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décrets communs au jugement du peuple. Ici, il ne restoit de ressource que dans une prompte obéissance.

Après avoir imprimé le respect et la crainte dans l'esprit des plus turbulens par la majesté de ce cortége, tout semblable à celui des rois, il fit faire le dénombrement des citoyens, conformément à l'ordre établi par Servius Tullius, et renouvelé par les premiers consuls. Le nombre des citoyens au-dessus de l'âge de seize ans se trouva de cent cinquante mille sept cents hommes.

Le dénombrement fait, il sépara les vieillards de ceux qui étoient en état de porter les armes; et il forma de ceuxci quatre corps d'armée, infanterie et cavalerie. Il se réserva le premier, l'élite et la fleur des troupes. Il permit à Clœlius, qui avoit été son collègue, de choisir celui d'entre les trois autres qu'il voudroit commander. Il donna le troisième à Spurius Cassius, général de la cavalerie. Il mit à la tête du dernier Spurius Lartius, son frère, pour demeurer avec les vieillards à la défense de la ville.

Quand tout fut disposé pour la guerre, il entra en campagne, et plaça ses trois corps d'armée aux passages par où il croyoit que les Latins pourroient entrer sur le territoire des Romains.

Persuadé que c'étoit le devoir d'un habile général, nonseulement de se fortifier lui-même, mais encore d'affoiblir les ennemis, et de tendre à terminer les guerres sans com bat quand il le peut faire, ou en répandant le moins de sang qu'il est possible, Lartius crut qu'il valoit mieux terminer celle-ci par la voie de la négociation que par celle des armes. Il députa secrètement des hommes de confiance aux plus considérables d'entre les Latins, pour les faire entrer dans des vues pacifiques. En même temps il envoya des ambassadeurs dans toutes les villes pour traiter ouvertement de la paix. Par cette conduite il commença à calmer les esprits et la douceur dont il usa bientôt après lui gagna entièrement l'amitié des peuples, et leur fit naître de l'éloignement pour les chefs qui les portoient à prendre les armes. Mamilius et Sextus, que les Latins avoient établis généralissimes de leurs troupes,

avoient

marqué le rendez-vous général à Tusculum, pour marcher de là vers Rome. Mais comme ils différoient longtemps à se mettre en mouvement, soit qu'ils attendissent les secours de quelques peuples lents à fournir leur contingent, soit que les présages et les auspices ne fussent pas favorables, une partie de l'armée se détacha et vint faire le dégât sur les terres des Romains. Lartius, qui en fut averti, commanda Cloelius avec l'élite de la cavalerie et de l'infanterie légère. Celui-ci étant tombé sur les ennemis lorsqu'ils s'y attendoient le moins, les fit prisonniers, excepté un trèspetit nombre des plus braves qui furent tués en faisant quelque résistance. Cloelius les conduisit au dictateur, qui les reçut avec beaucoup de marques de bienveillance. Il fit panser les blessés, et, sans exiger de rançon, il les ren- Trève d'une voya tous à Tusculum, avec une ambassade composée des année plus illustres Romains, qui firent si bien par leurs sollicitations, que l'armée des Latins se retira, et que la nation conclut une trève d'un an.

La campagne ainsi terminée, le dictateur ramena son armée à Rome, et avant que le temps de sa magistrature fût expiré, il nomma des consuls et se démit de ses pouvoirs, sans avoir exercé aucune violence, aucune rigueur sur quelque citoyen romain que ce pût être.

avec

les Latins.

ture.

Cette conduite de Lartius, si sage et si mesurée au mi- Réflexion lieu d'un pouvoir sans bornes, qui souvent change et cor- sur la dictarompt les meilleurs naturels, donne lieu à Denys d'Halicarnasse de faire une réflexion bien sensée, et que je ne dois pas omettre. Il remarque que cet exemple que donna le premier dictateur fut suivi dans la suite de tous ceux qui remplirent la même charge jusqu'à Sylla, pendant l'espace de plus de quatre cents ans.

a

Les historiens ne font mention d'aucun dictateur qui ait manqué de douceur et de modération, quoique la république se soit vue souvent obligée d'ôter l'autorité à ses

a On en peut excepter L. Manlius imperiosus, que ses violences

rendirent fort odieux. Liv. lib. 7,
cap. 4.

AN. R. 257.
Av.J.C.495.

Dionys.l.6, p.341.

Décret au

mes.

magistrats ordinaires pour la confier à un seul. Si jamais on n'eût créé de dictateurs que pour défendre la patrie contre des ennemis étrangers, il seroit moins étonnant qu'occupés au-dehors ils n'eussent point abusé de leur puissance; mais dans des troubles domestiques, lorsqu'il falloit ou réprimer des séditieux ou délivrer l'état de citoyens soupçonnés de tendre à la tyrannie, ou se précautionner contre une infinité d'autres dangers dont la république étoit menacée, qu'aucun de ceux qu'on revêtoit d'un plein pouvoir n'ait jamais donné sujet de reproche, et ne se soit écarté de la route qu'avoit tracée le premier dictateur, c'est ce qui fait l'éloge parfait de la république romaine.

