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On ignoroit qu'une pauvreté honorable est le feul moyen qui puiffe rendre les foldats modeftes dans la paix, & capables de défendre l'État en temps de guerre. Caracalla, fier & fuperbe au milieu de fa Cour, oublioit avec fes troupes la dignité de fon rang; il encourageoit leur infolente familiarité, & négligeant les devoirs effentiels d'un Général, il affectoit l'habillement & les manières d'un fimple foldat.

Caracalla.
Ann. 217,

8 Mars.

Le caractère & la conduite de Cara- Meurtre de calla ne pouvoient lui concilier ni l'a mour ni l'eftime de fes fujets; mais il n'eut point à redouter les dangers d'une rebellion, tant que fes vices furent utiles aux armées. Une confpiration fecrète, qu'il avoit allumée par fa jaloufie, lui devint fatale. Deux Miniftres partageoient alors la Préfecture du Prétoire. Adventus, brave foldat, mais fans expérience, avoit le département militaire. L'administration civile étoit entre les mains d'Opilius Macrin, qui devoit

cette place importante à fa réputation & à fon habileté pour les affaires. La faveur dont il jouiffoit, varioit felon le caprice du Tyran; & fa vie dépendoit du plus léger soupçon ou de la moindre

circonftance. La méchanceté ou le fanatisme inspira tout-à-coup un Africain qui paffoit pour être profondément versé dans la connoiffance de l'avenir : cet homme annonça que Macrin & fon fils règneroient un jour fur l'Empire Romain. Le bruit s'en répandit auffi-tôt dans les Provinces; & lorfque le prophète fut envoyé chargé de chaînes dans la Capitale, il soutint, en présence du Préfet de la ville, la vérité de sa prédiction. Ce Magiftrat, qui avoit reçu des ordres précis de rechercher les fucceffeurs de Caracalla, s'empreffa de communiquer cette découverte à la Cour de l'Empereur, qui réfidoit alors en Syrie. Mais, malgré toute la diligence des couriers publics, un ami de Macrin trouva le moyen de l'avertir du danger qu'il couroit. Le

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Prince conduifoit un chariot de courfe lorfqu'il reçut des lettres de Rome. Il les donna fans les ouvrir à fon Préfet du Prétoire, en lui recommandant d'expédier les affaires ordinaires, & de lui. faire enfuite le rapport des plus importantes. Macrin apprit ainfi le fort dont il étoit menacé : réfolu de détourner l'orage, il enflamma le mécontentement de quelques Officiers fubalternes, & se fervit de la main de Martial, Soldat déterminé, qui n'avoit pu obtenir le grade de Centurion. L'Empereur étoit parti d'Edesse pour se rendre en pélerinage à Carrhes, dans un fameux Temple de la Lune : il avoit à fa fuite un Corps de Cavalerie; mais ayant été obligé de s'arrêter un moment fur la route, comme les gardes fe tenoient par refpect à quelque distance de fa perfonne, Martial s'approcha de lui & le poignarda, L'affaffin fut tué à l'instant par un archer Scythe, de la Garde Impériale. Telle fut la fin d'un monftre dont la vie désho

Imitation d'Alexandre.

nora la nature humaine, & dont le règne peut nous donner une idée de la patience des Romains (1). Les Soldats reconnoiffans oublièrent fes vices, ne penfèrent qu'à fa libéralité, & forcèrent les Sénateurs à proftituer la majesté de leur corps & celle de la Religion, en le mettant au rang des Dieux.

Lorfque cet Être divin vivoit parmi les hommes, Alexandre-le-Grand étoit le feul Héros qu'il jugeoit digne de fon admiration. Caracalla prit le nom & l'habillement du vainqueur de l'Afie, forma pour fa Garde une phalange Macédonienne, perfécuta les difciples d'Ariftote, & déploya, avec un enthoufiasme puérile, le feul fentiment qui marquoit quelque estime pour la gloire & pour la vertu. Charles XII, ap:ès la bataille de Nerva & la conquête de la Pologne, pouvoit fe vanter d'avoir

(1) Dion, l. LXXVIII, p. 1312; Hérodien, LIV. P. 168.

égalé la bravoure & la magnanimité du fils de Philippe, quoiqu'il n'eût aucune de fes qualités aimables. Mais l'affaffin de Géta, dans toutes les actions de fa vie, n'a pas la moindre reffemblance avec le Héros de Macédoine ; & s'il peut lui être comparé (1), ce n'est que pour avoir verfé le fang d'un grand nombre de fes amis & de ceux de fon père (2).

(1) Nous ne croyons pas que M. Gibbon foit fondé à dire qu'Alexandre avoit versé le fang d'un GRAND NOMBRE de fes amis & de ceux de fon père. Voyez comme l'Auteur de l'Efprit des Loix parle de ce Héros. «Il fit deux mauvaises actions: il brûla Perfé

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polis, & tua Clitus. Il les rendit célèbres par fon repentir; de forte qu'on oublia fes actions crimi»nelles, pour fe fouvenir de fon refpect pour la » vertu ; de forte qu'elles furent confidérées plutôt » comme des malheurs que comme des chofes qui » lui fuffent propres ; de forte que la Poftérité trouvé » la beauté de fon ame prefqu'à côté de ses empor» temens & de fes foibleffes; de forte qu'il fallut le plaindre, & qu'il n'étoit plus poffible de le haïr » Liv. x, c. 14. Note du Traducteur.

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(2) La paffion de Caracalla pour Alexandre paroît

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