Chez CHARLES LE CLERC, Quai des
Auguftins du cofté du Pont S. Michel,
à la Toifon d'or.

M. D C C. XIII.

Avec Approbation & Privilege du Roi.

CHAPITRE PREMIER.

La Philofophie morale de Maître Gonin. Il fe fert d'un artifice, pour faire connoiffance avec un Gentilhomme nommé Lucinor, che qui un Abbé, qu'on appelloit Dorifton, venoit fauvent, Portrait de cet Abbé. Gonin prend deßein de le chaßer de chez Lucinor. Un ouvrage de Dorifton, intitulé le Livre des Livres ou Pratiques des utilitez & des plaifirs de la Lecture, donne à Gonin une premiere occafion d'executer fon deffein. Plufieurs traits curieux tirez de cet ouvrage.

L

A Métaphyfique de Maître Gonin nous a menés fort loin, par les histoires desefprits, des reve

nans & des apparitions, qu'elle

Tom. II.

A ij

nous a fournies. Nous l'allons à prefent confiderer par rapport à fa Philofophie morale; & il faut s'attendre qu'il nous fera faire encore bien du chemin dans cette carriere. Comme cette étude est d'une fort grande étenduë, puifqu'elle comprend tour ce que nous devons faire de bien, & tout ce que nous devons éviter de mal, on doit conclure de-là , que la plus grande partie de la vie de mon Heros y doit entrer. Cela étant,il faut donc s'attendre, que je ne le reprefenterai pas comme un écolier qui paffe un an ou deux fur des bancs, pour s'inftruire des opinions des Philo. fophes fur la morale, ainfi qu'il fe pratique d'ordinaire; mais que je le fuivrai bien au de-là, afin de découvrir la vie morale, pour ainfi dire, & d'en rapporter les traits les plus confiderables qui feront venus à ma connoiffance, & particulierement certains tours de fouppleffes, qui feront le mieux con

noître la fingularité de ses mœurs; car ils font principalement le but de cette hiftoire.

Avant que d'entrer dans ce détail, je vais donner une tres-legere idée de la Philofophie morale, fans pourtant oublier de telle forte Maître Gonin, qu'on le perde de vûë. Que l'on ne craigne donc pas, que je prétende faire ici un Traité fcholastique. A Dieu ne plaife que je tombe dans une telle difgreffion; je crains trop d'ennuyer le Lecteur pour donner dans un tel écart, il attend autre chofe de moi; il est donc de ma bonne foi de ne le point tromper dans fon attente, puifque je lui ai promis de lui faire prefent d'autres chofes, que de Traitezfcholaftiques, Ce que je vais dire de la morale, ne fera en quelque maniere, qu'en chemin faifant pour parler de Maître Gonin.

La Philofophie morale eft celle qui nous apprend à regler nos moeurs, nous excitant à prendre le chemin