Imágenes de páginas
PDF
EPUB

temps. Il n'eft pas bien de mettre le Lecteur dans la neceffité de confulter les anciens DiElionaires François pour entendre ce qu'on lui dit: ceux qui croyent être Marotiques en employant des termes furannez & aujour d'huy inintelligibles, fe trompent felon moy, &je leur dirois volontiers ce qu' Armande dit à fa fœur dans les Femmes Sçavantes de Moliere au fujet de leur mere :

Et ce n'eft point du tout la prendre pour modele,

Ma fœur, que de touffer & de cracher comme elle.

Ce n'est point non plus prendre pour modele
Marot, que d'affecter des termes vieillis
qu'il a employez dans fon temps, parce qu'ils
avoient cours alors, mais qu'il fe donneroit
I
bien de garde d'employer aujourd'huy que l'u
fage les a en quelque forte dégradez, L'Au-
teur de votre Recüeil a bien marqué dans
fon Apologie à quoy il s'en tenoit fur cela,
lorfqu'il dit en parlant de cet ancien Poète
François :

Et fi j'en ay quelque chofe herité,
C'eft un vernis de fa naïveté.

Entre celles de ces pieces qui n'ont jamais été imprimées, la nouvelle Eve eft une des meilleures,

meilleures, & qui fuffiroit feule pour faire rechercher votre Edition; car cette piece ef bien plus rare que les autres, & je ne fçais comment vous avez pû l'avoir. L'Auteur y fait voir, auli-bien que dans l'Epitre fur les patez & dans la piece adreẞée à M. le Dauphin au fujet de fon avanture avec le petit de Brancas, que l'art de narrer n'est pas un de fes moindres talens. Il paroit n'ètre pas moins entendu à donner une loüange fine & délicate. Celles qu'il fait entrer dans fes vers font prefque toujours indirectes, & Je rencontrent fi naturellement far fon chemin, que quelque peine que notre malignité naturelle nous faffe trouver à entendre loüer autruy, on lui pardonne aisement celles qui lui échapent ; je dis qui lui échapent, parce qu'il les place fi à propos &avec tant d'art, qu'elles femblent veritablement lui échaper.

Mais je ne m'apperçois pas que le goût que je me fens pour cet Auteur, & l'envie que j'ay que vous imprimiez le Recueil que vous avez de fes pieces, me fait allonger ma Lettre plus que je ne le voulois. Ainfi fans entrer fur cela dans un plus grand détail je vais finir en vous faisant le caractere de fes Ouvrages, du moins tel que je l'ay conçu.

[ocr errors]

Je

font

Je vous diray donc que les pensées en juftes & vraies, communes pour communes pour le fonds, mais toujours expofees fous des jours qui leur donnent un air de nouveauté & quelque chofe de piquant; jufques-là que les proverbes les moins relevez y font mis en œuvre, & enchaffez fi agréablement, que loin de choquer, ils y font une beauté. Ce que j'aime encore dans ces pieces, c'est que l'Auteur y parle toûjours raifon, & que ce qu'il dit dans fes vers eft fi fenfe, & même fi moral, que quand ce feroit de la profe, l'efprit ne laifferoit pas d'être content ; j'appuye d'autant plus volontiers fur ce point, qu'il me paroît que plufieurs de nos Poëtes pechent par cet endroit, & que quand on vient à examiner. le fond de leurs pieces, & à les dépouiller des ornemens que la cadence, la rime & la magnificence des termes leur prètent, elles ne peuvent prefque plus fe foûtenir. Celles-cy. au contraire ayant tout ce qu'il faut pour fe foutenir d'elles-mêmes, font d'ailleurs embellies par une verfification aifee, naturelle coulante, accommodée au fujet, & par une fécondité, une recherche, une délicatesse, une netteté d'expreffion, & fi j'ofe le dire, une legereté de pinceau qui plait infiniment.

ē Mais

Mais ce qui fait le principal agrément des Ouvrages de cet Auteur, c'est l'enjouëment qui y domine, & perfonne de ce côté-là n'a mieux profité de la leçon qu'a donné feu M. Defpreaux dans fon Art Poëtique, quand il a dit:

Imitez de Marot l'élegant badinage. Il l'imite effectivement dans fes vers, mais avec une nobleffe & une dignité qu'il fait répandre jufques fur les chofes qui en paroiffent le moins fufceptibles, & en même temps avec une difcretion, une réferve & une retenuë qu'on ne fçauroit affez eftimer. Aussi puis-je vous dire par avance, qu'un des endroits qui fera le plus rechercher ces pieces, eft l'agrément innocent qui y regne ; c'eft en effet un des genres de Poëfie qui nous manque le plus. La plupart des Poëfies enjoüées que nous avons font pour l'ordinaire fi licentieufes, qu'il y a toujours beaucoup de danger à les lire, & on aime mieux fe priver du plaifir qu'elles pourroient faire, que de s'expofer à en courir les rifques; c'est ce qu'on n'aura point à craindre dans celles-cy, qui d'ailleurs font pleines d'un enjouement infini, &fort capables de plaire aux honnêtes gens. Je finiray par-là, Monfieur, en vous affu

rant

rant que quelque longue que foit ma Lettre, je ne regreteray pas le temps qu'elle m'a coûté, fi vous vous déterminez, comme je l'ef pere, à l'Edition que je vous confeille, & à laquelle je voudrois pouvoir vous forcer.

Voilà ce que m'écrivit l'Ami dont j'ay parlé, & ce qui me détermina à l'impreffion de ce Recueil. Je fouhaite, pour le fuccès de cette Edition, que le Public foit aulli favorablement prévenu que lui en faveur des pieces que je lui donne. Quoique je n'ignore pas qui en est l'Auteur; mon Ami ayant affecté de ne le point nommer dans la longue Lettre qu'il m'a écrite fur fes Ouvrages, j'ay crû que je lui devois le même égard'; s'il me veut du mal de n'avoir pas pris pour moy ce qu'il dit à M. Eftienne dans la piece qui a pour refrein:

Monfieur Eftienne, bé! ne m'imprimez pas, il me fçaura gré du moins de l'attention que j'ay eue à ne le point défigner, & à ne le faire paroître qu'incognito.

J'aurois voulu pouvoir mettre l'Extrait Latin qui fuit, auffi-bien que fa tra

ĕ ij

duc

« AnteriorContinuar »