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tenoit en même temps du caractère de Numa et de celui de Romulus, et tempéroit l'un par l'autre, selon l'exigence des occasions. Il sentoit bien qu'une conduite pacifique convenoit par nécessité au règne de son aïeul, qui avoit trouvé un peuple nouvellement formé et encore féroce. Les temps étoient changés; il n'étoit pas sûr pour lui de demeurer dans le repos auquel son inclination le portoit. Il vit clairement qu'on mettoit à l'épreuve sa patience; que, poussée trop loin, elle lui attireroit le mépris, et que la conjoncture présente demandoit plutôt un Tullus qu'un Numa. Il se détermina donc à la guerre.

Mais pour mettre le bon droit de son côté, et pour s'attirer la protection du ciel par la justice de sa cause et par ses bons procédés, il commença par tenter des voies d'accommodement. Il fit porter ses plaintes aux Latins par ses ambassadeurs, et demanda justice des actes d'hostilité qu'ils avoient exercés sur ses terres. Les Latins, pour toute réponse, dirent qu'ils n'avoient aucune connoissance des brigandages qu'on leur reprochoit, et que, s'il s'étoit passé quelqué désordre, le mal s'étoit commis sans leur aveu: que d'ailleurs ils ne devoient rien à Marcius, avec qui ils n'avoient point traité ; que, s'ils avoient quelques engagemens avec Tullus, ils s'en croyoient entièrement libres depuis sa mort.

Marcius alors leur fit déclarer la guerre en forme. Le fécial ou héraut étant arrivé sur la frontière du pays ennemi, cria à haute voix : Écoutez, Jupiter, et vous, Junon; écoutez, Quirinus; écoutez dieux du ciel, de la terre et des enfers: je vous prends à témoin que le peuple latin est injuste; et comme ce peuple a outragé le peuple romain, le peuple romain et moi, du consentement du sénat, lui déclarons la guerre. Il fit les autres cérémonies que j'ai marquées ailleurs. On voit, dans cette formule Lib.1, c.32. que nous a conservée Tite-Live, qu'il n'est fait aucune mention du roi, et que tout se fait au nom et par l'autorité du peuple romain, c'est-à-dire de tout le corps de la nation.

Après cette déclaration de guerre, Marcius marcha

contre les Latins avec son armée, et alla mettre le siége devant Politoire, avant que cette ville eût le temps de recevoir du secours de ses alliés. La ville forcée se rendit à certaines conditions. Le roi ne fit aucun mal aux habitans. Il les transféra seulement à Rome avec tous leurs biens, et il les distribua dans les tribus. L'année suivante les Latins envoyèrent à Politoire une nouvelle colonie à la place des citoyens qu'on en avoit chassés, et ils commencèrent à faire valoir les terres qui en dépendoient. Marcius partit pour les attaquer. Ils eurent l'audace de sortir au-devant de l'armée romaine: mais ils furent vaincus, et la ville fut prise une seconde fois. Le roi y fit mettre le feu, et il en rasa les murailles, pour leur ôter l'espérance d'en faire désormais leur place d'armes, et le moyen de se mettre en possession des terres voisines. Cette expédition achevée, il ramena ses troupes à Rome. Le fort de la guerre ensuite tomba sur Médullie, dont les Latins formèrent le siége. C'étoit une colonie romaine, bien résolue de se défendre jusqu'à l'extrémité. Les Latins pourtant emportèrent la ville de force, et en demeurèrent maîtres pendant trois ans après quoi elle leur fut enlevée de nouveau par les Romains.

Ceux-ci eurent encore d'autres guerres à soutenir contre les Sabins, et contre d'autres peuples qui, rompant les traités, les attaquèrent à différentes reprises. Il se donna plusieurs combats, il se fit plusieurs siéges, où les Romains eurent presque toujours l'avantage. Dans le siége de Fidènes, le roi conduisit des mines souterraines depuis son camp jusque sous les murs de la ville: c'est la première fois qu'il en est parlé chez les Romains. Dans toutes ces guerres ils prirent sur les ennemis différentes villes, dont les habitans, selon la louable coutume établie dès les commencemens chez ce peuple, étoient transférés à Rome et incorporés avec les anciens citoyens.

