& pourvoir à fa nourriture avant que d'en exiger aucun fervice. En effet, le foldat peut-il travailler quand il n'eft point nourri; manier fes armes, quand à peine il fe peut foutenir; avoir du feu & de la hardiesse quand il n'a pas de fang dans les veines; le moyen de fouffrir les incommodités des faifons, les veilles, les fatigues? &c. Les défertions, les maladies, le relâchement de la difcipline, la haine & Panimofité du payfan qui défend fon bien, ont toujours été & font les effets du manquement des vivres. Pour remédier à cela, on remplit de bonne heure les magafins, tant pour les garnifons ordinaires que pour les armées, dans des places fortes & commedes pour le tranf port à l'armée, & où la communication foit fi fûre, que la conduite des convois ne puiffe être interrompue par l'ennemi, & où les marchands, les vivandiers, les fermiers & autres gens de cette forte puiffent aborder avec fûreté ; c'est ce que fit Scipion à Carthagene, Pompée, à Daraxo; Annibal, à Tarente; & le Maréchal de Saxe, à Gand, Bruxelles, Namur, Anvers, &c. car il feroit imprudent de s'amufer fur l'efpérance de trouver des vivres à la campagne, ou fur les lieux lieux où l'on veut porter la guerre, parce que l'ennemi peut les ferrer ou brûler. S'il n'y en a pas de magasins établis, on en fait bâtir dans des lieux forts, voifins de l'armée, & commodes pour y voiturer les provifions par eau, par charrois & par bêtes de fomme, avec bonne efcorte, & jamais à jour fixe, pour empêcher que l'ennemi ne fe prépare à enlever les convois fur le chemin. Il feroit bon que les voitures fuffent doubles, afin que les unes arrivant au camp, les autres en repartiffent pour aller rechar ger. Il faut fouvent rafraîchir les magasins de nouvelles provifions, les pourvoir de moulins à vent, à eau, à bêtes & à bras, & de fours pour cuire le pain, & empêcher les abus qui fe font fur le pain; car pour y gagner, que de mauvais grains n'y mêle-t-on pas! ou de la terre & autres vilainies, d'où proviennent le plus fouvent les maladies dans une armée. Quand on eft à un fiége, où l'efpérance de le faire lever ne confifte plus qu'à couper les vivres, il eft prudent d'y avoir pourvu & d'en avoir autant dans fon camp qu'on juge néceffaire pour la fubfiftance de l'armée, pendant le temps qu'on croit demeurer pour prendre la Tome Is G place affiégée, comme fit Céfar à Alexie. Il n'eft gueres d'armée mieux fournie que celle du Turc. Il fait fes provisions aloifir; il feme quelquefois des bruits différens de fes deffeins pour furprendre l'ennemi, & quelquefois il publie ce qu'il veut faire, afin de tromper même par la vérité. Il mene avec lui des provifions en abondance, à caufe de la prodigieufe quantité de bagage qu'il traîne à fa fuite. Les pay fans des environs lui en apportent encore, ou par la crainte. d'être châtiés, ou de voir brûler leurs maifons s'ils manquent d'obéir par l'amorce du gain, car dans le camp tout leur eft payé argent comptant. ou On ne donne le pain de munition qu'aux Janniffaires, les autres font obligés de l'acheter à leurs dépens, moyennant leur folde; mais le Grand Seigneur le fait voiturer à les frais jufqu'au camp: on le diftribue en petite quantité à cause de la fobriété où l'oz,vit. Les Janniffaires ne mangent qu'une fois le jour, au coucher du foleil; il leur eft défendu de boire du vin. Le Turc n'entre gueres en campagne que quand les grains font prefque murs, & les herbes nourriffantes, il fait des amas de bifcuit, de farine, d'orge, &c. y a des réglemens fur le fait des vivres, qui regardent les boulangers, les vivandiers, les marchands, les viandes & les boiffons. Chaque chofe est taxée à l'armée à un prix raifonnable par les Commiffaires des guerres & le Prévôt, qui comparent le prix de la vente à celui de l'achat, & avec les incommodités & les périls de la voiture. Ils veillent à ce que les mefures, les poids & les denrées foient bonnes & non falfifiées. Ils ont grand foin d'empêcher dans les vivres de l'armée, les larcins, la corruption, les incendies ; ils les font diftribuer avec ordre & avec épargne, conformément aux liftes autèntiques des foldats, &c. effectifs, parce qu'il n'eft pas temps de les ménager quand on eft à la fin. Les espèces de vivres abfolument néceffaires font le pain ou bifcuit, le fel, la viande fraîche & falée, le beurre, le fromage, le poiffon falé, les légumes, le bois, le vinaigre, l'eau, le vin, la bierre, l'eau de vie, ou autre boiffon pour les hommes ; & le fourage, foin ou paille, avoine, fegle ou orge, l'herbe ou pâture pour les chevaux. Nous parlerons de quelques-unes de ces fubfiftances fort fuccintement dans les para graphes fuivans, nous réfervant de parfer des autres dans la deuxième partie de cet ouvrage. PARAGRAPHE PREMIER. Du Pain. Le pain qu'on appelle de munition; eft une ration de pain que les Munitionnaires fourniffent à chaque foldat; il pefe trois livres, & fert pour deux jours. İl eft fait, ou du moins doit l'être, de deux tiers de froment & d'un tiers de fegle: on fournit le pain fuivant les états des revûes, on déduit les journées d'hôpitaux & celles des foldats abfens fur les congés limités permis par les ordonnances. Le décompte du pain eft fait chaque mois fur le pied de 30 jours; le Roi donne gratis aux foldats pendant qu'ils font à la paye de campagne, le pain du trente & un, dans les mois qui font de ce nombre... A La fourniture du pain eft indifpenfable; elle fe fait au parc des vivres qui fuivent l'armée, & fe fait prefque toujours d'avance pour quatre jours, lorfqu'on le peut commodément. Souvent l'éloignement des lieux d'où l'on tire le pain, ou la marche de l'armée d'un pays |