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position fut rejetée avec mépris et insulte. Elle en brûla encore trois, et paroissant de nouveau devant le roi, elle l'avertit qu'elle alloit jeter au feu les trois derniers, si on ne lui donnoit la somme qu'elle avoit d'abord demandée. Tarquin, surpris de la fermeté de cette femme, fit appeler les augures, qui répondirent qu'il ne pouvoit acheter trop cher ce qui restoit de ces livres. La femme sur-le-champ en reçut le prix, recommanda qu'on en prît grand soin, et disparut à l'heure même.

Tout ceci a bien l'air d'un tour inventé par Tarquin même pour en imposer au peuple, et pour faire trouver dans les livres des sibylles tout ce qu'il plairoit au gouvernement, comme dans la suite on en a plusieurs exemples. Quoi qu'il en soit, le roi confia la garde de ce nouveau trésor à deux personnes qu'il choisit parmi la noblesse, et il établit sous leurs ordres deux officiers publics pour veiller à sa conservation. Mais, après que Rome se fut délivrée de ses rois, la république prit un soin plus parti culier de ces livres mystérieux. Elle les fit enfermer dan un coffre de pierre, qui fut déposé sous une des voûtes di Capitole, et confié à la garde de prêtres nommés pour cett fonction. Pendant un assez long temps ils ne furent qu deux. L'an 387 de Rome, ils furent augmentés jusqu'a nombre de dix, où ils demeurèrent fixés jusqu'à Sylla qui voulut qu'il y en eût quinze. C'étoient les personne les plus considérables de la noblesse, qui jouissoient pou cette raison d'une exemption perpétuelle de tous emplo onéreux. On consultoit ces livres par l'ordre du sénat toutes les fois qu'il s'élevoit des séditions dans la républ que, ou qu'on avoit fait quelque perte considérable à guerre, ou qu'il survenoit quelque peste ou autre malad contagieuse, ou qu'il arrivoit des prodiges qui sembloie annoncer quelque grand malheur. Dans l'incendie du C pitole, arrivé pendant les guerres entre le parti de Mari et Sylla, les livres sibyllins périrent avec le temple où les gardoit. Cette perte fut regardée comme une des pl grandes que la république pût faire, et l'on envoya da toutes les provinces de l'empire, et chez les rois voisins

alliés pour chercher et ramasser tout ce qu'on pourroit trouver d'oracles des sibylles. On en fit un recueil pour y avoir recours, comme auparavant, dans les besoins.

Il n'y a rien de plus obscur ni de plus incertain que tout ce que l'on raconte des sibylles. On appeloit ainsi des femmes qui prétendoient être inspirées de Dieu et prédire l'avenir. On ne sait ni le temps où elles ont commencé de paroître, ni leur nombre. Varron en comptoit dix, dont les plus célèbres sont celles de Delphes, d'Erythrée; de Cumes en Eolide, cumaa; de Cumes en Italie, cumana. On conjecture que c'est cette dernière qui présenta à Tarquin un recueil des prédictions de plusieurs sibylles. Les sentimens des pères à leur sujet sont partagés. Le plus grand nombre les ont crues inspirées du démon ; quelques-uns de Dieu même, en récompense de leur virginité. Ce dernier sentiment a peu de vraisemblance. On ne doute plus que les huit livres des sibylles qui nous restent ne soient supposés. Le profond secret dans lequel on renfermoit et les livres des sibylles, et tout ce qui y avoit rapport, donnoit moyen à ceux qui en avoient la garde de supposer telles prédictions qu'il leur plaisoit. Nous avons vu que ceux qui s'opposoient au rétablissement Hist. anc. de Ptolémée Aulète sur le trône d'Egypte avoient fabriqué tom.VI,pag. à leur fantaisie un oracle de la sibylle qui lui étoit manifestement opposé. César, dans la passion qu'il avoit Plut.inces. d'obtenir le nom de roi, fit courir le bruit parmi le peu-pag.755. ple qu'il étoit expressément porté par les livres des sibylles que le royaume des Parthes seroit conquis par les Romains quand ils y porteroient la guerre sous la conduite d'un roi; mais qu'autrement ils n'y entreroient jamais. Ces livres des sibylles étoient ainsi un des mystères du gouvernement, dont se servoient ceux qui en étoient les maîtres pour mener le peuple par une fausse apparence de religion. Je reviens à Tarquin.

