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Plut. in Romulo et quæst. rom. n. 85.

Nombre

la partie des Sabins sur laquelle régnoit Tatius: que ceux des Sabins qui voudroient s'établir à Rome pourroient le faire; qu'il leur seroit libre d'y apporter leurs dieux et leurs coutumes particulières; et qu'ils seroient incorporés dans les tribus et dans les curies.

On accorda aussi divers priviléges aux dames, dont l'enlèvement avoit causé la guerre, et dont le courage et la tendresse avoient ramené une heureuse paix. La plupart de ces priviléges sont de simples déférences d'honneur, et des attentions de respect pour la pudeur du sexe. Mais il en est un remarquable par sa singularité, et par le caractère de ces mœurs antiques. Il fut dit qu'aucun mari romain ne pourroit exiger de sa femme qu'elle fît le pain ou la cuisine; et qu'en général les dames seroient dispensées de tout travail mécanique, et obligées simplement à filer.

En conséquence du traité, Tatius resta à Rome, et retint avec lui trois des plus considérables de sa nation. La suite nombreuse de parens, d'amis, de cliens qu'ils attirèrent après eux mit dans la ville autant de nouveaux habitans qu'il y en avoit d'anciens. 1 Cicéron admire avec raison la profonde sagesse de Romulus dans le traité qu'il conclut ici avec les Sabins, et il ne craint point de dire que ce traité fut la source, le principe, le fondement de toute la puissance et de toute la grandeur romaine, par la coutume salutaire qui s'établit depuis, à l'exemple de Romulus, et qui fut inviolablement observée dans tous les temps, d'admettre au nombre des citoyens les ennemis vaincus, et de leur accorder dans Rome le droit de bourgeoisie.

Cette augmentation de citoyens fit naître aux deux des sénateurs rois la pensée d'augmenter le nombre des patriciens et

doublé.

› Illud sine ullá dubitatione maximè nostrum fundavit imperium, et po'puli R. nomen auxit, quòd princeps ille creator hujus urbis Romulus foedere sabino docuit, etiam hostibus recipiendis augeri hanc civitatem

oportere. Cujus auctoritate et exem plo nunquam est intermissaà majori bus nostris largitio et communicatio civitatts. Cic. in orat. pro Corn. Balbo,

n. 31.

p. ni-115.

celui des sénateurs. On créa d'abord de nouvelles fa- Dionys. 1. 2, milles patriciennes, toutes tirées des nouveaux citoyens, Liv. lib. 1, et en nombre égal aux anciennes : ensuite on choisit cap. 14. dans ces nouvelles familles patriciennes cent nouveaux 52. Plut. p. 50sénateurs, qui, ajoutés aux cent premiers, doublèrent le sénat.

a

Romulus et Tatius se crurent aussi obligés d'agrandir la ville. Ils y ajoutèrent le mont Quirinal et le mont Célius. Quoiqu'ils régnassent en commun, ils partagèrent entre eux la ville ainsi augmentée. Romulus avoit son quartier sur le mont Palatin et sur le mont Célius, qui en étoit tout près. Tatius avoit pour le sien le Capitole, qu'il avoit occupé d'abord, et le mont Quirinal. La plaine qui est au pied du Capitole étoit autrefois une forêt qu'on avoit coupée. Il y étoit resté un grand étang formé par les eaux qui coulent de ces deux montagnes. On le combla de terre, et on en fit ce qui fut depuis la place romaine. Ils bâtirent aussi plusieurs temples à différens dieux.

Les deux rois régnèrent à Rome cinq ans dans une bonne union. Pendant ce temps-là ils marchèrent ensemble contre les Camériens, qui avoient commis beaucoup de brigandages dans la campagne. Ces peuples furent vaincus dans une bataille. On prit leur ville d'assaut; et, pour punir leur témérité, on les dépouilla de leurs armes, et on leur ôta la troisième partie de leurs terres. Quelque temps après ils firent de nouveaux ravages sur les terres des Romains; mais la peine suivit de près cette nouvelle insulte. On fondit sur eux avec toutes les forces de Rome; on les défit entièrement, et l'on partagea leurs possessions entre les vainqueurs. On permit aux habitans de Camérie de venir s'établir à Rome. Ils y vinrent au nombre de quatre mille. On les distribua

Cette montagne fut appelée 1°. Mons Saturnius, de Saturne qui l'avoit anciennement habitée. 2°. Mons Tarpeïus, de cette fameuse Tarpéia qui y eut la sépulture, 3°. Mons Ca

pitolinus, 'parce qu'en fouillant les
fondemens du temple de Jupiter, on y
trouva la tête d'un homme. Ce dernier
nom a prévalu sur les deux autres.

Mort de Tatius.

dans les curies, et leur ville devint une colonie romaine.

La sixième année depuis que Tatius régnoit à Rome, toute la puissance de la royauté fut réunie dans la seule personne de Romulus par la mort de son collègue, qui arriva de la manière qui va être rapportée. Quelques amis de Tatius avoient fait des courses sur les terres de Lavinium, d'où ils avoient enlevé beaucoup de bétail. Ils avoient même blessé et tué plusieurs de ceux qui s'étoient opposés à leurs brigandages. Les Laviniens députèrent à Rome, pour demander justice du tort qu'on leur avoit fait. Romulus pensa qu'il étoit juste d'abandonner les auteurs de l'injure à la discrétion de ceux qui l'avoient reçue. Tatius, gagné par ses amis, soutint au contraire qu'il n'étoit pas raisonnable de livrer des citoyens à des étrangers qui étoient leurs ennemis; et il vouloit que ceux qui se plaignoient qu'on leur avoit fait tort vinssent plaider leur cause à Rome, et se soumissent au jugement des Romains. C'est ici la première et la seule fois que Romulus et Tatius se brouillèrent ensemble. Jusque-là ils avoient toujours eu beaucoup d'égards l'un pour l'autre, et n'avoient paru agir que d'un seul et même esprit.

