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de singulier, qu'elle explique avec une netteté et des grâces inimitables, l'estampe de cette thèse fameuse que M. le marquis de Louvois, son père, lui fit dédier au roi, à son retour de la prise de Mons. Il joignoit à ces talens un zèle infatigable, et un tel discernement des esprits, qu'il voyoit tout d'un coup ce dont ils pouvoient être capables, et la route qui devoit les y conduire. Habile à réprimer l'impétuosité et à élever le courage, à ménager la délicatesse et à dompter l'indolence, c'est ainsi qu'il a formé quantité de gens de lettres, d'excellens professeurs, et qu'il a donné au clergé, à la magistrature, au métier même des armes, des sujets d'un grand mérite. M. le premier président Portail se plaisoit quelquefois à faire semblant de lui reprocher qu'il l'avoit excédé de travail; et M. Rollin lui répondoit sérieusement : «Il vous sied bien, mon« sieur, de vous en plaindre ! C'est cette habitude au « travail qui vous a distingué dans la place d'avocatgénéral, qui vous a élevé à celle de premier prési<dent: vous me devez votre fortune. »

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Après avoir professé huit ou dix années de suite au Plessis, M. Rollin en sortit pour se livrer entièrement à l'étude de l'histoire ancienne, ne retenant de ses fonctions publiques que celle de la chaire d'éloquence du collége royal, qu'il n'exerçoit encore qu'à titre de survivance sans aucun émolument, mais il avoit six sept cents livres de rente, et il se croyoit extrêmement riche.

L'université, qui sentit le vide qu'y laissoit la retraite de M. Rollin, ne fut pas long-temps sans le rappeler. Elle le nomma recteur à la fin de 1694, et elle le continua deux ans, ce qui étoit alors une grande distinction. En cette qualité, il fit deux fois, aux écoles de Sorbonne, le panégyrique du roi, que la ville venoit de fonder. On n'y vit jamais un auditoire

plus nombreux et plus choisi. Ces deux discours furent regardés comme autant de chefs-d'œuvre; le dernier surtout, qui avoit pour objet l'établissement des Invalides. Et cependant, comme cet objet n'avoit pas rempli toute la fécondité du génie de M. Rollin, il fit distribuer le même jour dans l'assemblée une ode sur les autres embellissemens de Paris. La description de ses portes en arcs de triomphe formoit seule dans cette ode un nouveau panégyrique encore plus digne du héros.

C'est au même temps qu'il faut rapporter ce que l'on trouve dans les mémoires du sieur Amelot de La Houssaye, à l'article des préséances. Il y marque qu'à une thèse de droit, le recteur Charles Rollin ne souf frit jamais que l'archevêque de Sens (Fortin de la Hoguette) prit le pas sur lui. Il n'est pas nécessaire d'ajouter qu'en tout autre temps, et en toute autre occasion, il ne l'auroit jamais disputé à personne.

La fin du rectorat de M. Rollin ne lui rendit pas toute sa liberté. M. le cardinal de Noailles l'engagea à se charger de l'inspection des études de messieurs ses neveux, qui étoient au collège de Laon : et il s'en occupoit avec plaisir quand M. Vittement, appelé à l'éducation des enfans de France, souhaita avant tout pouvoir lui remettre sa coadjutorerie de la principalité du collège de Beauvais. M. Rollin eut toutes les peines du monde à l'accepter: et il paroît, par quelques lettres imprimées de M. l'abbé Duguet, que ce fut lui qui l'y détermina.

Le collége de Beauvais, aujourd'hui si florissant, étoit alors une espèce de désert, où il n'y avoit que très-peu d'écoliers, et point du tout de discipline; et ce qui sembloit ôter l'espérance de pouvoir jamais y rétablir l'ordre et le travail, c'est qu'il étoit uni à un autre collège de même nature. Nous ne dirons point

comment M. Rollin vint à bout de le mettre en honneur et de le peupler presque au-delà de ce qu'il peut contenir. On s'imagine bien qu'il fallut y employer tous les talens qu'il exige lui-même d'un bon principal, dans son Traité des Études. C'est assez la coutume des grands maîtres de ne prescrire les véritables devoirs d'un état qu'en décrivant sans y penser la manière dont ils ont rempli les leurs.