92.

compagne

Un prodige survenu dans le palais vers le temps dont Brutus acnous parlons (c'étoit un serpent qui sortit tout d'un coup deux des fils d'une colonne de bois) donna de l'inquiétude au roi et de Tarquin à l'obligea d'envoyer exprès à Delphes consulter l'oracle à ractère de ce

Delphes. C

Romain.

Dion. lib.4, ce sujet. Il crut ne devoir confier cette commission qu'à p. 264. 265. ses deux fils Titus et Aruns. Ils demandèrent que Brutus Liv. lib. 1, leur cousin fût aussi du voyage avec eux. Comme celui-ci fera bientôt un grand personnage dans notre histoire, il est nécessaire de le faire connoître.

cap. 56.

Brutus eut pour père M. Junius, qui tiroit son origine d'un des compagnons d'Enée, et qu'un mérite singulier faisoit distinguer parmi les Romains. Sa mère s'appeloit Tarquinie, fille du roi Tarquin l'Ancien. Il étoit né avec beaucoup d'esprit et une belle âme; et ces dispositions naturelles avoient été perfectionnées par une éducation heureuse, selon les usages de sa nation et de son temps. Mais, voyant que Tarquin avoit fait mourir plusieurs des plus considérables citoyens de Rome pour s'emparer de leurs dépouilles, entre autres son père Junius et son frère aîné, il résolut de ne rien laisser, ni dans sa personne, ni dans ses biens, qui pût réveiller la crainte ou l'avarice du prince, et de chercher dans le mépris une sûreté qu'il ne pouvoit pas attendre de la justice et des lois. Il contrefit donc le stupide et l'insensé, en prit tous les airs et toutes les manières, se laissa dépouiller de ses biens sans murmurer, et devint le jouet de la cour; ce qui lui fit donner le surnom de Brutus, ou imbécille. Il le reçut avec joie, afin de cacher sous l'opprobre de ce nom le libérateur du peuple romain, qu'il n'étoit pas encore temps de faire paroître.

Les deux princes menèrent avec eux Brutus à Delphes, moins pour leur tenir compagnie que pour les divertir dans le chemin par ses folies et ses extravagances. Quand ils furent arrivés, ils firent leurs présens à Apollon, et ils plaisantèrent fort sur Brutus, qui n'offrit qu'un bâton. C'étoit une canne qu'il avoit fait percer secrète

I

Neque in animo suo quicquam regi timendum, neque in fortuná concupiscendum relinquere statuit : contemptu tutus esse, ubi in jure parùm præsidii esset. Ergo ex industriá factus ad imitationem stultitiæ, cùm

se suaque prædæ esse regi sineret, Bruti quoque haud abnuit cognomen, ut sub ejus obtentu cognominis liberator ille populi romani animus latens opperiretur tempora sua. Liv.

ment, et dans laquelle étoit enfermée une baguette d'or, image énigmatique de son caractère et de son esprit. Quand les enfans de Tarquin se furent acquittés de leur commission, et qu'ils eurent reçu la réponse sur le sujet de leur ambassade, la curiosité les prit de savoir qui d'entre eux étoit destiné à régner: Celui, répondit l'oracle, qui baisera le premier sa mère. Les Tarquins convinrent de tenir la chose fort secrète, afin d'empêcher que leur frère Sextus, qui étoit demeuré à Rome, n'en fût informé, et de lui donner par là exclusion; et ils résolurent de tirer au sort qui d'entre eux baiseroit le premier leur mère à leur arrivée à Rome. Notre stupide parut, par l'événement, avoir mieux entendu cet oracle; et s'étant laissé tomber, il baisa la terre, persuadé qu'elle est la mère commune de tous les hommes. Quand ils revinrent à Rome, ils trouvèrent la guerre engagée contre les Rutules.

