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III. APOLOGIE DE L'AUTEUR,

Sur ce qu'il s'amufe quelque fois à faire des Vers, &à en faire dans le ftile de Marot.

Ui fit des Vers, des Vers encor fera,

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QC'eft le moulin qui moulut & moudra.

Contre l'étoile il n'eft dépit qui tienne,
Et je me câbre en vain contre la mienne:
Malgré mes foins ma Muse prend l'effor,
J'ai fait des Vers, & j'en refais encor.
Que de leçons, & même à jufte titre,
Ai-je effuyé pourtant fur ce chapitre ?
Aigres Cenfeurs me l'ont tant reproché,
Tant vrais amis m'ont fur cela prêché !
Hé quoi ! toûjours des Vers? Eftes-vous fage?
Ah ! Renoncez à ce vain badinage;

, grave & folide Auteur,

Occupez-vous, grave

D'un plus utile & plus notable labeur,
Et pour charmer nos cœurs & nos oreilles
Tournez ailleurs vos talens & vos veilles.
Combien de fois touché de repentir

Me fuis-je cru prêt à me convertir!
Honteux, confus de mes rimes paffées,
Rimes fouvent pour mes pleurs effacées
J'avois juré cent fois d'un cœur contrit,
De ne tracer Vers, ni grand, ni petit :

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Juré cent fois, je l'avoue à ma honte,

J'eus beau jurer Apollon n'en tint compte ;

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Tyran crüel, il rit de nos fermens,

Comme l'amour rit de ceux des amans,
Je me trouvai pénitent infidelle
En vrai relaps rembarqué de plus belle;
D'un nouveau feu je me fentis brûler,
Et malgré moi je vis des Vers couler.
Dans cet état de contrainte cruelle,
Plaignez-moi, vous, dont j'honore le zele ;
Sages amis, j'écoute vos leçons;

Mais j'en reviens toûjours à mes chanfons,

Pour vous, Cenfeurs, qui de mes foibles rimes Ofez partout me faire autant de crimes, Et qui croyez dans vôtre efprit bouché, Que faire un Vers ce foit faire un peché, Exorcisez le Démon qui m'obsede; Ou par pitié fouffrez que je lui cede, Et condamnez avec moins de rigueur, Des rimes dont je fuis à peine Auteur, Et qu'une aveugle & bizarre manie Malgré moi prefque arrache à mon génie.

Mais quoi ! rimer ainsi que je l'ai faic Eft-ce après tout un fi grave forfait ? Vous écrivez ce qu'il vous plait en profe,

N'ofai-je en Vers faire la même chofe?
Un fentiment par lui-même eftimé
Eft-il mauvais quand il devient rimé?

Et dans des vers d'ailleurs pleins d'innocence,
L'ordre, le tour, met-il quelque indécence ?
Cenfeurs malins, & peut-être jaloux,
Si dans mes vers j'offense autre que vous,
Si la vertu, si l'austere fageffe,

Y trouve rien qui l'éfleure, ou la blesse;
Si froid Auteur j'ennuye en mes écrits,
Condamnez-moi, j'ai tort, & j'y foufcris.
Mais quand fuivant une injufte maxime
Précisément fur ce point, que je rime
Vous prétendrez me faire mon procès,
Vous le ferez fans fruit & fans fuccès.
Or rimez donc, dit un ami fidelle,
Mais quel Auteur prenez-vous pour modele?
C'est une honte, y penfez-vous ? Marot,
Homme verreux, & digne du garot,
Et dont jadis la Muse évaporée
A grande peine échappa la bourée.
Défaites-vous de ce style badin;
Et laiffant là Marot avec dédain,
D'un vol léger élevez-vous à l'Ode,
Piece fi noble & fi fort à la mode,

Et

Et dont le chant hardi, mélodieux,

Charme les Rois, & touche jusqu'aux Dieux.
Qui parle ainfi certes ne connoit gueres
De l'Helicon les loix & les Mysteres,
Efclaves nez du Dieu capricieux

Dont le pouvoir régle tout en ces lieux,
Nous n'avons point de choix dans fon Empire
Et nous chantons felon qu'il nous infpire;
Sans confulter fur cela nos fouhaits,

Ce Dieu dispense à son gré les bienfaits,
Donne à chacun, en le faifant Poëte,
A l'un la lyre, à l'autre la trompette;
A celui-ci chauffe le brodequin,
Eleve l'autre au Cothurne divin;
Accorde à tel la force & l'énergie,
Réduit tel autre à la tendre Elegie:
Dans la Satyre il rend l'un fans égal
Et borne l'autre au fimple Madrigal.
De tous fes dons Marot n'eut en partage
Qu'un élegant & naïf badinage,
Et fi j'en ai quelque chofe hérité
C'est un vernis de fa naïveté.

Sans m'égarer dans des routes fublimes,

De ce vernis je colore mes rimes;

Et de ce fimple & naïf coloris,

Mes petits vers ont tiré tout leur prix,
Par ce fecours emprunté fi ma Muse
Ne charme pas, pour le moins elle amuse;
Et par le vrai, qu'elle joint au plaifant,
Quelque fois même instruit en amusant.
Je m'en tiens-là, fans toucher à la Lyre,
Qu'au Dieu des Vers il plût de m'interdire,
Pour les cheris il réserve ce don :
Laiffons chanter fur ce fublime ton

Et qui ? La Motte, & tel autre genie
Qui de la Lyre a conçu l'harmonie ;
Et n'allons pas, Poëtes croaffans,
De leurs concerts troubler les doux accens.
De nos François, je ne fçaurois m'en taire,
C'eft la folie & l'écüeil ordinaire :

Si dans un genre un Auteur réüffit,
D'imitateurs un nuage groffit;

Vous les voyez bientôt, quoi qu'il en coûte,
En vrais moutons fuivre la même route,
Entrer en lice, & courant au hazard
Le difputer prefque aux Maîtres de l'art.
Depuis le tems, La Motte, que ta plume
Sçut nous donner d'Odes un beau volume,
Combien d'Auteurs s'attribuant tes droits
Au ton de l'Ode ont ajusté leurs voix ?

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