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Les douze

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« pour vous un bon garant qu'il n'arrivera rien qui demande le secours et l'intervention des tribuns. »

Cette déclaration du tribun, si pleine de sagesse et de modération, commença à tranquilliser les sénateurs, mais en même temps elle excita des plaintes contre les consuls. On leur savoit mauvais gré de s'être déclarés si ouvertement et si pleinement pour le peuple; que ce fût un magistrat plébéien qui prît soin du salut et de la liberté des sénateurs, préférablement à un magistrat patricien; et que les ennemis du sénat se fussent lassés euxmêmes de faire plus long-temps usage de leur pouvoir pour se venger, avant qu'il parût que les consuls se missent en devoir de s'opposer à leur licence. Plusieurs se reprochoient à eux-mêmes leur propre mollesse, d'avoir consenti si facilement aux lois que ces consuls avoient portées en faveur du peuple et en effet, il étoit clair que le blâme des décemvirs, qui retomboit en partie sur les sénateurs, les avoit obligés de céder au temps. Quoi qu'il en soit, la paix et l'union fut rétablie entre le sénat et le peuple.

Les Latins et les Herniques envoyèrent des ambassadeurs pour leur en faire des complimens; et voulant en même temps marquer leur reconnoissance au grand Jupiter, ils firent porter dans le Capitole une couronne d'or, mais d'un poids médiocre, proportionné à la modicité de leur pouvoir. Dans ces temps-là, on se piquoit plus de piété que de magnificence dans les actes de religion : colebantur religiones piè magis quàm magnificè. Ces mêmes ambassadeurs donnèrent avis que les Eques et les Volsques faisoient de grands préparatifs de guerre. Les consuls eurent ordre de marcher contre les ennemis. Les Sabins échurent à Horace, les Eques et les Volsques à Valère. Les levées se firent avec une grande facilité : plusieurs même qui avoient fait leur temps donnèrent leur nom pour servir en qualité de volontaires.

Avant que les troupes sortissent de la ville, on proposa tables sont en public les nouvelles lois connues sous le nom des public. douze tables, gravées sur des planches d'airain. J'ai

exposées en

réservé à cet endroit à rapporter les éloges magnifiques qu'on en trouve dans Cicéron, pour ne point interrompre par cette digression le fil de l'histoire. Il ne nous reste des douze tables que quelques fragmens. Les unes contenoient le droit sacré, les autres le droit public, et le plus grand nombre le droit particulier. On verra dans la suite qu' 'Horace avoit raison de les appeler des tables qui empêchoient de pécher : tabulas peccare vetantes. On peut juger du cas infini qu'on faifoit de cet ouvrage par le jugement qu'en porte Cicéron dans le premier livre de l'Orateur, où il ne craint point de le préférer, à cause de la profonde sagesse qui y regnoit, à tout ce que les philosophes avoient écrit sur les mêmes matières. L'endroit me paroît trop important pour ne point être ici rapporté presqu'en entier. Voulez-vous, dit Cicéron par la << bouche de Crassus, connoître les principes de la société «< civile? vous les trouverez contenus dans les douze « tables, où est décrit exactement ce qui regarde la police « des villes, et tout ce qui peut contribuer à l'utilité publique. Aimez-vous, la philosophie, cette science glorieuse, et qui dédaigne tout en comparaison d'ellemême? j'ose le dire, elle n'a point dans toutes les questions qu'elle traite d'autres principes que ceux qui << se trouvent dans nos lois et dans le droit civil: car, à proprement parler, c'est la science du droit civil qui « nous apprend que l'honnêteté et la vertu doivent être

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1 Sive quis civilem scientiam contempletur, totam hanc descriptis omnibus civitatis utilitatibus ac partibus x tabulis contineri videbitis. Sive quem ista præpotens et gloriosa philosophia delectat, ( dicam audaciùs) hosce habet fontes omnium disputationum suarum qui jure civili et legibus continentur. Ex his enim et dignitatem maximè expetendum videmus, cùm verus, justus, atque honestus labor honoribus, præmiis, atque splendore decoratur, vitia au. tem hominum atque fraudes damnis, ignominiis, vinculis, verberibus,

exiliis, morte mulctantur: et docemur, non infinitis concertationumque plenis disputationibus, sed auctoritate nutuque legum domitas ha bere libidines, coercere omnes cupiditates, nostra tueri, ab alienis mentes, oculos, manus abstinere. Fremant omnes licet, dicam quod sentio: bibliothecas meherculè omnium phi losophorum unus mihi videtur x11 tabularum libellus, si quis legum fontes et capita viderit, et auctorita tis pondere, et utilitatis ubertate superare. Lib. 1, de Orat. u. 193-195.

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préférées à tout, en nous montrant d'un côté le vrai el solide mérite honoré par les recompenses, les dignités. <«< la gloire; de l'autre, les vices et les injustices punies par <«<les amendes, l'ignominie, les liens, les verges, les exils, « la mort. Et ce n'est point par de vaines et sèches discussions pleines de subtilités qu'elle nous donne toutes « ces leçons; c'est d'un ton d'autorité qu'elle nous enseigne à dompter nos passions, à mettre un frein à << toutes nos cupidités, à nous contenter de ce qui nous appartient, et à ne point porter nos mains, nos yeux, «< nos désirs sur le bien d'autrui. Quand je devrois avoir << tout le monde contre moi, je ne puis dissimuler mes << sentimens le seul livre des douze tables me paroît au<< dessus de toutes les bibliothèques des philosophes, « par la force de son autorité, et par la multitude des « avantages qu'on en peut tirer. » Ce jugement si favorable que Cicéron porte du corps des douze tables ne nous étonnera point, si nous faisons réflexion qu'elles étoient l'abrégé, l'extrait, et comme la fleur de tout ce qu'il y avoit de plus excellentes lois dans la Grèce.