Liv. lib. 1

p. 261-277.

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Tarquin forma le siége d'Ardée, capitale du pays des Siége d'ArRutules, située à trois milles de la mer, et à vingt milles dée. de Rome, sous prétexte qu'elle avoit donné retraite aux cap. 56-60. Romains qu'il avoit exilés, et qu'elle travailloit à leur Dion.lib.4. rétablissement; mais en effet parce que c'étoit la ville la' plus opulente du Latium, et qu'il vouloit en enlever les richesses, dont il avoit un extrême besoin pour fournir aux dépenses extraordinaires où ses bâtimens l'avoient engagé. Le roi trouva plus de résistance qu'il n'avoit cru, et l'attaque, qui d'abord avoit été fort vive, se ralentit peu à peu. Pendant le loisir d'un siége qui duroit déjà depuis assez de temps, et que Tarquin ne poussoit plus avec beaucoup de vigueur, les princes ses fils passoient le temps en festins et en divertissemens. Ardée n'étoit éloignée de Rome que de six ou sept lieues.

ne occasion

Un jour qu'ils étoient à souper chez Sextus Tarquin Mort de Lu avec Collatin, mari de Lucrèce, la conversation tomba crèce quidon. sur le mérite de leurs femmes. Chacun donnoit à la sienne à l'expulsion. les plus grands éloges. « A quoi bon tant de discours, dit des rois.

« Collatin? Vous pouvez dans peu de temps, si vous le

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voulez, vous convaincre par vos propres yeux combien

« Lucrèce l'emporte sur soutes les autres. Nous sommes

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<< jeunes : montons à cheval, et allons les surprendre. Rien de plus sûr pour décider notre dispute que l'état où nous <«<les trouverons dans un temps où très-certainement elles « ne nous attendent point. » Ils étoient un peu échauffés par le vin. Allons, partons, s'écrient-ils tous ensemble. Ils montent à cheval, et bientôt ils arrivent à Rome, ой ils trouvent les princesses, femmes des jeunes Tarquins, en grande compagnie dans le plaisir et la bonne chère. De là ils vont droit à Collatie, où ils virent Lucrèce dans une situation bien différente. Enfermée avec ses femmes, elle travailloit à des ouvrages de laine dans le secret de sa maison. D'un consentement unanime on lui adjugea la victoire. Elle reçut ses hôtes avec toute la politesse et l'honnêteté possible.

La vertu de Lucrèce, qui devoit imprimer le respect, fut précisément ce qui fit naître dans le cœur de Sextus Tarquin, prince corrompu à l'excès, une passion violente et détestable. Peu de jours après, il revint à Collatie; et après avoir inutilement employé toutes sortes de voies pour la séduire, enfin il lui déclare que non-seulement il l'égorgera elle-même, mais que, pour lui faire perdre la réputation avec la vie, il tuera ensuite un esclave qu'il mettra à côté d'elle dans son lit. La constance de Lucrèce, qui avoit été à l'épreuve de la crainte de la mort, ne put tenir contre celle de l'infamie. Le jeune prince, ayant satisfait sa passion, retourna chez lui comme en triomphe.

Le lendemain Lucrèce, accablée de douleur et de désespoir, envoya dès le matin prier son père et son mari de la venir trouver, et d'amener avec eux chacun un ami fidèle qu'il n'y avoit point de temps à perdre. Ils accoururent, accompagnés, l'un de Valère (c'est celui qui est devenu dans la suite si célèbre sous le nom de Publicola), et l'autre de Brutus. 2 Dès qu'elle les vit entrer,

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