A. SEMPRONIUS ATRATINUS.

M. MINUCIUS.

Il ne se passa rien de considérable sous ces consuls, ni au-dedans, ni au-dehors. La trève faite avec les Latins donnoit aux troupes le temps de respirer, et l'arrêt du sénat qui défendoit aux créanciers d'inquiéter leurs débiteurs jusqu'à la fin de la guerre avoit arrêté les mouvemens des pauvres.

on

Le sénat fit un décret qui paroît assez extraordinaire. sujet desfem- Il étoit porté par ce décret que les femmes latines qui avoient épousé des Romains, et que les femmes romaines qui s'étoient mariées chez les Latins auroient la liberté, ou de demeurer avec leurs maris si elles l'aimoient mieux, ou de retourner dans leur patrie. A l'égard des enfans, avoit réglé que les garçons resteroient avec leurs pères, et que les filles qui ne seroient point mariées suivroient la destinée de leurs mères. Il s'étoit fait un grand nombre de ces mariages dans les deux nations, voisines comme elles étoient, et unies tant par l'amitié que par une commune origine. Les femmes, maîtresses de leur sort, montrèrent combien le séjour de Rome avoit pour elles d'attraits. Les Romaines qui avoient pris des engagemens dans différentes villes des Latins quittèrent presque toutes

leurs maris pour se rendre dans leur patrie; et les Latines qui s'étoient établies à Rome renoncèrent toutes, excepté deux, à leur pays, pour demeurer avec leurs maris.

AULUS POSTUMIUS.

TITUS VIRGINIUS.

AN. R. 258.
Av. J.C.494.

Guerre contre lesLatins.

Célebre ba

Ce fut sous ces consuls que finit la trève d'un an qu'on avoit faite avec les Latins. On se préparoit fortement de part et d'autre à la guerre, et les efforts extraordinaires taille près du qu'on faisoit donnoient lieu de juger que la bataille qui gnée par les Jac Régille ga étoit près de se donner décideroit du sort des deux peu- Romains. Diony's 1.6, ples. Dans une telle conjoncture, on crut à Rome qu'il p. 542-558. étoit nécessaire de remettre l'autorité entre les mains d'un Liv. lib. 2, seul homme. Le consul Virginius nomma pour dictateur Aulus Postumius, son collègue, et celui-ci choisit pour général de la cavalerie T. Ebutius Elva.

Les deux armées se mirent bientôt en campagne, et se postèrent assez près du lac Régille. Celle des Romains n'étoit que de vingt-quatre mille fantassins, et de trois mille chevaux : celle des Latins montoit à quarante mille hommes d'infanterie, et à trois mille de cavalerie. Sextus Tarquinius étoit à l'aile gauche des Latins : Octavius Mamilius à la droite: Titus, autre fils de Tarquin, commandoit le corps de bataille, à la tête des exilés, et de ceux qui volontairement avoient préféré le parti des Tarquins à leur patrie. Selon Tite-Live, c'étoit Tarquin le père, luimême en personne, âgé pour lors de quatre-vingt-dix ans ; ce qui n'est guère vraisemblable. La cavalerie étoit divisée en trois corps, dont deux étoient distribués sur les deux ailes, et l'autre placé au centre. Dans l'armée romaine, T. Ebutius, général de la cavalerie, avoit la gauche, le consul Virginius la droite, et le dictateur Postumius commandoit le corps de bataille.

L'armée des Romains, comme on le voit, étoit de beaucoup inférieure à l'autre : mais quand ils surent que les Tarquins paroissoient à la tête des ennemis, cette vue les transporta de fureur, et parut avoir doublé leurs forces en

C. 19.20.

redoublant leur courage par la haine contre les tyrans. Il ne fut plus possible de retarder le combat, et d'ailleurs le dictateur avoit appris que les ennemis attendoient un renfort de troupes considérable. Il fallut donc donner le signal. Jamais bataille ne fut ni plus opiniâtre, ni plus sanglante. Les commandans ne se contentèrent pas de donner les ordres ils payèrent de leur personne, et eurent la plus grande part aux dangers. Tous les chefs des deux armées s'attaquèrent corps à corps, et, à l'exception de Postumius, ceux qui n'y perdirent pas la vie, revinrent blessés trèsdangereusement.

:

Le dictateur, qui étoit au corps de bataille avec l'élite de la cavalerie, fit plier d'abord celui des ennemis où commandoit Titus, second fils de Tarquin, qui fut atteint à l'épaule d'un coup de javelot. Comme on fut obligé de l'emporter hors de la mêlée, son absence fit perdre cœur à ceux qui combattoient sous ses ordres, et ralentit toute leur ardeur. Les Romains, profitant de leur consternation, les poussèrent vivement, et leur firent lâcher pied. Sextus, l'autre fils de Tarquin, s'en aperçut. Il envoie à leur secours ce qu'il avoit auprès de lui de meilleures troupes de cavalerie. Les fuyards se rallient; leur courage s'anime: ils retournent à la charge, soutiennent l'effort des ennemis, et combattent avec une nouvelle vigueur. Il paroit, que Titus revint bientôt après.

D'un autre côté, il y eut un rude choc entre Ebutius, général de la cavalerie romaine, et Mamilius, le chef des Tusculans, qui s'étoient long-temps cherchés des yeux pour en venir ensemble aux prises. La lance à la main, ils poussèrent leurs chevaux l'un contre l'autre avec une telle impétuosité, qu'Ebutius eut le bras percé d'outre en outre, et Mamilius reçut un coup à travers sa cuirasse. Le premier ne pouvant plus faire usage de sa lance, se vit obligé de quitter le combat : l'autre, après s'être retiré pendant quelque temps dans la seconde ligne, revint bientôt à la mêlée sans faire d'attention à sa blessure; et, voyant ses troupes en désordre, il fait venir la cohorte des Romains exilés commandée par Titus. Comme ils ne res

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