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138.-180

& fucceffeur d'Adrien, à condition toutefois, qu'il adopteroit auffi-tôt le plus jeune. Ainfi les deux Antonins gouvernèrent le monde pendant près d'un demi-fiècle, avec le même efprit de modération & de fagesse.

Antonin-le-Pieux avoit deux fils (1); mais il préféroit Rome à fa famille. Après avoir donné fa fille Faustine en mariage au jeune Marcus, il engagea le Sénat à lui accorder les dignités de Proconful & de Tribun; enfin, toujours occupé du bien public, & incapable d'aucune jaloufie, il l'affocia, par un noble défintéreffement, à tous les travaux de l'administration. De fon côté, Marc-Aurèle refpecta son bienfaiteur le chérit comme un père, & lui obéit comme à fon Souverain (2); & lorsqu'il

(1) Sans le fecours des médailles & des infcriptions, nous ignorerions cette action d'Antonin-le Pieux, qui fait tant d'honneur à sa mémoire.

(2) Pendant les vingt-trois années du règne d'Antonin, Marc-Aurèle ne fut que deux nuits abfent du

tint feul les rênes de l'État, il s'empressa de marcher fur fes traces, & d'adopter les maximes d'un fi grand Prince. Ces deux règnes font peut-être la seule période de l'Histoire, dans laquelle le bonheur d'un peuple immenfe ait été l'unique objet du Gouvernement.

C'eft avec raison que Titus Antonin Cara@ère & règne d'Antoa été nommé un fecond Numa. Le même nin-le-Pieux. zèle pour la religion, la justice & la paix, caractérisoit ces deux Princes; mais la fituation de l'Empereur ouvroit un champ bien plus vafte à fes vertus. Les foins de Numa fe bornoient à empêcher les habitans groffiers de quelques villages de piller les campagnes & de détruire la récolte de leurs voisins. Antonin, maître de prefque toute la terre, maintenoit l'ordre & la tranquillité dans toutes les parties d'un État immense. Son règne a le rare avantage de ne

Palais, & même à deux fois différentes. Hift. Aug.
D. 25.

De Marc

Aurèle.

fournir qu'un très-petit nombre de matériaux à l'Hiftoire, ce tableau effrayant des crimes, des forfaits & des malheurs du genre humain.

Ce Prince n'étoit pas moins admirable dans fa vie privée; il poffédoit toutes. les qualités qui font le charme de la société; fa vertu fimple & naturelle fuyoit la vanité & l'affectation. Il jouiffoit avec modération de fon rang élevé; &, au milieu des plaifirs innocens (1) qu'il partageoit avec fes concitoyens, la fenfibilité de cette ame bienfaifante fe peignoit, avec une douce majesté, fur un front toujours ferein.

La vertu de Marc-Aurèle Antonin paroiffoit plus auftère & moins naturelle (2). Elle étoit le fruit de l'éduca

(1) Ce Prince aimoit les fpectacles, & n'étoit point infenfible aux charmes du beau fexe. Marc-Aurèle, 1, 16; Hiftoire Augufte, p. 20, 21; Julien, dans les Céfars.

(2) Marc-Aurèle a été accusé d'hypocrifie, & fes. ennemis lui ont reproché de n'avoir point eu cette,

tion, d'une étude profonde, & d'un travail infatigable. A l'âge de douze ans, il embraffa le systême rigide des Stoïciens, dont les préceptes lui apprirent à foumettre fon corps à fon esprit, à faire usage de sa raison enchaîner ses paffions, à confidérer la vertu comme le bien fuprême, le vice comme le feul mal, & tous les objets extérieurs comme des chofes indifférentes (1).

pour

Les Réflexions de Marc-Aurèle, ou

fimplicité qui caractérisoit Antonin-le-Pieux, & même Verus (Hift. Augufte, 6, 34). Ce foupçon nous fait voir combien les talens perfonnels l'emportent, aux yeux des hommes, fur les vertus fociales. Marc-Aurèle lui-même eft qualifié d'hypocrite; mais le fceptique le plus outré ne dira jamais que Céfar fut peut-être un poltron, ou Cicéron un imbécile. L'efprit & la valeur. féduisent bien davantage que l'humanité & l'amour de la justice.

сс

(1) Tacite a peint en peu de mots les principes de l'Ecole du Portique. « Doctores fapientia fecutus eft, » qui fola bona qua honefta, mala tantùm que turpia ; potentiam, nobilitatem, cateraque extrà animum, neque bonis, neque malis adnumerant » Hist. IV, S.

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vrage compofé dans le tumulte des camps, font venues jufqu'à nous. Il est vrai que ce Prince, oubliant quelquefois la modeftie du Sage & la dignité d'un Empereur, ne dédaignoit pas de donner au Public des leçons de philofophie (1); mais en général fa vie est le commentaire le plus noble qui ait jamais été fait des principes de Zénon. Sévère pour lui-même, Marc-Aurèle étoit rempli d'indulgence pour les foibleffes des autres; il diftribuoit égale ment la justice, & se plaifoit à répandre fes bienfaits fur tout le genre humain; il déplora la perte d'Avidius Caffius qui avoit excité une révolte en Syrie, & dont la mort volontaire lui enlevoit le plaifir de fe faire un ami; il montra combien fes regrets étoient fincères, par

(1) Avant fa feconde expédition contre les Germains, il donna, pendant trois jours, des leçons de Philofophie au peuple Romain. Il avoit déjà joué le même rôle dans les villes de Grèce & d'Afie. Hiftoire Augufte in Caffio, C. 3.

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