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Apr. J. C.

L'an 1249.

Prince, elle leur dit qu'elle venoit de sa part leur demander le ferment de fidélité en faveur de fon fils Moadhem touran schah qui demeuroit au château de Kipha dans le Diarbekr; elle fit en même tems déclarer Phakhreddin (a), Général de toutes les armées, écrivit des lettres au nom du Sulthan & avec fa fignature, dans toutes les provinces, pour faire reconnoître Touran fchah; elle fe fervit dans cette occafion d'un efclave nommé Sohaïli, dont l'écriture imitoit fi parfaitement celle du Sulthan, que perfonne ne fe douta de la mort de ce Prince.

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de

Schahjreddor qui par fa prudence fauva ainfi le Royaume d'Egypte, étoit une femme Turque; elle gouverna avec beaucoup de fageffe, & fçut prévenir tous les troubles, de concert avec Phakhreddin, qui étoit un des plus braves Emirs de fon tems, & qui avoit été fait Chevalier par l'Empereur dont il portoit les armes, jointes à celles des Sulthans d'Alep & du Caire, fur fes bannieres. Pendant l'absence du nouveau Sulthan on avoit raffemblé des troupes, & on s'étoit approché des Francs, on avoit même promis un zan d'or à chaque foldat qui apporteroit une de leurs têtes. Cet ordre fut caufe que ces derniers perdirent beaucoup monde; les Soldats Egyptiens entroient fecrétement dans le camp, & coupoient la tête de ceux qu'ils pouvoient furprendre. S. Louis fut obligé de faire doubler les gardes & de fe fortifier. C'eft dans ce tems-là que le refte de fa flotte où étoit tout l'arriere-ban de France, qui avoit été diffipée par la tempête, arriva à Damiette. Elle étoit commandée par le Comte de Poitiers. Les Francs délibérerent pour sçavoir s'ils iroient droit au Caire; quelques-uns étoient d'avis qu'on marchât vers Alexandrie, mais le Roi fe décida pour le premier avis, & fortit de Damiette (b) au commencement de Décembre. Il rencontra dans fa route cinq cens cavaliers Turcs qui vinrent se rendre à lui; mais s'apperce

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Apr. J. C.

Joinville.

vant qu'ils ne venoient que pour le tromper, le Maréchal du Temple avec fes Templiers les attaqua, plufieurs furent L'an 1249. paffés a au fil de l'épée, & le refte fut noyé. Le Roi continua fa route, & alla camper entre les deux bras du Nil qui viennent de Rosette & de Damiette. Les corps avancés défirent en plusieurs rencontres quelques troupes des Mufulmans. Phakhreddin fit alors paffer fon armée dans le Delta, Aboulfac'eft-à-dire, entre les deux bras de Rofette & de Damiette, radge. où étoit le camp des Chrétiens; il fe rangea en bataille, Aboulfedha & il y eut plufieurs efcarmouches, dans lefquelles les Comtes d'Anjou & de Poitiers firent de grandes actions de valeur. Les Mufulmans avoient élevé vis-à-vis les retranchemens des Francs une pierriere avec laquelle ils jettoient des feux Grégeois qui incommodoient beaucoup les Francs. Ces feux lancés paroiffoient gros comme un tonneau, avoient une queue longue d'environ une aune & demie, & faifoient un bruit femblable à celui du tonnerre, au milieu même de la nuit ils illuminoient tout le camp, renverfoient tous les ouvrages des Francs & les réduifoient en cendres. Ces terribles machines, que l'on pourroit comparer à nos ́bombes, caufoient de grands dommages. Les Francs ayant pour guide un Bédouin qui pour une fomme s'étoit engagé de leur montrer un gué, pafferent le fleuve, & défirent trois cens Mufulmans qui vouloient leur en difputer le paffage. Le Comte d'Artois les poursuivit à travers la ville de Manfoura (a). Mais à fon retour il trouva les habitans montés fur les toits de leurs maifons, d'où ils accabloient, de pierres les Francs, & il fut tué dans cette occasion.

