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Misère particulière aux

le règne des tyrans.

qui fe déclara l'ennemie de la vertu & du talent.

Tant que ces monftres tinrent les Romains fous rênes de l'État, deux circonstances particulières vinrent encore aggraver la fervitude des Romains, & rendirent leur pofition bien plus affreuse que celle des victimes de la tyrannie dans tout autre fiècle & dans toute autre contrée : l'une étoit le fouvenir de leur ancienne liberté, l'autre l'étendue de la Monarchie. Ces causes produifirent la fenfibilité exceffive des opprimés, & l'impoffibilité où ils se trouvoient d'échapper aux pourfuites de l'oppreffeur.

desOrientaux.

Infenfibilité I. Lorsque la Perse étoit gouvernée par les defcendans de Sefi, Princes barbares, qui faifoient leurs délices de la cruauté, & dont le divan, le lit & la table étoient tous les jours teints du fang de leurs favoris, on rapporte d'un jeune courtisan, qu'il ne fortoit jamais de la présence du Monarque, fans effayer fi fa tête étoit encore fur fes épaules.

Une expérience journalière juftifioit le fcepticifme de Rustan(1): cependant il paroît que la vue de l'épée fatale ne troubloit point fon fommeil, & n'altéroit en aucune manière fa tranquillité. Il favoit que le regard du Souverain pouvoit le faire rentrer dans la pousfière; mais un éclat de la foudre, une maladie fubite, n'étoient pas moins funestes. La sagesse ne commandoit-elle pas de détourner les regards de dessus les malheurs inévitables de la vie humaine, pour se livrer entièrement aux plaifirs qui en font le charme? Ruftan fe glorifioit d'être appellé l'efclave du Roi. Vendu peut-être par des parens obfcurs dans un pays qu'il n'avoit jamais connu, il avoit été élevé dans la difcipline févère du férail (2): fon nom, fes

(1) Voyages de Chardin en Perfe, vol. III, p. 293. (2) L'ufage d'élever des efclaves aux premières dignités de l'Etat, eft encore plus commun chez les Turcs. que chez les Perfes. Les miférables contrées de Géorgie & de Circaffie donnent des Maîtres à la plus grande partie de l'Orient.

richeffes, fes honneurs étoient autant de préfens d'un Maître qui pouvoit, fans injustice, les lui retirer. L'éducation qu'il avoit reçue, loin de détruire ses préjugés, les imprimoit plus fortement dans fon ame: la langue qu'il parloit n'avoit de mot pour exprimer une conftitution, que celui de Monarchie abfolue. Il lifoit dans l'histoire de l'Orient, que cette forme de gouvernement étoit la feule que les hommes euffent jamais connue (1). L'Alcoran & les commentaires facrés de ce livre divin lui enfeignoient que le Sultan descendoit du grand Prophète, & tenoit fon autorité du Ciel même; que la patience étoit la première vertu d'un Musulman, & qu'un -Sujet devoit à fon Souverain une obéiffance fans bornes.

(1) Chardin prétend que les Voyageurs Européens ont répandu, parmi les Perfes, quelques idées de la liberté & de la douceur du gouvernement de leur patrie; ils leur ont rendu un très-mauvais office.

des Romains.

Les Romains avoient reçu pour l'efcla- Esprit éclairé vage des difpofitions bien différentes. Souvenir de Courbés fous le poids de leur corrup-liberté.

leur première

tion,
affervis par la violence militaire,
ils confervèrent long-temps les fenti-
mens de leurs ancêtres ; & le fouvenir
de cette noble liberté dont ils avoient
joui, paroifsoit ne pouvoir être entiè-
rement effacé de leur mémoire. L'édu-
cation d'Helvidius & de Thrafea, de
Pline & de Tacite, étoit la même que
celle de Cicéron & de Caton. Les sujets
de l'Empire avoient puisé dans la phi-
lofophie des Grecs, les notions les plus
juftes & les plus fublimes fur la dignité
de la nature humaine, & fur l'origine
de la fociété civile. L'hiftoire de leur
pays leur inspiroit une vénération pro-
fonde pour cette République, dont la
liberté, les vertus & les triomphes
avoient été fi célèbres. Pouvoient-ils ne
pas frémir au récit des forfaits heureux
de Céfar & d'Augufte? Comment n'au-
roient-ils pas méprifé intérieurement

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1

ils

ces tyrans, auxquels ils étoient obligés de prostituer l'encens le plus vil? Comme Magiftrats & comme Sénateurs étoient admis dans ce Confeil augufte, qui avoit autrefois donné des loix à l'Univers, qui jouiffoit du privilége de confirmer les décrets du Monarque, & qui faifoit indignement fervir fa puiffance aux entreprises méprifables du defpotisme. Tibère, & les Empereurs qui marchèrent fur fes traces, cherchèrent à couvrir leurs attentats du voile de la justice. Peut-être goûtoientils un plaifir fecret à rendre le Sénat complice auffi-bien que victime de leur cruauté. Le mérite n'ofa plus fe montrer. On voyoit tous les jours les Romains les plus illuftres, condamnés pour des crimes imaginaires & pour des vertus réelles leurs vils accufateurs prenoient le langage de zélés patriotes, qui auroient cité devant le tribunal de la Nation un citoyen dangereux. Un fervice aussi important étoit récompenfé par les richeffes

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