Aussi rien n'égaloit la confiance qu'on avoit en lui. Un homme de province, homme riche, et qui ne le connoissoit que de réputation, lui amena son fils pour être pensionnaire à Beauvais, ne croyant pas que cela pût souffrir quelque difficulté. M. Rollin se défendit de le recevoir, sur ce qu'il n'avoit pas un pouce de terrain qui ne fût occupé : et, pour l'en convaincre, il lui fit parcourir tous les logemens. Ce père, au désespoir, ne chercha point à l'exprimer par de vaines exclamations. Je suis venu, lui dit-il, exprès à Paris; je partirai demain : je vous enverrai mon fils avec un lit. Je n'ai que lui vous le mettrez dans la cour, à la cave, si vous voulez; mais il sera dans votre collége, et de ce moment-là je n'en aurai aucune inquiétude. Il le fit comme il l'avoit dit. M. Rollin fut obligé de recueillir le jeune homme, et de l'établir dans son propre cabinet, jusqu'à ce qu'il lui eût ménagé une place ordinaire.

En 1712, il quitta la principalité de Beauvais pour reprendre plus tranquillement le premier projet de ses études. Il commença par travailler sur Quintilien, dont il faisoit grand cas, et dont il voyoit avec peine qu'on faisoit trop peu d'usage. Il en retrancha tout ce qu'il y trouva d'inutile pour former des orateurs ou des gens de bien; il exposa sa méthode et ses vues dans une élégante préface; il mit des sommaires raisonnés à la tête des chapitres ; il accompagna le texte

de petites notes choisies; et l'édition parut en deux volumes in-12, au commencement de 1715.

L'université, à qui il étoit ainsi toujours cher et toujours utile, le chargea en 1719 d'une harangue solennelle en forme d'actions de grâces pour l'instruction gratuite que le roi venoit d'y établir. Le sujet étoit grand; il l'égala par la noblesse et la magnificence des expressions; il y parla, en maître consommé, de l'ordre, du choix, et du goût des études; et ce qu'il en dit fit naître le plus ardent désir d'avoir quelque jour sur cette matière un traité complet de sa façon.

L'université, jugeant aussi que ses anciens statuts avoient besoin de quelques changemens à cet égard, et que personne n'étoit plus capable de les bien rédiger que M. Rollin, le nomma encore recteur en 1720. Mais des circonstances particulières abrégèrent tellement ce second rectorat, qu'il ne fut plus question des statuts, et qu'il eut tout le temps de composer son traité de la manière d'étudier et d'enseigner les belles-lettres. Il le divisa en quatre volumes, dont il publia les deux premiers en 1726, et les deux derniers en 1728.

Encouragé par le succès de cet ouvrage, il en entreprit un autre beaucoup plus étendu, et qui en étoit cependant comme une suite nécessaire : ce fut l'histoire ancienne des Egyptiens, des Carthaginois, des Assyriens, des Babyloniens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens et des Grecs. Il avoit d'abord espéré pouvoir la réduire à six ou sept volumes, mais elle le conduisit insensiblement jusqu'au treizième.

Ils ont tous paru dans l'intervalle de 1730 à 1738, que, donnant les deux derniers volumes de cette histoire ancienne, M. Rollin donna encore le premier volume d'une histoire romaine, qui en a déjà cinq : le sixième et le septième sont même imprimés, et n'at

tendent pour paroître que les cartes géographiques qui doivent les accompagner. Le huitième et partie du neuvième sont faits, et vont jusqu'après la guerre contre les Cimbres, qui n'a précédé que d'environ soixante-dix ans la bataille d'Actium, où se terminoit le projet de M. Rollin. Ses illustres disciples, qu'il commençoit à appeler ses maîtres, ne sauroient laisser son ouvrage imparfait en aucun sens.

Le public leur demandera peut-être encore les harangues latines de M. Rollin, parce qu'il n'y en a aucune d'imprimée, et probablement aucune qui ne mérité de l'être. Si nous étions assujettis à indiquer dans l'ordre des temps toutes celles qui sont venus à notre connoissance, ou dont le souvenir s'est plus heureusement conservé, il y en a une entre autres que nous n'aurions pas oubliée; celle qu'il prononça en 1701, deux ans après son entrée au collège de Beauvais, sur l'avénement de Philippe v à la couronne d'Espagne. On a eu un peu plus de soin de ses poésies: on les inséra en 1727 dans un recueil de pièces choisies; et outre celles dont nous avons déjà fait mention, il y en a un grand nombre d'autres de la même force et de la même beauté. Si on étoit tenté d'adjuger la préférence à quelqu'une, sa traduction latine de l'ode de M. Despréaux sur la prise de Namur ne manqueroit pas de suffrages.

Il y a aussi plusieurs épigrammes, qui ont presque toutes leur singularité. Il seroit difficile, par exemple, d'en trouver une plus propre à justifier la qualité de devins qu'on attribue assez communément aux poëtes, que celle qu'il envoya en 1695, la première année de son rectorat, au petit-fils de M. Le Peletier, qui n'avoit encore que cinq à six ans. Il lui fit porter, le jour de la Chandeleur, au nom de l'université, un cierge semblable à celui qu'elle a coutume de présenter aux

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