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Grand Magiftrat, fi demandez pourquoi
Tout bonnement je m'en vais vous le dire.
A maint écrit qu'à Paris on admire
Ou peu s'en faut, ne puis comprendre rien ;
Le ftyle en eft trèse beau, je le vois bien;
Mais tel qu'il eft, fi n'y puis rien entendre,
N'ai-je pas lieu d'apprehender qu'au mien
Paris auffi ni puiffe rien comprendre?
Grand mal m'en veux, & ne fuis peu touché
D'avoir l'efprit fi dur & fi bouché
Car j'ai beau faire, & hauffer mes lunettes
Et Profe & Vers tout eft fi haut perché,
Qu'également je m'y trouve empêché,
Et c'eft toûjours pour moi lettres fecrettes,
Goutte n'y vois. Oh ! que tout a changé
Pour le langage; & que dans la grand-Ville,
Depuis le tems que j'en fuis délogé,
On s'eft rendu terriblement habile.

Un point pourtant fur cela m'a furpris,
Vous le dirai-je ? Excusez ma franchise,
C'est vous, Seigneur, qui caufez ma surprise;
Tout ce qui part de vous eft d'un grand prix,
Et peut fervir de regle & de modele,
C'eft verité dont perfonne n'appelle ;
Jugez par là de mon étonnement,

Lorfqu'en difcours fortis de vôtre bouche
A nous forains tranfmis fidellement

J'ai trouvé tout annoncé clairement,

Rien de forcé, rien d'obscur, rien de louche:
Eft-ce donc là, d'abord me fuis-je dit,
Ce Magiftrat dont par toute la France
On prife tant le merveilleux efprit,
On vante tant la force & l'éloquence ?
Je le croyois un oracle du tems,

Et cependant il parle & je l'entens.

Je vous le dis, Seigneur, c'eft grand dommage;

Cette clarté qui fut une vertu

Au tems paffé, n'eft plus du bel ufage;
Et ne voudrois en donner un fêtu;
On la foufroit jadis dans le langage,
Quand on parloit afin d'être entendu :
Mais aujourd'hui que l'on devient plus fage
Adieu vous dis, fon crédit eft perdu.

On a raifon, tout étoit confondu

Dans ce tems-là. Le peuple, la canaille,
Mettoit le nez dans les meilleurs écrits

En décidoit fouvent vaille que vaille,
Chose indécente, & que nos beaux efprits
N'ont dû fouffrir: ils ont mis fi bon ordre
A cet énorme & vicieux abus,

Que leurs écrits font autant de Rebus,
Enigmes même, & n'eft aisé d'y mordre:
Qui le pourroit? Ils ne fe montrent plus
Qu'enveloppez de nuages confus:

Impunément ils bravent les orages,

- Toûjours guindez dans le plus haut des airs, De tems en tems du fond de

ces nuages On voit fortir des flammes, des éclairs;

Un peu
de bruit & beaucoup de fumée;
Puis un Effain foi-difant renommée

Veut qu'on admire, & nous en fait la loi ;
On obeït, on crie à la merveille,
Je crie auffi, fans trop fçavoir pourquoi :
Mais fi m'allois faire tirer l'oreille,
Bientôt aurois la grand-bande fur moi,
Par quoi de peur qu'on n'aille s'y méprendre,
Je le déclare en tant qu'il eft befoin,
Et s'il le faut, vous en prens à témoin,
J'admire tout fans le pouvoir comprendre;
Pour ces Meffieurs plus ne puis ni ne dois,
Car de vouloir que je les puiffe entendre,
C'en feroit trop, Seigneur, & je les crois
Trop gens d'honneur & trop de bonne foi
Pour l'éxiger; bien loin de le prétendre
Tout au contraire entr'eux-mêmes tout bas

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Sont convenus qu'ils ne s'entendroient pas.
Voilà, Seigneur, touchant le beau langage
Sur le Parnaffe un grand remuë ménage,
Or il s'agit de prendre son parti,
Avilez-y, vous êtes bon & fage ;

Mais n'en voudrez avoir le démenti

Je le vois bien, & tiendrez toûjours ferme,
Pour le vieil goût. Qu'entens-je par ce terme ?
J'entens celui d'Horace & Ciceron;
Encor faut-il en conferver le germe,

Et lui laiffer au moins quelque Patron ;
Vous rifquez moins que bien d'autres à l'être,
Comme en cet art vous êtes un grand Maître,
Peut-être à vous le pardonnera-t'on;

A nous chetifs, recognez en province,
Suivre convient l'ufage qui prévaut,
Pour réfifter nôtre credit eft mince;

Et quant à moi, qui crains un peu la pince,
Bon gré malgré c'eft un faire le faut;

Ma coutume eft de peur qu'on ne me fonde

D'être toûjours le premier à crier,

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Comme Sofie, Ami de tout le monde :
Sur ce pied-là ne me fuis fait prier.

J'ai donc voulu, fuivant le nouveau Code,
Qu'ont établi maints & maints beaux efprits,

Penfer, écrire, & parler à leur mode,
Or écoutez comment je m'y fuis pris.

En premier lieu j'ai fait plier bagage,
Non toutefois fans violents remors,

Au grand Virgile, Horace, & leurs conforts;
Tels ont cedé fans murmure à l'orage,
D'autres ont fait un peu plus les mutins;
Mais beaucoup moins les Grecs que les Latins.
Juvenal, chef de la mutinerie,

M'a regardé d'abord du haut en bas,
Et me quittant auffitôt en furie
A pris fa courfe ultrà Sauromatas.

ནོ』,

Vous faites bien, m'a dit tout bas Horace,
Nous gâterions le bon goût d'aujourd'hui,
Et j'en ferois autant à vôtre place :
Perfe vouloit s'en aller avec lui,
L'ai retenu par la manche; & pour caufe.
Les Orateurs, & tous les gens de profe,
Grands chicaneurs, ont voulu marchander
Et Ciceron, pour la cause publique,
Comme autrefois, toûjours prêt à plaider
A débuté par une Philippique.
J'étois perdu fi l'avois écouté :

Mais l'ai d'abord dès l'éxorde arrêté ;

* Commencement de la II. Satyre de Fuvenal.

Difant

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