Les Francs vinrent enfuite camper à Scharmesakh (b), & s'approcherent de Manfoura. S. Louis, à la tête de fon armée, chargea les Musulmans, il combattit comme un fimple foldat, & s'expofa aux plus grands dangers, il périt beaucoup de monde dans cette journée; enfin la victoire fe déclara en faveur des Francs (c). Phakhreddin qui étoit alors au bain, L'an 12506 monta à cheval, mais il fut rencontré par une troupe de Francs

(a) C'est ce que nous appellons la Maffoure.

(b) Sanut l'appelle Sarmofac.

(c) Elle fe donna un mardi du mois de Dzoulcaada, & le mardi-gras, suiyant Joinville.

Apr. J. C.

L'an 1250.

qui le tuerent. Deux jours après cette bataille (a) le nouveau Sulthan Touran fchah qui étoit parti du château de Kipha, arriva à Manfoura, & le jour fuivant il rangea fes troupes en bataille. Vers le midi les premiers corps commencerent à s'ébranler, il y eut un nouveau combat, où chacun prétendit avoir remporté la victoire. Il paroît certain que les Francs repoufferent les Mufulmans; mais ceux-ci qui avoient en même tems plufieurs vaiffeaux en Mer, en enleverent trente-deux aux Francs, parmi lefquels il y en avoit neuf de la premiere grandeur. Cette perte affoiblit confidérablement les Chrétiens. Tous les Francs de Jérufalem & de la Syrie ayant fait folliciter S. Louis de rendre Damiette aux Musulmans, on propofa de remettre cette ville au Sulthan, à condition que celui-ci laifferoit en paix le Royaume de Jérusalem & les malades qui étoient dans Damiette, & qu'il feroit permis d'emporter toutes les machines. Le Roi vouloit donner pour ôtage, ou le Comte de Poitiers, ou le Comte d'Anjou; mais le Sulthan exigeant que le Roi lui-même servît d'ôtage, ce Prince ne voulut point y confentir, & fe difpofa à quitter un endroit où il couroit rifque de perdre toute fon armée, par l'infection que caufoient les corps morts, & où d'ailleurs il manquoit de vivres, parles Musulmans avoient coupé toute communication avec Damiette.

ce que

S. Louis ordonna que l'on décampât le mardi au foir après l'octave de Pâques, pour retourner dans cette ville (b). Dans le tems qu'il étoit occupé à faire construire un pont fur le Nil, les Mufulmans entrerent dans fon camp, & tuerent tous les malades. Le Roi accourut à l'arriere-garde qui étoit le plus en danger; tout malade qu'il étoit, il foutint vaillamment avec Geofroy de Sergines le choc des ennemis, & s'enfonça dans la mêlée, réfolu de périr pour fauver fes troupes. Le brave Sergines qui ne le quittoit pas, & qui s'expofoit aux plus grands dangers pour le défendre, le débarrassa enfin, & le conduifit à Meniat-abouabdallah, où ce Prince accablé de laffitude & de la foibleffe caufée par fa maladie,

(a) Le jeudi.

da le mercredi 3 de Mouharram de l'an (b) Aboulfedha dit la nuit qui précé- 648 de l'Hegire.

,

Aboulma

tomba en défaillance. Là il fut fait prifonnier par les MuApr. J. C. fulmans, & après lui tous les François. Ceux même qui L'an 1250. étoient fur les vaiffeaux furent pris par les galeres du Sul- Aboulfedha than: un grand nombre fut égorgé, d'autres follicités inuti- Joinville. lement d'embraffer le Mahométifme. S. Louis avoit d'abord hafen obtenu fûreté de Mouhslin efsalehi, Gouverneur de l'endroit où il s'étoit réfugié, mais d'autres troupes Musulmanes qui arriverent le conduifirent à Manfoura. Les Mufulmans avouent eux-mêmes que ce Prince pouvoit fe fauver, & qu'il ne fut pris que parce qu'il s'obstina à défendre fes foldats & à vouloir faciliter leur paffage & leur fuite. On compte qu'il y eut vingt mille prifonniers & fept mille hommes tant tués que noyés. Le Sulthan d'Egypte fit revêtir de veftes d'honneur S. Louis & tous les grands Seigneurs qui étoient au nombre de cinquante. On rapporte que S. Louis parut furpris de ce traitement, & qu'il dit : Quoi! celui qui eft maître de mon pays me fait ainfi revêtir d'une robe. Le lendemain le Sulthan donna un grand festin, auquel S. Louis ne voulut point être préfent. Ce Prince, dit Saadeddin, Auteur Arabe contemporain, cité par Aboulmahafen, avoit beaucoup de prudence, une fermeté inébranlable. & beaucoup de religion, des mœurs douces, tous les Chrétiens l'eftimoient à cause de ses vertus. Le Sulthan fit ensuite mettre à part tous Aboulma les artifans, & ordonna que l'on fit mourir les autres. Saint hafen. Louis fut renfermé à Mansoura, d'autres difent au Caire dans la maifon de Phakhreddin, fils de Locman, & on le confia à la garde d'un Thaouafchi, nommé Sabih, un des Mameluks de Touran fchah, qui le traita avec beaucoup de respect.