Les ambassadeurs se retirèrent, fort indignés de n'avoir pu obtenir la satisfaction qu'ils demandoient : et comme ils furent obligés de camper sur le chemin, parce que, surpris de la nuit, il ne purent se rendre chez eux, quelques Sabins qui les avoient suivis, n'écoutant que leur injuste colère, entrèrent dans leurs tentes pendant qu'ils étoient endormis, les pillèrent, leur enlevèrent leur argent, et massacrèrent ceux qui se trouvèrent sans défense. Quelques-uns, qui échappèrent à leur fureur, retournés à Lavinium, mirent toute la ville en émeute. On envoya d'autres ambassadeurs, auxquels se joignirent ceux de quelques autres villes, pour se plaindre de ce violement du droit des gens, et pour déclarer la guerre à Rome, si on ne leur rendoit justice.

Romulus désapprouva, comme il le devoit, le procédé

qu'on avoit gardé avec les ambassadeurs. Il crut qu'on ne pouvoit trop se hâter de punir un crime commis contre les plus saintes lois; et sans perdre de temps, voyant que Tatius sembloit mépriser une affaire de cette conséquence, il fit prendre les coupables, et il les abandonna chargés de fers aux ambassadeurs pour en faire justice chez eux. Tatius prit cette démarche de son collègue comme un affront fait à sa personne et à la royauté: et, d'un autre côté, d'autant plus touché de compassion en faveur des coupables, que parmi eux il y en avoit un de ses parens, il vint à main forte sur ceux qui les emmenoient, et il les obligea de quitter prise.

Peu de temps après, selon quelques historiens, les deux rois se rendirent à Lavinium au sujet d'un sacrifice qu'ils devoient offrir en personne aux dieux de leurs pères, c'est-à-dire aux dieux pénates des Troyens, pour le bien de l'état. Les parens et les amis des ambassadeurs qu'on avoit outragés et assassinés fondirent sur Tatius, et des mêmes couteaux qui avoient servi à égorger les victimes ils le tuèrent au pied de l'autel. Il y a de la diversité dans la manière dont les historiens racontent la mort de Tatius: mais tous conviennent que ce fut à Lavinium qu'il fut tué. On ne comprend pas comment, après d'aussi graves et d'aussi justes sujets de mécontentement que ceux qu'il avoit donnés aux habitans de Lavinium, il eut l'imprudence d'aller se livrer lui-même entre leurs mains. Souvent la Providence aveugle ceux qu'elle a dessein de punir. Telle fut la fin de Tatius. Il avoit fait la guerre contre Romulus pendant trois ans, et en avoit régné cinq avec lui. Son corps fut porté à Rome, où il fut inhumé en grande pompe.

Liv. lib. 1,

Romulus, devenu une seconde fois le seul maître de Dionys. l. 2, Rome, expia le meurtre commis dans la personne des P. 115-119. ambassadeurs, et condamna les coupables à l'exil, ce c. 14 et 15. qui s'appeloit chez les Romains interdire l'eau et le feu. Pl. in Rom: C'étoit l'unique peine dont il pût les punir, parce qu'ils s'étoient sauvés après la mort de Tatius. Il voulut aussi venger l'assassinat de ce prince en se faisant livrer ceux

p. 52-35.

Romulus

des Laviniens qui avoient conspiré contre lui, et les obligeant de se présenter à son tribunal. Ils y parurent en effet: mais ils s'y défendirent si bien, en montrant qu'ils ne l'avoient tué que selon les lois d'une juste défense, qu'ils furent renvoyés absous. Ce jugement, par rapport au meurtre d'un roi, peut paroître étonnant : et c'est peutêtre ce qui donna lieu au bruit qui courut,' que Romulus n'avoit pas paru touché de cette mort comme il auroit dû l'être, soit parce qu'il est rare et difficile que deux rois vivent ensemble de bonne foi en partageant l'autorité, soit parce qu'effectivement il croyoit que Tatius avoit bien mérité la mort.

Après avoir ainsi pacifié toutes choses, il vint à la tête remporte de ses troupes assiéger Fidènes, ville considérable par sa plusieurs victoires sur grandeur et par le nombre de ses habitans, et située à les peuples quarante stades de Rome (environ deux lienes). Les

voisins.

Fidénates avoient pillé des bateaux de vivres que les Crustuminiens envoyoient à Rome dans un temps de famine, et ils avoient tué ceux qui s'étoient opposés à leur violence. Non contens de cette insulte, ils avoient refusé la satisfaction qu'on leur en demandoit. Romulus, pour les punir, fit irruption sur leurs terres; et comme il retournoit chargé de butin, ces peuples l'attaquèrent avec une grosse armée. Le combat fut rude, et il y eut bien du sang répandu de part et d'autre. Romulus néanmoins remporta la victoire, et ayant poursuivi les vaincus, il s'empara de leur ville. Il fit mourir les plus coupables; il priva les autres de la troisième partie de leurs terres, qu'il partagea entre ses soldats; et après avoir laissé chez eux une garnison de trois cents hommes, il en fit une colonie romaine.

A peine eut-il fini cette expédition, qu'il tourna ses armes contre les Camériens, qui, pendant que la peste désoloit Rome, s'imaginant qu'elle ne se releveroit jamais de ses pertes, avoient tué une partie de la colonie

1 Eam rem minùs ægrè, quàm dignum erat, tulisse Romulum ferunt: seu ob infidam societatem regni, seu

quia haud injuriá casum credebat. Liv. cap. 14.

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