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LIVRE TROISIÈME.

E troisième livre renferme à peu près l'espace de trente s, depuis l'histoire de Coriolan, qui suit immédiatement Etablissement des tribuns du peuple, jusqu'à la loi'proosée par le tribun Térentillus, qui prépare à l'établisment des décemvirs; c'est-à-dire depuis l'an de Rome 51 jusqu'à 290.

I. Siége et prise de Corioles, où se distingue Marcius, surnommé depuis Coriolan. Son caractère. Renouvellement du traité avec les Latins. Mort de Ménénius Agrippa. Honneurs rendus à sa pauvreté. Famine extrême à Rome. Nouveaux troubles. Coriolan demande le consulat, et est refusé. Il s'emporte avec violence contre le peuple au sujet de la distribution du blé. Il conseille de profiter de la misère du peuple pour abolir le tribunat. Il est appelé en jugement devant le peuple et condamné à l'exil. Il se retire chez les Volsques, qu'il engage à la guerre. Il forme le siége de Rome. Il rejette l'ambassade des sénateurs et celle des prêtres. Il lève le siége à la prière de sa mère, et retourne à son exil. Sa mort.

lic. 1.6, pag.

La paix étant rétablie dans Rome, on ne songea plus Av. J. C.401. qu'à lever des troupes pour porter la guerre au-dehors. On Dionys. Haavoit nommé pour consuls, pendant les troubles de la lic.l. pag. 411-416. république, Sp. Cassius et Postumus Cominius. Le com- Liv. lib. 2, mandement de l'armée échut par le sort au dernier. Elle cap. 34. étoit composée de troupes romaines fort nombreuses, et riol. p. 216d'un secours assez considérable de Latins. Le consul mar- 218. cha contre les Volsques, prit d'emblée deux petites villes, Longule et Polusque, puis s'attacha au siége de Corioles, Siege de Co.

Plut. in Co

rioles.

une des plus fortes places du pays. Les habitans s'y étoie préparés de longue-main: aussi firent-ils une vigoureu: défense. Les premières attaques, qui durèrent jusqu'à è nuit, ne réussirent pas au consul: il fut repoussé avec beaucoup de perte des siens. Résolu de recommencer l'assaut le lendemain, il fit préparer les béliers, les mantelets et les échelles. Mais ayant appris que les Antiates venoient au secours des Coriolans leurs compatriotes et leurs alliés, et qu'ils s'approchoient avec un puissant renfort, il partagea son armée en deux corps, dont il laissa l'un pour continuer le siége sous le commandement de T. Lartius, et il marcha avec l'autre à la rencontre de l'ennemi. Il y avoit dans le corps de troupes resté devant Corioles nomus un jeune officier nommé Marcius, de race patricienne, puis Corio- généralement estimé pour son courage et pour sa pruConsilio et dence, qui jouera un grand rôle dans la suite. Ayant perdu manu promp- son père dans son bas âge, il fut élevé sous la conduite Plut. in Co- de sa mère appelée Véturie, femme d'une austère vertu, riol.p.214. et fit voir par son exemple que, si l'état 1 d'orphelin est

Caractère de Marcius, sur

lan.

tus.

I

fâcheux par bien des endroits, il n'empêche pas néanmoins celui qui s'y trouve de devenir un grand homme. Mais comme cet état fait ordinairement que l'éducation est négligée, il en arrive souvent que les caractères nés pour les plus grandes vertus se trouvent accompagnés de grands vices qui n'ont pas été corrigés dans la jeunesse. Marcius avoit un caractère de fermeté et de constance dans ses résolutions qui lui fit faire dans la suite beaucoup de grandes et belles actions, mais qui, faute d'avoir été manié et conduit dans le temps, lui fit aussi commettre un grand nombre de fautes considérables, à peu près comme une terre naturellement forte et féconde, quand elle n'est pas cultivée, produit beaucoup de mauvaises plantes avec les bonnes. En effet, cette fermeté et cette constance dégénéroit souvent en des emportemens dont il n'étoit pas maître, et en une opiniâtreté inflexible, qui

* Η μαρ δι ̓ ὀρφανικὸν παναφήλικα παιδα τίσθηκε.

Hom. Iliad. lib. 22, v. 490.

ne savoit ce que c'étoit que de se rendre par déférence au sentiment des autres. Aussi, pendant que d'un côté l'on admiroit en lui une supériorité d'âme qui le rendoit inaccessible aux attraits de la volupté et des richesses, et invincible aux plus durs travaux, d'un autre côté, son caractère altier et impérieux le faisoit paroître difficile et intraitable dans le commerce de la vie : tant il est vrai, dit Plutarque après avoir tracé ce portrait, que le plus grand fruit que les hommes puissent tirer de la familiarité des muses, c'est d'acquérir par le commerce des lettres une douceur qui les rende aimables.

rioles.

Marcius donc se signala d'une manière éclatante dans Prise de Co le siége de Corioles. Les assiégés, pleins de confiance sur les secours que les Antiates leur amenoient, ouvrent toutes leurs portes, et font une sortie générale sur les assiégeans. Les Romains tiennent ferme d'abord, et leur tuent beaucoup de monde. Mais, obligés ensuite de céder aux nouvelles forces qui sortoient continuellement de la ville, et dont ils étoient accablés, ils lâchent le pied, et se retirent. Marcius, au désespoir de voir une telle déroute, fait face avec une poignée de gens, et soutient tout l'effort de l'ennemi. Les Volsques, arrêtés d'abord, puis forcés par la perte de leurs plus vaillans hommes de plier à leur tour, regagnent leurs murailles. Marcius les poursuit à toute outrance, et tombe sur les fuyards avec une nouvelle ardeur, criant à ses camarades qui fuyoient de revenir à la charge, et de reprendre cœur. Ceux-ci, honteux de leur lâcheté, se rallient à sa voix, le joignent, et profitant du désordre de l'ennemi, ils achèvent de le déconcerter. Ils entrent tous ensemble, pêle-mêle avec les Volsques, dans a ville, qui est obligée de se rendre à discrétion, et qui st livrée au pillage.