L'Aventin

Par cette sage politique l'enceinte de Rome prenoit tous les jours de nouveaux accroissemens. Les anciens Romains enfermé s'étoient d'abord établis dans ce qu'on appeloit le Palatium; ensuite les Sabins dans le Capitole et la citadelle;

dans l'enecinte de

Rome.

P. 182.

Liv. lib. 1, cap. 33.

Dionys.l.3, puis les Albains sur le mont Célius. Ancus enferma l'Aven→ tin dans l'enceinte de Rome, pour y loger les Latins qu'il avoit soumis. Cette montagne étoit d'une hauteur méPrès d'une diocre. Elle avoit près de dix-huit stades de tour. Ancus, qui crut que cette colline pouvoit être un lieu de défense contre les surprises de l'ennemi, la fit entourer de murailles et d'un fossé.

lieue.

Ville et port

d'Ostie.

Il entreprit hors de la ville un autre ouvrage beaucoup plus considérable, qui fit entrer dans Rome l'abondance de toutes les choses nécessaires à la vie, et qui lui ouvrit le chemin à de plus glorieuses conquêtes. Le Tibre, qui descend des monts Apennins, et qui coule le long des murs de Rome, alloit se décharger assez près de là dans un endroit de la mer Tyrrhénienne, qui étoit alors fort incommode, et où les bâtimens ne pouvoient point trouver d'abri. Quoiqu'il fût navigable pour les plus grands bateaux de rivière, et qu'il pût même porter de gros bâtimens marchands depuis la mer jusqu'à Rome, il n'étoit pas néanmoins d'une grande utilité pour cette ville, faute de port qui pût recevoir et mettre en sûreté les vaisseaux marchands. Ancus, pour faciliter le commerce, trouva le moyen d'y ménager un port très-commode, et d'une assez grande étendue. Depuis ce temps-là de gros navires marchands entroient aisément par son embouchure, et étoient conduits jusqu'à Rome à l'aide des rames ou des cordages, Quand la charge étoit plus forte, on mouilloit l'ancre. Alors les bateaux venoient au secours, et recevoient les marchandises que les vaisseaux avoient amenées. Ancus mit encore à profit une langue de terre qui se trouvoit entre la mer et le Tibre, et qui formoit une espèce de coude il y bâtit une ville, qu'il fortifia, et qu'il nomma Eutrop.l.1. Ostie, par rapport à sa situation. De Rome jusqu'à la mer il y a seize milles, c'est-à-dire plus de cinq lieues.

:

Il n'en est plus ainsi. Rome est bâtie des deux côtés du Tibre. Mais alors elle n'occupoit que la rive gauche. La droite appartenoit à PÉtrurie.

bOstium signifie entrée et embouchure. Cette ville fut appelée Ostie parce qu'elle étoit à l'entrée du port, et à l'embouchure du Tibre.

Ostie étoit entre Rome et l'embouchure du Tibre, presqu'à Cluver. trois milles de la mer (une bonne lieue).

Liv. c. 33.

Plin. l. 31,

cap.7.

environné de

Ce prince fit aussi creuser des salines sur les bords de Salines. la mer, et du sel qu'il en tira il fit distribuer six mille boisseaux au peuple, Ces sortes de libéralités s'appeloient congiaria, et devinrent fort communes dans la suite. Ancus fit de plus entourer de murs le Janicule, qui Le Janicule étoit une haute montagne au-delà du Tibre, et il y mit murailles. une forte garnison pour assurer le commerce qui se faisoit par eau contre les brigandages des Etrusques, qui occupoient tout le pays de l'autre côté du fleuve. Et pour joindre la ville avec cette nouvelle place, il jeta sur le fleuve un pont de bois d'une fabrique extraordinaire, dont toutes les pièces se tenoient ensemble sans être unies par des liens de fer. Les pontifes étoient chargés d'entretenir ce pont et d'en faire les réparations.

a

A mesure que le nombre des habitans croissoit dans la ville, la licence y augmentoit aussi, et la sévérité de la police y devenoit plus nécessaire. Ancus, pour arrêter l'audace des malfaiteurs, et pour intimider par la crainte du châtiment ceux que le respect des lois ne pouvoit contenir, fit bâtir une prison au milieu de la ville, et qui étoit en vue de toute la place publique.

