trop Alexion, un ordre exécuté trop tard ou tôt, &c. font échouer mille deffeins entaffés les uns fur les autres, qui font une fuite du premier; enfin une bagatelle la plus fortuite change fouvent la face des affaires, & nous force à agir contre le plan même qu'on s'étoit propofé. 3°. Il ne faut pas toujours régler l'état de la guerre fur le nombre & la qualité des forces que l'on peut oppofer à l'ennemi. Il y a certains pays où le plus foible peut paroître & agir contre le plus fort, où la cavalerie eft de moindre fervice que l'infanterie. L'habileté d'un Général eft toujours plus avantageufe que la fupériorité du nombre & la qualité des troupes; un Turenne regle l'état d'une campagne fur fes connoiffances du pays, fur fon courage & fa hardieffe; un Général moins habile & peu entreprenant, quelque fupérieur qu'il foit, craint toujours, & n'eft jamais affez fort. Ceci eft grave & mérite réflexion dans le cabinet, parce qu'on prend fur ces connoiffances des réfolutions qu'on rejetteroit fans elles: on ne doit pas moins faire attention aux avis de ceux qui doivent commander fur chaque frontiere. Il y en a qui ne s'accommodent pas d'une défenfive, & qui propofent tout le contraire, quoique les forces qu'on leur donne femblent ne laiffer aucun équilibre. Tel, par exemple, qui fe verra deftiné au commandement d'une armée fur le Rhin, qui aura médité fur ce qu'il veut faire par la connoiffance qu'il a du pays, du génie & de la capacité du Général qui lui fera oppofé, fera peut-être contraire aux avis des autres, dont la prudence furpaffera le courage; comme M. de Louvois qui ne fut ne fut pas de l'avis du Maréchal de Turenne à l'égard de l'Alface en 1674, dont ce Miniftre confeilla de ne faire qu'un bucher; le Maréchal de Turenne s'y oppofa, par la raifon que les ennemis ne pouvant y fubfifter en corps, faute de vivres, néceffairement obligés qu'ils étoient de fe féparer, il feroit aifé de tomber fur leurs quartiers, & de les détruire les uns après les autres avant qu'ils puiffent s'entre-fecourir ; ce qui arriva comme il l'avoit prévu. Voyez le combat de Mulhaufen & de Colmar au chapitre des quartiers d'hiver, article 2. Il faut écouter les Généraux, fe régler fur leurs avis, s'ils font bien fondés, & leur laiffer le pouvoir d'agir felon le plan qu'ils propoferont; on ne hazarde rien de fe rendre à l'avis d'un Général qui connoît le pays, & les ennemis contre qui il a à faire, & qui a déja donné des preuves de fon zéle, fidélité > prudence, habileté & courage, d'un Général, en un mot, tel que le Maréchal de Turenne. Voilà des grands moyens de bien établir & régler l'état d'une guerre, on en trouvera d'autres dans les paragraphes fuivans. Mais tous les Potentats de l'Europe ligués contre la France, avoient-ils bien formé leur projet de campagne de 1712? Ils ne fe promettoient rien moins que de venir faire contribuer jufqu'aux portes de Paris, après la prife de Landrecies dont ils faifoient le fiége. Ce projet étoit grand; mais le Prince Eugene obligé, pour tirer fes fubfiftances & les munitions pour ce fiége, de partager fon armée en différens corps, & de les pofter depuis Marchiennes jufqu'à Landrecies, dans l'efpace de plus de douze lieues de terrein & de faire occuper plufieurs poftes fur la Scarpe, pouvoit-il fe flater de réuffir, & fe perfuader que le Maréchal de Villars, après avoir reçu les Ordres du Roi, ne profiteroit pas de la fituation défavantageufe où il s'étoit mis? Et notre conquête de la haute Autriche & de la Bohême en 1742, fut-elle mieux concertée que celle de Charles XII, Roi de Suede, en 1706, de la Mofcovie, d'où il fe flatoit de chaffer le Czar & de le détrôner? Ce deffein étoit grand & digne d'un Alexandre, & auroit peut-être réuffi fi Charles eut auparavant pourvu aux moyens de faire fubfifter fon armée & d'avoir fes derrieres libres. L'événement fit voir le défaut de fes mefures; il n'ouvrit les yeux que lorfqu'il fe vit engagé fans vivres dans un pays inconnu & défert, pour courir après un ennemi qui ne manquoit de rien, & qui le fuyoit avec art par une défenfive fçavante & active, je veux dire qu'il fçavoit éviter un ennemi fi redoutable, & le défaire peu à peu en interceptant fes convois, dont prefqu'aucun ne put arriver, & qui venant de la Pomeranie par la Pologne, étoient fort incertains, le Czar, maître de la Livonie, pouvant les lui interdire & couper : une partie de fon armée périt de faim, faute de fubfiftance, & l'autre fut anéantie à Pultowa. Mais pourquoi s'amufer en Saxe, à ruiner un pays où il n'y avoit plus d'ennemis à combattre, au lieu de marcher contre le Czar, pour l'empêcher de fe fortifier dans la Livonie, où il mit les places qu'il y avoit conquifes en état de défenfe, & par là s'affura la conquête d'un fi beau pays? Les raifons qu'un de fes Hiftoriens allégue ne fuffifent pas pour excufer l'inaction de ce grand guerrier, parce que les négociations traînent bien moins en longueur lorfqu'on fait de bonnes conquêtes. PARAGRAPHE DEUXIE ME. De la guerre défenfive en général, & de la maniere des moyens d'en bien régler, établir & former l'état général. Cette partie de la guerre eft des plus profondes, & fi délicate que les plus expérimentés Généraux l'évitent avec grand foin, comme la plus difficile à foutenir. Pour y réuffir lorfqu'on en eft chargé, il faut en prendre les moyens ; car, comme dit excellemment Ariftote en quelque endroit de fes politiques, que ferviroitil de s'être propofé quelque fin jufte & raisonnable, fi l'on n'employe de bons |