:

et

C'est ce corps de lois qui faisoit à Rome la sûreté des citoyens en particulier, et le salut de l'état en général. Y donner atteinte, dit Cicéron, c'est non - seulement rompre le liens des jugemens, mais renverser tout l'ordre de la société civile, et réduire les citoyens à ignorer ce qui leur appartient de droit, et à n'avoir plus de règle commune et uniforme qui assure leur état, et les mette en repos. Ce sont les lois, dit encore ailleurs le même Cicéron, qui nous assurent toutes les prérogatives dont nous jouis

Qui jus civile contemnendum putat, is vincula resolvit non modò judiciorum, sed etiam utilitatis vitæque communis...Etenim hoc sublato, nihil est quare exploratum cuiquam possit esse, quid suum, aut quid alienum sit : nihil est quod æquabile inter omnes atque unum omnibus esse possit. Cic. pro. Cæcin. n. 70.

1 Học vinculum est hujus dignitatis quá fruimur in republicá, hoc

fundamentum libertatis, hic fons æquitatis. Mens, et animus, et consilium, et sententia civitatis, posita est in legibus. Ut corpora nostra sine mente, sic civitas sine lege, suis partibus, ut nervis ac sanguine et membris, uti non potest. Legum ministri, magistratus: legum interpretes, judices : legum denique idcircò omnes servi sumus, ut liberi esse possimus. Cic. pro Cluent. n. 146.

sons, qui sont le fondement de notre liberté, et d'où, comme d'une source pure et abondante, découle toute équité et toute justice. Elles sont l'âme et la vie de la république: elles l'animent, la conduisent, en forment les décisions, en règlent les jugemens. Comme nos corps ne peuvent subsister sans l'âme, ni faire aucun usage des nerfs, du sang, des membres, une ville, de même, ne peut se soutenir sans les lois, ni tirer aucun avantage des citoyens, qui sont comme ses membres. Dans une république tout se rapporte aux lois. Les magistrats en sont les ministres, les juges en sont les interprètes: nous en sommes tous les esclaves, et c'est par cette soumission que nous sommes libres et indépendans, ne reconnoissant d'autre maître que la loi.

Il faut avouer que ces idées sont grandes, nobles, magnifiques et elles ne paroissent telles que parce qu'elles sont fondées dans la nature même, et dans la vérité. Cicéron considéroit les lois humaines, établies pour le gouvernement des peuples et pour l'administration de la justice, comme un écoulement de cette loi suprême qui ordonne le bien et défend le mal, laquelle, selon lui, n'est autre que Dieu même, dont la volonté pleine de sagesse est la règle primitive de tous nos devoirs. Aussi remarquet-il que le magistrat (et il entend par ce mot tous ceux qui gouvernent ) ne doit employer son autorité qu'à prescrire des choses honnêtes, utiles, conformes aux lois : car, de même que le peuple est soumis au magistrat, le magistrat est soumis à la loi; et l'on peut dire, en un sens trèsvéritable, que le magistrat est une loi parlante, et que la loi est un magistrat muet.

Lex nihil aliud est nisi recta, et à numine deorum tracta ratio, imperans honesta, prohibens contraria. Cic. orat. 2, in Anton. n. 28.

Lex vera atque princeps, apta ad jubendum et vetandum, ratio est summi Jovis. 2. de Leg. n. 10.

Illa divina mens, summa lex est. Ibid. n. 11.

Hominum vita jussis supremæ le

TOM. I. HIST. ROM.

gis obtemperat. 1. de Leg. n. 3.

Videtis magistratús hanc esse vim, ut præsit, præscribatque recta, utilia, et conjuncta cum legibus. Ut' enim magistratibus leges, ita populo præsunt magistratus, verèque dici potest, magistratum legem esse loquentem, legem autem magistratum mutum. 3. de Leg. n. 2.

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AN. R. 306.
Av. J.C.446.

Guerre con

ques et les

LIVRE CINQUIÈME.

CE
E cinquième livre renferme l'espace de quarante-cinq
ans, depuis l'an de Rome 306 jusqu'à 351. Il finit aux pre-
mières années du siége de Veïes.

§. I. Guerre contre les Volsques et les Eques, et contre les Sabins. Les deux consuls triomphent malgré le sénat. Duilius empêche ses collègues de se faire continuer tribuns pour l'année suivante. Troubles domestiques. Les Eques et les Volsques s'avancent jusqu'aux portes de Rome. Beau discours de Quintius. Les ennemis sont défaits. Le peuple romain se déshonore par un jugement rendu contre les Ardéates.

L. VALÉRIUS.

M. HORATIUS.

Les troubles domestiques que la mauvaise conduite des tre les Vols- décemvirs avoit causés à Rome étant apaisés par l'abdiEques,etcon- cation qu'ils firent de leur charge, et par leur punition, trelesSabins. on songea sérieusement aux affaires du dehors. Dionys. Ha

729.

III, 60-63.

lic. x1, 727- Valère, l'un des consuls, partit avec son armée pour TitusLivius, faire la guerre aux Volsques et aux Eques, qui s'étoient réunis en un même corps. Mais, sachant que ces peuples, enflés des avantages qu'ils avoient remportés sur les troupes romaines pendant qu'elles étoient commandées par les décemvirs, en avoient conçu beaucoup de mépris, loin de les détromper, il affecta de fomenter leur présomption, et de les rendre encore plus téméraires en usant de ménagement et de réserve, comme s'il eût appréhendé d'en venir aux mains avec eux. Pour cette raison, il plaça son camp sur une éminence d'un très-dif

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