Lucumon

blir à Rome

me. Il

y

Sous le règne d'Ancus Marcius étoit venu s'établir à AN. R. 121. Rome un étranger nommé Lucumon. Démarate, son père, Av.J.C.631.. étoit de Corinthe, et de la race des Bacchiades, la plus vient s'étapuissante du pays, et qui y avoit long-temps tenu le pre-avec Tanamier rang. Il avoit amassé de très-gros biens par le com- quil sa femmerce qu'il faisoit dans les villes des Etrusques, les plus prend le nom riches de l'Italie. Une sédition excitée à Corinthe par Cyp- de Tarquin. sélus, qui s'empara de la tyrannie, l'obligea d'en sortir, c. 54. parce qu'il ne s'y trouvoit pas en sûreté. Il emporta avec Dionys.l.3, lui tout ce qu'il put de ses richesses et de ses effets, se réfugia à Tarquinie, l'une des plus florissantes villes de l'Etrurie, et y épousa une femme de la première qualité. Il en

a On croit que le nom de pontife, de faire ou de réparer les ponts, qui Pontifex, venoit de cette commission leur étoit confiée.

Liv. lib. 3,

p. 184-186.

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eut deux fils, qu'il fit appeler Aruns et Lucumon. Celui-ci, devenu seul héritier des grands biens de son père par la mort d'Aruns, épousa Tanaquil, dame d'une grande naissance, et qui n'étoit pas de caractère à souffrir patiemment que la maison où elle étoit entrée par son mariage le cédât en autorité et en puissance à celle où elle étoit née. Voyant que son mari étoit peu considéré à Tarquinie, à cause de sa, qualité d'étranger, meilleure femme que citoyenne, elle résolut de quitter une ville qui lui avoit donné naissance, comptant pour sa patrie tout endroit où son mari seroit honoré. Rome lui parut un lieu propre pour les desseins qu'elle rouloit dans son esprit. Elle se flattoit que dans une ville nouvellement fondée, où le mérite fait la noblesse, il seroit facile à Lucumon, avec les grandes qualités qu'il avoit, de parvenir aux premières places. L'exemple des étrangers qui y avoient régné animoit son espérance. Elle n'eut pas de peine à persuader son mari, qui n'avoit pas moins d'ambition qu'elle, et qui ne tenoit à Tarquinie que du côté maternel. Ils partirent donc pour Rome avec tous leurs effets. Quand ils furent arrivés au Janicule, un aigle, dit-on, les ailes étendues, s'abaissant doucement sur le char où il étoit assis avec sa femme, lui enlève son chapeau; puis, après avoir voltigé quelque temps autour du char en jetant de grands cris, le lui remet juste sur la tête. On sent assez, sans que j'en avertisse, ce qu'il faut penser de ce récit. Tanaquil, qui, selon la coutume de son pays, avoit été élevée dans la connoissance des auspices, embrasse tendrement son mari, et lui annonce que, par cet événement extraordinaire, les dieux lui promettent clairement que la souveraine dignité de Rome lui est destinée.

Pleins de ces pensées et de ces espérances, ils entrent dans Rome. Lucumon y prit le nom de Lucius, avec le surnom de Tarquinius, qui indiquoit son pays natal. Les grandes richesses de cet étranger, et la magnificence de

1 Summo loco nata, et quæ haud liora sineret ea facilè iis in quibus nata erat, humi- Liv.

quæ innupsisset.

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