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Rome et Pyrrhus étoient presque d'accord d'un traité de paix qui auroit fait peu d'hon. neur à la république. Appius Claudius, tout aveugle et infirme qu'il étoit, se fait porter en chaise dans le sénat, dissipe en un moment tous les nuages qui avoient aveuglé cette sage compagnie, et fait rompre le traité qui étoit près de se conclure.

Tout le monde sait la célèbre réponse de Cinéas à Pyrrhus qui lui avoit demandé ce qu'il pensoit du sénat romain. Il lui dit qu'en voyant cet auguste corps il avoit cru voir une assemblée de rois, tant il paroissoit de dignité, de grandeur et de majesté dans leur maintien, dans leurs discours, et dans toute leur personne.

Fabricius soutint dignement cette idée dans la conversation qu'il eut avec le même Pyrrhus, où le Romain, quoique simple particulier, parut plus grand que le prince.

Quand la puissance romaine se fut considérablement agrandie, les rois, avec toute leur pompe, étoient petits devant un simple sénateur. Popilius étonna par son air de hauteur et de fierté le puissant roi de Syrie qui se Antiochus Epiphane. préparoit à conquérir l'Egypte, en l'obligeant de lui rendre une réponse positive avant que de sortir du cercle étroit qu'il avoit tracé autour de lui.

Qu'est-ce donc qui pouvoit les faire ainsi

respecter par ceux-là mêmes devant qui tous les mortels ont coutume de trembler? Ils étoient sans train et sans équipage, et plusieurs même d'entre eux faisoient gloire de la pauvreté. Oui ; mais leurs grandes actions, leur réputation personnelle, celle du corps dont ils faisoient partie, marchoient avant eux, et leur tenoient lieu de cortège. Cette autorité, à laquelle tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde rendoit hommage, étoit l'autorité de la vertu même et du mérite, inhérente à leur personne, et bien différente de celle qui naît seulement du pouvoir donné par la république. Etant nés dans l'empire, et nourris dans les triomphes, tout ce qui partoit d'eux avoit un caractère de noblesse qui les distinguoit.

Et lorsque Rome, devenue plus puissante, eut porté au loin ses armes victorieuses, ayant vu dès leur enfance traîner des rois captifs par les rues, et d'autres rois supplians et solliciteurs venir en personne demander justice, et attendre à la porte du sénat leur bonne ou leur mauvaise fortune, de tels spectacles leur avoient rehaussé infiniment l'âme, en mettant sous leurs pieds en quelque sorte les couronnes des souverains et toute la majesté des trônes; et ils soutenoient merveilleusement un si haut personnage par leur conduite et par leurs sentimens car leur grandeur n'é

toit point appliquée sur leur fortune; elle avoit racine en eux, elle tenoit à leur esprit et à leur cœur.

Voilà ce qu'étoit le sénat. C'est à lui que Rome devoit toute sa puissance et toutes ses conquêtes. Outre que c'étoit de son sein qu'on tiroit tous les généraux et tous les commandans, c'étoit la que se formoient les grandes entreprises, que se prenoient les généreuses résolutions, que se traitoient les importantes affaires de l'état avec un secret et une sagesse qu'on a peine à comprendre. Une délibération Liv. lib. 42, au sujet de Persée, dernier roi de Macédoine, tenue dans une compagnie de trois cents hommes, demeura secrète pendant quatre ans entiers, et l'on ne sut ce qui s'y étoit passé que lorsque la guerre fut achevée.

Quelle ressource pour un nation, si l'on en connoissoit l'avantage, qu'un conseil toujours subsistant, où, par une tradition vivante, se conservent sans altération et sans dépérissement les anciennes maximes et l'esprit, pour ainsi parler, de l'état ! C'est la plus juste idée qu'on se puisse former du sénat de Rome. 'Quand à la place des rois, dont le pouvoir despotique, sous le dernier Tarquin, étoit de

I

'Cùm regum potestatem non tulissent [majores nostri], ita magistratus annuos creaverunt, ut consilium senatus reipublicæ proponerent sempiternum.... Senatum reip. custodem, præ

sidem, propugnatorem colloca-
verunt. Hujus ordinis auctori-
tate uti magistratus, et quasi
ministros gravissimi consilii esse
voluerunt : senatum autem
ipsum proximorum ordinum

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Maximes et

coutumes

blies dès le

venu insupportable, on eut créé des magistrats annuels, le sénat fut regardé dès-lors comme le conseil suprême et perpétuel de la république, et comme devant être le gardien des lois, l'âme du gouvernement, le défenseur de la liberté et des intérêts du peuple. L'autorité, à proprement parler, du moins celle qui vient de la prudence et de la sagesse, résidoit dans cet auguste corps. Elle passoit de là, et étoit communiquée aux magistrats, qui en étoient comme les ministres ; et les autres ordres de la république contribuoient à relever le mérite et la gloire du sénat. En un mot, il étoit le fidèle dépositaire des principes de politique de l'état.

On verra dès les commencemens, comme louables éta- je l'ai déjà observé, un plan de gouverneCommence- ment formé sous les rois mêmes, et fortifié ensuite sous les consuls, dont jamais Rome ne s'écarta je parle des grands principes de politique.

ment.

continuelle å

Attention Lorsque le menu peuple fut déchargé de multiplier le tout impôt, le sénat, en déclarant que les citoyens. pauvres payoient un assez grand tribut à la république en nourrissant leurs enfans, montra, par

nombre des

cette ordonnance, qu'il savoit en quoi consistoient les vraies richesses d'un état.

splendore confirmari, plebis
libertatem et commoda tueri
atque augere voluerunt. Cic.
pro Sext. n. 137.

Pauperes satis stipendi pendere, si liberos educarent. Liv. lib. 2, cap. 9..

Dans le dessein de former à Rome un grand empire, le premier soin devoit être de la bien peupler d'habitans. C'est ce que fit d'abord Romulus, en y invitant les étrangers, et en faisant un favorable accueil à ceux qui venoient y établir leur domicile. La coutume d'incorporer parmi les citoyens romains, en tout ou en partie, les habitans des villes voisines qu'on avoit prises par force, mit Rome en état de mettre sur pied, dès le temps du sixième roi, un corps de troupes de quatrevingt mille hommes, et bientôt après de plus de deux cent mille combattans. Cette industrie manqua à Sparte et à Athènes, dont aussi il ne sortit jamais plus de vingt mille hommes à la fois.

La multitude des citoyens, qui croissoit tous les jours à Rome avec les nouvelles conquêtes, pouvoit lui être à charge : les colonies obvièrent à cet inconvénient, et le convertirent en un des plus grands avantages et des plus fermes appuis de l'empire. Elles produisoient deux effets admirables: l'un de décharger la ville d'un grand nombre de citoyens, et la plupart pauvres; l'autre, de garder les postes principaux, et d'accoutumer peu à peu les étrangers aux mœurs romaines.

Jamais Rome ne s'écarta de ces deux coutumes établies presque dans le temps de sa fondation, et elles furent une des principales causes de sa grandeur; surtout la première,

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