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choses, aux coutumes grecques; mais il eut soin de les purger de ce que la fable y avoit introduit d'indécent et d'injurieux à la Divinité. Il bannit toute somptuosité des sacrifices et des repas que l'on offroit en certaines occasions aux dieux. Denys d'Halicarnasse admire comment cette ancienne simplicité s'étoit conservée jusqu'à son temps, dont il avoit été lui-même très-souvent témoin, ayant vu la farine d'orge, les gâteaux sacrés, les prémices des fruits, et d'autres choses semblables toutes d'un vil prix, servies sur de vieilles tables de bois dans des plats de terre et des paniers d'osier; et les libations faites, non dans des vases d'or ou d'argent, mais dans de simples urnes et dans des tasses de terre cuite. Peut-on croire, demande Cicéron, que ces vases de terre et d'argile fussent moins agréables aux dieux immortels dans le culte qu'on leur rendoit que n'auroient été ces vases d'or et d'argent dont on fait maintenant tant de cas?

2

Les règlemens, par rapport aux mœurs des particuliers, ne sont pas moins remarquables. Denys d'Halicarnasse fait observer que Romulus ne porta qu'une seule loi concernant les mariages, qui paroît bien simple, et qui cependant prévint tous les abus, et maintint les femmes dans les règles de la modestie et de la pudeur. Elle étoit conçue en ces termes : Toute femme qui, par les lois sacrées du mariage tombe en puissance d'un mari, entre avec lui en communauté de biens et de sacrifices. Il semble en effet par là qu'ils ne font plus qu'une seule et unique personne, qu'ils n'ont plus d'intérêts séparés, et qu'ils doivent par conséquent s'entre-aimer et s'entre-supporter mutuellement. La femme, à la mort de son époux, enpossession de ses biens avec les mêmes droits qu'une fille a sur la succession de son père. S'il mouroit sans enfans, et sans avoir fait de testament, tout l'héritage lui appartenoit ; s'il laissoit des enfans, elle partageoit le bien avec eux.

troit en

'Minùsne gratas diis immortalibus capedines ac fictiles urnas fuisse, quàm delicatas [ou deliacas] istorum

pateras arbitramini? 1 Paradox.

2

Uxor farreatione viro juncta, in sacra et bona ejus venito.

mulier ne

Une femme coupable d'une faute envers son mari n'avoit point d'autre juge que le mari même qu'elle avoit offensé, et c'étoit à lui d'ordonner de la punition. Lorsqu'elle étoit accusée d'avoir violé la foi conjugale, ou Temetum convaincue d'avoir bu du vin, ce qui étoit absolument bibito. défendu aux femmes par la loi, alors le mari assembloit les proches de sa femme, et jugeoit le crime avec eux. Romulus regardoit ces deux fautes comme les plus grièves dont elles fussent capables, persuadé que, si l'adultère est le violement du lien le plus sacré de la société, l'ivresse conduit naturellement à l'adultère. On peut juger de la sagesse de cette loi par les bons effets qu'elle eut sur les femmes pendant plusieurs siècles, où il n'y eut aucune plainte ni procès d'adultère, et où il n'y eut pas même de divorce. Ce fut quelques années après la fin de la première guerre punique qu'on en vit un dans Rome pour la première fois. Sp. Carvilius répudia sa femme, après avoir juré devant les censeurs qu'il ne la quittoit que parce qu'elle étoit stérile : ce qui n'empêcha pas, tout spécieux qu'étoit le motif, qu'il ne s'attirât pour le reste de ses jours l'indignation de Rome.

I

Romulus donna aux pères une puissance absolue sur leurs enfans, sans en limiter le temps, et qui avoit lieu à quelque âge et à quelque dignité qu'ils fussent parvenus. En vertu de ce pouvoir, il leur étoit permis de les mettre en prison, de les faire battre de verges, de les charger de fers, de les envoyer travailler à la campagne, de les vendre, et même de les faire mourir. L'histoire en fournit plusieurs preuves, mais qui révoltent toujours l'esprit, et auxquelles on ne s'accoutume point. Un maître n'avoit plus de pouvoir sur son esclave dès qu'il l'avoit vendu une seule fois : 2 un fils n'étoit affranchi du souverain pouvoir de son père sur lui que quand il avoit été vendu trois fois. Nous verrons bientôt que Numa adoucit la rigueur de cette loi en ordonnant, que quand

'In liberos suprema patrum auctoritas esto: venundare, occidere licelo, ou licito.

* Si pater filium ter venunduit, filius à patre liber esto.

un père auroit permis à son fils d'épouser une femme, il n'auroit plus le pouvoir de le vendre. En effet, comme l'observe Plutarque, il étoit très-injuste et très- Invit. Num. dur qu'une femme qui avoit épousé un homme libre se pag.71. trouvât après cela mariée à un esclave par le caprice de

son beau-père.

Cette autorité souveraine dans les maris et dans les pères, tempérée sans doute par les sentimens de bonté et de douceur que la nature ne manquoit pas de leur inspi-rer, contribuoit beaucoup à tenir tout dans l'ordre et dans une juste subordination.