Les petits Mameluks, c'eft-à-dire, ceux qui étoient ve- Aboulfanus du château de Kipha avec Touran schah, & qui étoient radge. fes Officiers particuliers, faifirent cette occafion pour repréfenter à Touran fchah que Schadjreddor & Azzeddin ibek le Turkoman s'étoient emparés de toute l'autorité, & qu'ils ne lui laiffoient que le titre de Sulthan. « Si vous étiez, lui dirent-ils, dans votre ancien château de Kipha, vous feriez plus tranquille; ici vous n'avez de la royauté que titre; vos plus grands ennemis ne font pas les Francs,

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S. Louis.

Joinville.

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» mais les grands Mameluks qui ne vous ont mis la couronne Apr. J. C. L'an 1250. fur la tête qu'afin que vous vinffiez battre les Francs. No» tre avis feroit donc que vous fiffiez la paix avec S. Louis, que vous lui remettiez tous les prifonniers, à condition qu'il vous rendra la ville de Damiette, qu'il payera une fomme d'argent, & qu'il s'en retournera dans fes Etats. Délivré par ce moyen des ennemis étrangers, vous n'aurez » plus befoin de toute cette milice audacieuse ». Touran schah Lettre de réfolu de fuivre cet avis, fit propofer à S. Louis (a) de remettre Damiette avec tout ce que les Chrétiens y avoient trouvé, & de payer une fomme pour les frais de la guerre. Après plufieurs conteftations on convint d'une tréve de dix ans, que le Sulthan remettroit en liberté tous les prifonniers Chrétiens qui étoient répandus dans ses Etats ceux qui avoient été pris dans cette guerre, que ceux qui l'avoient été dans les guerres précédentes, & que les Francs conferveroient dans le Royaume de Jérufalem ce qu'ils poffédoient lors de l'arrivée de S. Louis à Damiette. D'un autre côté S. Louis s'engagea de rendre Damiette & de payer huit cens mille bezans farrafinois (b), tant pour les frais de la guerre, que pour la rançon des prifonniers. Le Sulthan promit encore de laiffer aux Chrétiens tout ce qu'ils avoient dans Damiette, avec la liberté ou de le vendre, ou de le faire tranfporter ailleurs, & accorda aux malades la permiffion de refter dans cette ville jusqu'au rétablissement de leur fanté, & aux autres jufqu'à ce qu'ils aient arrangé leurs affaires.

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Le Sulthan avoit fait fçavoir cette grande nouvelle dans tous les Etats, & particuliérement dans la ville de Damas & avoit écrit cette Lettre à Dgemaleddin (c) qui en étoit le Gouverneur. « Louange au grand Dieu qui a éloigné de » nous toute affliction; la victoire ne vient que de lui feul. Que tous les Musulmans se réjouiffent à l'occasion de celle qu'il vient de nous accorder car il est le maître de la » donner à qui il lui plaît, il est tout-puiffant & très-mifé» ricordieux. Nous vous faifons part, & à tous les Musul

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(a) Tous les Hiftoriens Arabes nomment ce Prince Redefrans, c'est-à-dire, le Roi de France.

(b) Joinville n'en met que 200. (c) Fils d'Yagmour.

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