Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ÉLOGE DE ROLLIN,

PAR M. DE BOZE,

edos,

LU DANS L'ASSEMBLÉE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, LE 14 NOVEMBRE 1741.

CHARLES ROLLIN, Second fils de Pierre Rollin, maître coutelier à Paris, y naquit le 30 janvier 1661, et fut destiné, comme son frère aîné, à suivre la profession du père, qui leur fit avoir à l'un et à l'autre des lettres de maîtrise dès leur plus tendre jeunesse.

Un bénédictin des Blancs-Manteaux, dont il alloit souvent entendre ou servir la messe, parce que leur église étoit dans le voisinage, fut le premier qui aperçut en lui de grandes dispositions pour les lettres. Il connoissoit la mère, qui étoit en son genre une femme de mérite : il lui parla, et lui dit qu'il falloit absolument qu'elle le fît étudier. Un sentiment intérieur lui en disoit bien aussi quelque chose : mais des raisons plus fortes en apparence s'y opposoient toujours. Elle étoit devenue veuve, sans nulle ressource du côté de la fortune que la continuation du commerce de son mari. Ses enfans pouvoient seuls l'aider à le soutenir, et elle se trouvoit hors d'état de faire pour aucun d'eux les frais d'une autre éducation.

Le bon religieux, bien loin de se rebuter, continua ses instances et le principal obstacle ayant été levé par l'obtention d'une bourse du collége des Dix-Huit, le sort du jeune Rollin fut décidé en conséquence, et

dès-lors il parut tout autre, même aux yeux de sa

mère.

ile commença par trouver plus d'esprit et plus de tesse dans les marques de son respect et de sa somission. Elle fut ensuite sensible à ses progrès, qu'on lui annonçoit de toutes parts, et dont on ne lui parloit qu'avec une sorte d'étonnement: et ce qui ne la flatta pas moins sans doute, ce fut de voir les parens de ses compagnons d'étude, les plus distingués par leur naissance ou par le rang qu'ils tenoient dans le monde, envoyer ou venir eux-mêmes la prier de trouver bon que son fils passât avec eux les jours de congé, et fût associé à leurs plaisirs comme à leurs exercices.

A la tête de ces parens illustres étoit M. Le Peletier, le ministre, dont les deux fils aînés avoient trouvé un redoutable concurrent dans ce nouveau venu. Leur père, qui connoissoit mieux qu'un autre les avantages de l'émulation, ne chercha qu'à l'augmenter. Quand le jeune boursier étoit empereur, ce qui lui arrivoit souvent, il lui envoyoit la même gratification qu'il avoit coutume de donner à ses fils, et ceux-ci l'aimoient quoique leur rival: ils l'amenoient chez eux dans leur carrosse, ils le descendoient chez sa mère quand il y avoit affaire, ils l'y attendoient ; et un jour qu'elle remarqua qu'il prenoit sans façon la première place, elle voulut lui en faire une forte réprimande, comme d'un manque de savoir-vivre; mais le précepteur répondit humblement que M. Le Peletier avoit réglé qu'on se rangeroit toujours dans le carrosse 'suivant l'ordre de la classe.

Cet échantillon du succès des études de M. Rollin devroit suffire, et nous en supprimerions d'autant plus volontiers les autres détails, qu'à quelques petites différences près, ces détails ne sont que trop sou

vent ramenés dans l'éloge historique des sujets que
la mort enlève à l'académie. Mais nous ne pouvons
nous dispenser de dire encore qu'étudiant en rhéto-
rique au Plessis, sous le célèbre M. Hersan, qui redou-
bloit volontiers l'ardeur de ses disciples par d'hono-
rables épithètes, M. Hersan disoit publiquement qu'il
n'en trouvoit point qui distinguât assez le jeune Roi-
lin, qu'il étoit quelquefois tenté de le qualifier de '
divin. Il lui renvoyoit presque tous ceux qui lui de-
mandoient des pièces de vers ou de prose :
: Adressez-
vous à lui, leur disoit-il, il fera encore mieux que
moi.

A quelques temps de là, un ministre à qui on ne pouvoit rien refuser, M. de Louvois, engagea M. Hersan à quitter le collége du Plessis pour s'attacher à M. l'abbé de Louvois, son fils, qu'il faisoit élever avec soin, et qui de lui-même donnoit de grandes espérances. M. Rollin n'avoit alors que vingt-deux à vingttrois ans, et déjà on le regardoit dans l'université comme digne de succéder à M. Hersan. Il fut le seul qui pensât différemment, et ce ne fut pas sans lui faire violence qu'on le détermina à être professeur de seconde, comme M. Hersan l'avoit été avant que de passer à la chaire de rhétorique, qu'il eut aussi comme lui quelques années après : et ce qui acheva de rendre la conformité parfaite, c'est que M. Hersan, qui avoit de plus la survivance d'une chaire d'éloquence au collége royal, s'en * démit encore, avec l'agrément du * En 1688. roi, en faveur de M. Rollin.

La nécessité de composer des tragédies pour la distribution des prix à la fin de chaque année étoit l'unique chose qui embarrassoit un peu M. Rollin. Quelque sensible qu'il fût d'ailleurs aux beautés des anciens poëtes dramatiques, il étoit trop persuadé que ces sortes de représentations ne convenoient point dans

les colléges, où elles faisoient seulement perdre un temps précieux aux maîtres et aux écoliers: et on se rappela à ce sujet que, M. Le Peletier en ayant voulu faire représenter chez lui par messieurs ses fils, et les jeunes gens qu'il avoit associés à leurs études, M. Rollin étoit le seul qu'on ne put jamais y charger d'aucun rôle. Un certain fonds d'ingénuité attaché à toutes les parties de son caractère l'empêchoit de se revêtir un instant du moindre personnage étranger.

A cet article près, aucun professeur n'exerçoit ses fonctions d'une manière plus brillante. Il faisoit souvent des harangues latines où il célébroit les événemens du temps, tels que les premières victoires de Monseigneur, la prise de Philisbourg, et les campagnes suivantes. Mais le grec lui sembla toujours mériter une sorte de préférence. On commençoit à le négliger dans les écoles de l'université : il en ranima l'étude, et il en fut pour ainsi dire le véritable restaurateur. Il regrettoit fort qu'on eût abandonné l'usage de soutenir des thèses en grec. M. Boivin le cadet, et lui, en avoient donné le dernier exemple: et n'ayant pas assez d'autorité pour rétablir cet usage, il en introduisit un autre encore plus utile, celui des exercices publics sur des anciens auteurs grecs et latins. Il choisit les plus jeunes des fils de M. Le Peletier pour le premier de ces exercices : et les applaudissemens qu'ils recurent excitèrent dans les autres colléges une émulation qui s'y soutient encore. M. Rollin en augmentoit ordinairement l'éclat par des pièces de vers qu'il adressoit, tantôt à ceux-mêmes qui faisoient ces exercices, tantôt à leurs parens; et plusieurs de ces pièces sont imprimées. M. Le Peletier conservoit précieusement l'original de celle que M. Rollin lui avoit adressée sur l'exercice de messieurs ses fils. Il en composa trois sur ceux de M. l'abbé de Louvois et la troisième a cela

« AnteriorContinuar »