Le roi, attentif à toutes les parties du gouvernement, et qui savoit combien le peuple est difficile à conduire, comprit que l'habitude aux exercices laborieux, qui mènent à la vertu, étoit plus propre que tous les préceptes pour régler ses mœurs, et pour lui apprendre à préférer la justice à l'intérêt, à estimer la vertu au-dessus de tout, et à s'endurcir au travail. Dans cette vue, il laissa exercer aux esclaves et aux étrangers les arts mécaniques, qui contribuent souvent à entretenir les passions, à fomenter la cupidité, à énerver le corps et à abrutir l'esprit. Les Romains ont regardé long-temps ces arts et ces métiers comme au-dessous d'eux, et aucun citoyen ne vouloit s'y appliquer. Il ne permit aux personnes libres que deux professions: la guerre et l'agriculture; il ne sépara pas ces deux emplois, mais les joignit ensemble. Les premiers Romains étoient tous laboureurs, et les laboureurs étoient tous soldats. Or les laboureurs, dont tout le bien consiste en terres, tiennent à l'état par des liens plus fermes et plus difficiles à rompre que les ouvriers, qui, dans les dangers publics, peuvent aisément se transporter ailleurs. En temps de paix, il les accoutumoit tous à travailler à la campagne, excepté les jours qu'il falloit aller au marché. Pour lors, il leur permettoit de se rendre à la ville pour leurs affaires, et pour vendre et acheter, ayant réglé que le marché se tiendroit tous les neuf jours. Pendant la guerre, il ordonna que tous prissent les armes, et que, sans distinction, ils eussent

peuple.

pag. 98.

tous part aux travaux et au profit. En conséquence de cette loi, il partageoit entre eux les terres, les esclaves, et l'argent qu'ils enlevoient à l'ennemi. Par une conduite si équitable, il les trouvoit toujours prêts à entreprendre de nouvelles conquêtes.

Voilà en gros et en général, car j'ai omis bien des choses, ce que rapporte Denys d'Halicarnasse sur l'ordre que Romulus établit dans la république. On y voit les semences et les principes de presque tout ce qui contribua dans la suite à la grandeur de Rome, et qui rendit son gouvernement si admirable.

Il seroit temps de venir au détail des actions de Romulus; mais j'insérerai encore ici auparavant une observation qui pourra contribuer à l'intelligence de l'histoire romaine pour les siècles suivans.

Diverses oc- Ce que j'ai rapporté d'après Denys d'Halicarnasse, que cupations du Romulus n'avoit permis aux personnes libres que deux Dionys. l. a, professions, la guerre et l'agriculture, et qu'il leur avoit interdit l'exercice des arts mécaniques et des métiers, laissant cette occupation basse et ignoble aux esclaves et aux étrangers, me paroît souffrir quelque difficulté.

Plutarque, dans la vie de Numa, remarque, comme on le verra bientôt, que ce prince distribua les citoyens du bas peuple par arts et par métiers, comme orfèvres, charpentiers, teinturiers, et autres pareils artisans. Il les trouva donc déjà établis à Rome ; et il étoit difficile que la chose fût autrement dans un peuple composé d'un grand nombre d'aventuriers, qui ne devoient pas regarder ces arts et ces métiers comme au-dessous d'eux. Ainsi ce que Denys d'Halicarnasse paroît dire de tous les citoyens en général doit être réduit seulement au plus grand nombre, qui certainement furent employés à la culture des terres; mais plusieurs restèrent à Rome pour y exercer les différens métiers nécessaires aux besoins de la vie.

Comment, sans cela, la ville auroit-elle pu être remplie d'habitans? Il n'y auroit donc eu dans Rome que des citoyens riches, ou des esclaves et des étrangers: absurdité

choquante par elle-même, et démentie par toute l'histoire, qui nous apprend que la plus basse partie du peuple étoit précisément celle qui habitoit dans la ville. Ajoutons que, dans l'établissement des centuries sous Servius Tullius, il s'en trouve une destinée à ceux des citoyens qui ne possédoient pas en biens fonds la valeur de douze mille cinq cents as. Que pouvoient faire des citoyens si pauvres, et comment auroient-ils pu subsister sans quelque métier? Tite-Live rapporte que, selon quelques auteurs, on enrôla, dans une nécessité pressante, des artisans et des gens de boutique, genre d'hommes, dit-il, peu propre à la guerre. Il est donc constant, et par ces faits, et par mille autres qu'on pourroit citer, qu'il y avoit des citoyens romains qui exerçoient les professions mécaniques.

Ce qu'il y a de vrai, c'est que l'agriculture étoit extrêmement honorée chez les anciens Romains: c'est que ceux qui portoient les armes étoient ordinairement tirés des campagnes; car tous les citoyens un peu aisés possédoient des biens fonds et des terres. Or, la république ne confioit la défense du salut de l'état qu'à ceux qui y étoient intéressés par le motif même de défendre leur bien particulier.

Par une suite de ce système, les artisans étoient la partie la plus méprisée de tout le peuple; et comme ils étoient comptés pour peu de chose, c'est apparemment ce qui a donné lieu à Denys d'Halicarnasse, toujours porté à relever et à vanter les Romains, de rayer entièrement les artisans du nombre des citoyens.

Distinguons donc le peuple en citoyens qui habitoient la campagne, et citoyens qui demeuroient dans la ville.

I. Ceux de la campagne cultivoient ou leurs propres terres, ou celles du public et des particuliers, qu'ils prenoient à loyer, et dont ils rendoient un certain revenu.

Opificum quoque vulgus, et sellularii, minimè militiæ idoneum ge

nus

excili dicuntur. Liv. lib. 8,

сар. 20.

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