Marcius, insatiable de gloire, dès que la place fut ré- Défaite les luite, accourt avec un petit nombre de braves gens d'élite Antiates. ers l'armée du consul. C'étoit la coutume des Romains, juand ils étoient près de donner une bataille, de faire eur testament" sans rien écrire, en nommant seulement

4 C'est ce qu'on appeloit facere testamentum in procinctu.

TOM. I. HIST. ROM.

17

Gloire et ré

Marcius.

leur héritier devant trois ou quatre témoins. Marcius, en arrivant, trouva les soldats de Cominius dans cette occupation, les deux armées étant en présence. Il lui apprend la prise de Corioles. Cette nouvelle répand l'allégresse et l'ardeur dans les troupes du consul, l'alarme et l'abattement dans celles des Antiates. Dès qu'on eut sonné la charge, Marcius fond sur les ennemis avec le petit corps de troupes qu'il commandoit, et du premier choc il renverse tout ce qui a l'audace de se mesurer avec lui. S'étant fait jour par cette défaite jusqu'au corps de bataille des Antiates, il jette la terreur et le désordre dans leur armée, et quelque part où il porte ses pas, personne n'osant s'opposer à sa rencontre, il rompt, il enfonce les rangs. En vain l'ennemi fait mine de l'envelopper: tout fuit en sa présence, et ce n'est plus que de loin et en se retirant qu'on hasarde de l'attaquer. Le consul, qui de son côté poussoit aussi les Antiates fort vivement, mais qui craignit que Marcius ne fût enfin accablé sous la multitude de traits qu'on faisoit pleuvoir sur lui, détache l'élite de ses troupes, et leur ordonne de marcher en bataillon serré, et de s'attacher où étoit le fort des ennemis. Ces braves Romains n'ont pas de peine à s'ouvrir un passage. Ils percent jusqu'à Marcius, qu'ils trouvent tout couvert de blessures, et environné d'un nombre infini de mourans qu'il avoit abattus à ses pieds. Ce brave officier, sentant ranimer sa valeur à la vue de ce nouveau renfort pénètre plus avant partout où l'ennemi faisoit encore bonne contenance. Il oblige les uns à prendre la fuite, il fait tomber les autres sous ses coups, il mène le reste bat tant comme une troupe d'esclaves. Personne ne se distin gua plus dans cette journée que ceux qui vinrent à l'ap pui de Marcius. Mais ce généreux Romain les effaça tous par sa bravoure, et ce fut à lui qu'on dut la victoire.

La gloire que s'acquit Marcius dans cette guerre obscur compense de cit tellement celle du consul Postumus, que, sans u traité gravé sur une colonne d'airain, on n'aurait pas su dans la postérité que Postumus eût jamais fait la guerr aux Volsques. Cependant, chose bien rare et bien esti

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mable dans un général d'armée, le consul n'en conçut aucune jalousie. Le lendemain de l'action, à la tête de toute l'armée, il fit un grand éloge de Marcius, et, pour -prix de sa valeur et des services considérables qu'il avoit rendus dans l'une et l'autre action, il le couronna de sa main, et il joignit à cette marque d'honneur d'autres récompenses capables de flatter le vainqueur. Il lui fit présent d'un cheval de bataille richement caparaçonné, et revêtu de tous les ornemens dont on pare celui du général. Il lui laissa le choix de dix prisonniers, et lui permit de prendre pour lui dix de chaque espèce sur toutes les différentes choses qui composoient le butin. La justice que Postumus rendit à Marcius fut suivie d'un applaudissement général, témoignage glorieux et de l'équité du consul, et du mérite du jeune vainqueur. Marcius s'étant avancé, remercia Postumus et les troupes de leur bienveillance, et protestant qu'il n'en vouloit point abuser, il n'accepta que le cheval, et un seul des prisonniers, qui étoit son ami et son hôte. Les soldats, qui connoissoient déjà sa belle âme, furent plus charmés que jamais de son désintéressement et de sa modestie, et préférèrent, sans Plut. comparaison, la vertu qui lui faisoit refuser des récompenses si riches à celle qui l'en avoit rendu digne. Ils lui déférèrent un autre honneur qu'il ne put refuser. Pour éterniser dans sa personne le souvenir de la double victoire qu'il avoit remportée, ils le surnommèrent Coriolan, nom qui lui resta toujours avec l'estime et l'admiration de ses citoyens.

Est-il bien ordinaire, dans une profession qui semble ne respirer que la gloire, de trouver des généraux d'armée qui y renoncent en quelque sorte par rapport à euxmêmes, pour rendre hommage à un mérite supérieur dans la personne d'un simple officier? Que l'on compare cette grandeur véritablement héroïque, et beaucoup plus estimable, ce me semble, que la victoire même, à la bassesse de ceux à qui tout mérite étranger fait ombrage, et qui ne cherchent qu'à l'obscurcir et à l'étouffer s'il dépendoit d'eux. J'ai été étonné et fâché que Tite-Liye ait coulé si

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