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DE VILLI

BRIDE.

maître, fous peine de fon indignation, PIERR de lui en faire jamais de femblables. Les ennemis du Grand- maître publioient qu'il y avoit une intelligence fecrette entre lui & le Prince infidéle, & que pour lier entre eux une amitié plus étroite, ils s'étoient fait faigner dans la même palette, comme fi ce mélange de leur fang eût dû unir leurs cœurs plus étroitement. Nous n'entrerons point dans la difcuffion de la verité de ce dernier fait, qui n'eft guere vraisemblable, furtout après la maniere pleine de dureté dont ce Prince avoit rejetté les ambaffadeurs. Nous remarquerons feulement, après le fire de Joinville, qu'en ce temps-là dans les traités de paix & d'alliance qu'on faifoit avec les barbares, ils exigeoient cette cérémonie de fe faire faigner enfemble, de mêler leur fang avec du vin, & même d'en boire. C'est ce que pratiqua Baudouin II. avec un Roy des Corafmins, ainfi que le rapporta au roy faint Louis, un Seigneur de Toucy témoin oculaire. Joinville B Mais il n'y a pas d'apparence que le 94 Soudan qui venoit de refufer de traiter de la rançon des Chevaliers, eût auffi-tôt fait une nouvelle alliance avec le Grandmaître du Temple. Il est bien plus vrai femblable de penfer que les Ordres mi,

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BRIDE.

PIERRE litaires, chargés de la défense de l'Etat, euffent bien voulu qu'on n'eût pas rompu la tréve, ni irrité un voifin & un ennemi puiffant, fous prétexte d'une nouvelle croifade, qui, comme la plûpart des autres, après de legers efforts, abandonneroit l'Orient, retourneroit en France, & laifferoit le poids de la guerre à foutenir aux Chevaliers & aux malheureux reftes des chrétiens latins, habitoient la Palestine,

Le Roy ne fit pas grande attention aux représentations du Grand-maître: ainfi,après huit mois de féjour dans l'Ifle de Chypre, ce Prince s'embarqua avec la Reine fa femme, la Comteffe d'Anjou, le roy de Chypre, les princes Robert & Charles freres du Roy, le Légat & toutes les perfonnes de confidération. Le jour de la Trinité de l'année 1249, toute la flotte mit à la voile, & le fixième jour elle arriva devant Damiette. Les deux Grands-maîtres s'y 3249. rendirent depuis avec l'élite de leurs Chevaliers. Louis trouva le rivage bor dé des troupes du Soudan, qui préten doient s'opposer au débarquement de fon armée; mais ce Prince emporté par fon zéle & par fon courage, fe jetta le premier l'épée à la main dans l'eau, & suivi de fa nobleffe, chargea les

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infidéles, & les tourna en fuite. Les PIERRE fuyards portérent la confternation dans BRIDE. la ville, & quoique cette place paffàt pour la plus forte de l'Egypte, la garnifon l'abandonna : & fes propres habitans, après s'être chargés de ce qu'ils avoient de plus précieux, en fortirent la nuit après y avoir mis le feu, & chercherent un afyle dans les terres & plus avant dans la haute Egypte. On ne fut pas long-tems fans apprendre cette défertion générale; & deux efclaves des> infidéles, dès huit heures du matin, rapporterent que la ville avoit été abandonnée. Le Roy, après avoir pris les précautions néceffaires pour s'allurer de la vérité d'un évenement fi furprenant, entra dans la place à la tête de fes trou pes; le Légat purifia la principale Mofquée où le Te Deum fut enfuite chanté folemnellement. La Reine, le Légat Le Patriarche & les Evêques fixerent leur féjour dans cette ville. LeRoy qui craignoit les fuites du débordement du Nil, & inftruit par les malheurs que l'opiniâtreté du légat Pelage avoit caufés à l'armée de Jean de Brienne & aux croifés réfolut d'y paffer le reste de l'Eté, done les chaleurs exceffives en ce pays-là ne permettoient pas même de tenir la cam pagne,

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PIERRE Alphonfe comte de Poitiers frere da BALDE. Roy, que ce Prince avoit laiffé en France, s'embarqua le 26 d'Août avec la princeffe Jeanne fa femme, fille unique de Raimond comte de Toulouse, & ils arriverent deux mois après à Damiette, Le comte de Poitiers débarqua avec un puiffant fecours, que Joinville appelle l'arriere-ban de la France, dont l'arrivée augmenta l'ardeur & la confiance du Roy. Ce Prince se voyoit à la tête d'une puiffante armée, foutenu des deux Ordres militaires qui connoiffoient le pays & la maniere de faire la guerre aux infidéles; la mer étoit ouverte; l'embouchure du Nil libre pour recevoir de nouveaux fecours, & la terreur & la confternation fembloient être paffées du côté des ennemis.

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Il ne fut plus queftion que de fçavoir fi on iroit les attaquer dans Alexandrie ou dans le Caire même. Pierre de Dreux, ancien comte de Bretagne, étoit d'avis qu'on tournât le premier effort des armes chrétiennes contre Alexandrie, dont le port pouvoit être d'une grande commodité pour la flotte & pour les convois. Mais le comte d'Artois fe déclara pour le fiége du grand Caire, fur le principe que la prife de la capitale entraîneroit celles des autres places :

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au lieu que la conquête d'Alexandrie, PIERR difoit-il, n'exempteroit pas l'armée de faire enfuite le fiege du grand Caire. On fe rendit à cette raifon, & peutêtre à la hauteur & à l'opiniâtreté dont ce jeune prince foutenoit ordinairement fes avis. Cette place étoit éloignée de Damiette d'environ cinquante lieues, & l'on rencontroit à moitié chemin la ville de Maffoure, où les infidéles s'étoient retranchés fur les bords d'une branche du Nil, appellée le Thanis.

Le Roy à la tête de fon armée, partit Foinvill de Damiette le 20 de Novembre ; il p. 27. apprit en chemin la mort du Soudan caufée par la cangrene qui s'étoit mife à une de fes jambes. Mais le peuple qui ne peut confentir que les Princes meurent comme les autres hommes. publia qu'il avoit été empoisonné par un valet de chambre, corrompu par le prince de Damas fon ennemi.

L'armée avançoit toûjours fans rencontrer à la vérité d'obftacle dans fa marche, mais auffi fans trouver de vivres dans le voifinage. Le pays étoit défert & abandonné; une profonde folitude regnoit de tous côtés, & nulle apparence d'ennemis en campagne. Cette tranquilté ne dura pas long-tems; à mesure.

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