'elle eût été élevée comme une perfonne libre.

Les parens & les amis de Virginius pour détruire cette impofture, représenterent que fa femme avoit eu plufieurs enfans, & que fi à leur défaut elle eût voulu introduire un étranger dans fa famille, elle n'auroit point eu recours à l'enfant d'un efclave, & fur-tout à une fille, pouvant choisir un garçon. Que fes parens & fes voifins l'avoient vûë groffe de la fille dont elle avoit accouché; que cette enfant en venant au monde avoit été reçûë dans les mains de fes parens & de fes alliez. Qu'il étoit notoire que Numitoria fa mere avoit elle-même allaité la jeune Virginie: ce qu'elle n'eût pas

pû faire fi elle eût été fterile,comme Claudius l'avoit avancé fauffement. Qu'il étoit bien furprenant que cet impofteur eût gardé un fi profond fecret fur une pareille affaire pendant quinze années, & qu'il n'eût fait éclater ses prétentions que lorf que cette jeune perfonne étoit t parvenue à cette rare beauté qui étoit la cause de la perfecution qu'elle fouffroit.

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Appius craignant que ce difcours ne fit trop d'impreffion fur la multitude, l'interrompit, fous prétexte qu'il vouloit parler lui-même, & adreffant la parole à l'affemblée : Il ne faut point, dit-il, que les pa- « rens de Virginie prétendent fe pré- « valoir de ce long filence de Claudius. Car ma confcience m'oblige ce de déclarer qu'il y a long-tems que « j'ai connoiffance de cette fuppofi- «« tion. Perfonne n'ignore que le pere « de Claudius en mourant me laiffa pour tuteur de fon fils. On vint peu « de tems après m'avertir en cette « qualité que je devois reclamer cettè « jeune efclave, comme un effet de « la fucceffion de mon pupile & de « mon client, & j'entendis les mêmes « D

Tome II.

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» témoins qui fe prefentent aujour» d'hui. Il eft vrai que nos diffenfions domeftiques, & des affaires publi»ques, m'empêcherent en ce tems» là de fuivre celle d'un particulier; » mais la place que j'occupe aujourd'hui ne me permet pas de lui refu"fer la juftice que je dois à tout le » monde: ainfi j'ordonne que le demandeur retiendra cette fille com» mefon efclave.

Tit. Liv.
Dec. 1.

1.3.

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Virginius outré d'un Arrêt fi injufte, ne garda plus de mesure avec le Decemvir.Il fit connoître à toute l'affemblée que lui feul étoit l'auteur de l'impofture que propofoit fon client; & lui adreffant la parole: Scaches, Appius,lui dit-il, que je n'ai » pas élevé ma fille pour être proftituée à tes infâmes plaisirs, je l'ai accordée à Icilius, & non pas à toi. As-tu pû croire que des Romains "fe laiffaffent enlever leurs filles & » leurs femmes pour fatisfaire la paf"fion d'un tyran?

La multitude entendant ce difcours jetta de grands cris remplis d'indignation. Appius comme forcené de voir fon crime découvert, commanda aux foldats qui envi

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ronnoient fon Tribunal, de faire retirer le peuple: "Et toi, dit-il, fe tournant vers un de fes Licteurs fens la preffe, & ouvre le chemin à un maître pour aller repren- « dre fon efclave.

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Le peuple qui craint toujours quand on ne le craint point, fe voyant pouffé par les foldats d'Appius, s'écarte, fe retire, & livre, pour ainfi dire, la fille de Virginius à la paffion du Decemvir: Alors ce malheureux pere qui voit avec defefpoir que l'innocence va être opprimée par une puiffance injufte, demande au Magiftrat, qu'il lui foit au moins permis avant que Claudius emmène fa fille, de pouvoir l'entretenir un moment en partieulier avec fa nourrice, "afin, dit-il, que fi je puis trouver quelqu'indice « que je ne fuis pas fon pere, je m'en retourne au camp avec moins de «<< douleur & de trifteffe.

Appius lui accorda fa demande fans peine, à condition néanmoins que cette conference fe pafferoit à la vûë de Claudius, & fans fortir de la place. Virginius penetré de la plus vive douleur, prend fa fille à

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demie morte entre fes bras; il effuïe les larmes dont elle avoit le vifage. couvert, l'embraffe, & la tirant proche de quelques boutiques qui bornoient la place, le hazard lui fit rencontrer le couteau d'un boucher; il le prend, & s'adreffant à Virginie:,, Ma chere fille, lui dit», il, voilà le feul moyen de fauver ton honneur & ta liberté. Il lui enfonce en même-tems le couteau dans le coeur, & le retirant tout fumant du fang de fa fille :,, C'est par ce fang innocent, cria-t-il à Appius, que je dévoue ta tête aux Dieux infernaux. Ce qui étoit resté du peuple dans la place, accourt à ce funefte fpectacle, jette de grands cris, & détefte la tyrannie du Decemvir qui a réduit un pere à une fi cruelle neceffité. Appius du haut de fon Tribunal, crie avec fureur qu'on arrête Virginius. Mais il s'ouvrit un paffage avec le couteau qu'il tenoit à la main, & favorifé de la multitude, il gagna la porte de la Ville, & fe rendit au camp avec une partie de fes parens & de fes amis qui ne le voulurent pas abandonner dans un fi grand malheur.

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