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amnistie pour tous ceux qui avoient quitté le camp fans la permiffion des Generaux. Mais il s'obftina à vouloir qu'avant toutes chofes on lui livrât les Decemvirs, & il menaçoit hautement de les faire brûler tous vifs.

Valerius & Horatius n'étoient gueres plus favorables à ces Magiftrats que le peuple même : mais ils conduifoient le deffein de les perdre avec plus d'habileté. En mêmetems qu'ils exhortoient en general toute l'Armée à ne fe pas laiffer aller à la cruauté, ils infinuoient adroitement aux principaux Chefs, que quand le peuple feroit rentré dans fes droits, & qu'on lui auroit rendu fes Tribuns, fes Loix & fes assemblées, il feroit alors maître de se faire justice lui-même, & qu'avant que la negociation fortît de leurs mains, ils efperoient le mettre en état de décider fouverainement de la vie & de la fortune de fes concitoyens dans quelque rang qu'ils fuffent.

Le peuple perfuadé par fes Officiers que fes anciens Tribuns n'auroient pas eu plus de zele & de

chaleur pour fes interêts, que ces deux Senateurs en faifoient paroître, leur abandonna toute fa confiance. Valerius & Horatius revinrent fur le champ au Senat; & dans le compte. qu'ils rendirent publiquement des prétentions du peuple, ils diffimulerent fon reffentiment & fes menaces contre les Decemvirs. Ils leur laifferent même entrevoir qu'il confentiroit volontiers qu'on enfevelit dans un oubli general tout ce qui s'étoit paffé fous leur gouvernement, pourvû qu'on lui rendît fes Tribuns. Les Decemvirs féduits par de fauffes efperances, pafferent dans la place où ils fe démirent pu bliquement de leur autorité. Il n'y eut qu'Appius feul, qui agité par les remords de fa conscience, fit un autre jugement de cette moderation apparente de l'Armée. Quoiqu'il eût donné fa démiffion comme fes Collegues: » Je n'ignore pas, dit» il tout haut, les maux qu'on nous "prépare. On ne differe à nous attaquer que jufqu'à ce qu'on ait donné » des armes à nos ennemis.

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Valerius & Horatius fans s'embazaffer de fes funeftes préjugez, cou

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rurent au camp annoncer au peuple l'abdication des Decemvirs, & le Decret du Senat pour le rétablissement des Tribuns : » Revenez, « foldats, leur dirent-ils, dans votre patrie: venez revoir vos Dieux do- « meftiques, vos femmes & vos en- <<< fans ; & que ce retour foit heureux ce & favorable à la République. L'Ar- ce mée leur fit de grands remercimens; les foldats les nommoient tout haut les protecteurs du peuple, & les genereux défenfeurs de la liberté publique. On leve auffi-tôt les enfeignes, & chacun reprend avec joye le chemin deRome. Mais avant que de fe féparer & de rentrer dans leurs maisons, l'Armée entiere &_ Tit Liv. tout le peuple fe rendit au Mont Dec. 1 1. 31 Aventin, où fe fit l'élection des Tribuns. A. Virginius pere de l'infortunée Virginie, Numitorius fon oncle, & Icilius à qui elle avoit été promife, furent élus les premiers. On leur donna pour Collegues C. Sicinius, M. Duillius, M. Titinius M. Pomponius, C. Apronius, P. Villius &C. Oppius. On créa enfuite un entre-Roy qui nomma pour An. de Ro Confuls, fuivant les voeux du peu me 304.

ple, L. Valerius & M. Horatius. C'étoit une récompenfe dûe aux foins qu'ils avoient pris pour le rétabliffement de la tranquilité publique.

LeurConfulat fut tout populaire, & les Plebeïens en obtinrent ce qu'ils n'euffent ofé efperer de leurs Tribuns mêmes. Nous avons vû que les Senateurs & les Patriciens ne prétendoient point être foumis aux Ordonnances du peuple quand l'affemblée étoit convoquée par Tribu. Le peuple au contraire foûtenoit que la fouveraineté de l'Etat réfidant effentiellement dans toute l'affemblée generale du Peuple Romain, tous les citoyens de quelque rang qu'ils fuffent, devoient y être foumis , puifqu'ils avoient droit d'y donner leurs fuffrages chacun dans leur Tribu. Cette difpute fe renouvelloit fouvent entre les deux Ordres de la République. Les deux Confuls fe prévalant de l'autorité abfoluë qu'ils avoient alors dans le gouvernement, firent décider cette grande affaire en faveur du peuple, & par un Decret rendu An de Ro- par les Comices des Centuries, il fut me 306. déclaré, Que toute Ordonnance émanée

des Comices par Tribus, tiendroit lien de Loi à l'égard de tous les citoyens.

On confirma de nouveau la Loi Valeria touchant les appels devant l'Affemblée du Peuple, & on la fortifia d'une autre qui défendoit d'établir à l'avenir aucune Magiftrature fans qu'il y eût appel de fes Ordonnances. Les Confuls ajoûterent à cette Loi un Reglement qui prefcrivoit, Que les Senatus-Confultes qui étoient fouvent fuprimez ou alterez par les Confuls,feroient dans la fuite remis aux Ediles; & confervez dans le Temple de Cerès. La plupart des Senateurs ne foufcrivirent qu'avec chagrin à ces differentes Ordonnances. Ils voyoient avec douleur que deux Patriciens & deux Confuls, plus Plebeïens même que les Tribuns du peuple, fous prétexte d'affùrer fa liberté ruinoient abfolument l'autorité du

Senat. Mais les plus équitables & les moins ambitieux de ce Corps, inftruits par la conduite tyrannique des Decemvirs, aimoient mieux qu'on confiât au peuple le dépôt & la garde de la liberté publique, que d'en laiffer le foin aux Grands, qui par leur autorité en pouvoient abufer.

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