Mon fils, a répondu le vieillard, je te rapporte ta bourse : reprends ton argent; je veux vivre de mon métier : je meurs d'ennui depuis que je ne travaille plus. Hé bien ! mon père, a répliqué Francillo, retournez au village, continuez d'exercer votre profession; mais que ce soit seulement pour vous désennuyer. Remportez votre bourse, et n'épargnez pas la mienne. Eh! que veux-tu que je fasse de tant d'argent? a repris maître Jacques. Soulagez-en les pauvres, a reparti le banquier; faites-en l'usage que votre curé vous conseillera. Le savetier, content de cette réponse, s'en est retourné à Mediana. Don Cleophas n'écouta pas sans plaisir l'histoire de Francillo; et il allait donner toutes les louanges dues au bon cœur de ce banquier, si dans ce moment même des cris perçants n'eussent attiré son attention. Seigneur Asmodée, s'écria-t-il, quel bruit éclatant se fait entendre? Ces cris qui frappent les airs, répondit le Diable, partent d'une maison où il y a des fous enfermés : ils s'égosillent à force de crier et de chanter. Nous ne sommes pas bien éloignés de cette maison; allons voir ces fous tout à l'heure, répliqua Leandro. J'y consens, repartit le Démon : je vais vous donner ce divertissement, et vous apprendre pourquoi ils ont perdu la raison. Il n'eut pas achevé ces paroles, qu'il emporta l'écolier sur la casa de los locos. AMBULLO parcourut d'un air curieux toutes les loges; et après qu'il eut observé les folles et les fous qu'elles renfermaient, le Diable lui dit : Vous en voyez de toutes les façons; en A voilà de l'un et de l'autre sexe; en voilà de tristes et de gais, de jeunes et de vieux : il faut à présent que je vous dise pourquoi la tête leur a tourné : allons de loge en loge, et commençons par les hommes. Le premier qui se présente, et qui paraît furieux, est un nouvelliste castillan, né dans le sein de Madrid, un bourgeois fier et plus sensible à l'honneur de sa patrie qu'un ancien citoyen de Rome. Il est devenu fou de chagrin d'avoir lu dans la gazette que vingt-cinq Espagnols s'étaient laissé battre par un parti de cinquante Portugais. Il a pour voisin un licencié qui avait tant d'envie d'attraper un bénéfice, qu'il a fait l'hypocrite à la cour pendant dix ans; et le désespoir de se voir toujours oublié dans les promotions lui a brouillé la cervelle; mais ce qu'il y a d'avantageux pour lui, c'est qu'il se croit archevêque dę Tolède. S'il ne l'est pas effectivement, il a du moins le plaisir de s'imaginer qu'il l'est; et je le trouve d'autant plus heureux, que je regarde sa folie comme un beau songe qui ne finira qu'avec sa vie, et qu'il n'aura point de compte à rendre, en l'autre monde, de l'usage de ses revenus. Le fou qui suit est un pupille: son tuteur l'a fait passer pour insensé, dans le dessein de s'emparer pour toujours de son bien: le pauvre garçon a véritablement perdu l'esprit, de rage d'être enfermé. Après le mineur est un maître d'école qui en est venu là pour s'être obstiné à vouloir trouver le paulò post futurum du verbe grec; et le quatrième, un marchand dont la raison n'a pu soutenir la nouvelle d'un naufrage, après avoir eu la force de résister à deux banqueroutes qu'il a faites. Le personnage qui gît dans la loge suivante est le vieux capitaine Zanubio, cavalier napolitain qui s'est venu établir à Madrid. La jalousie l'a mis dans l'état où vous le voyez : apprenez son histoire. Il avait une jeune femme nommée Aurore, qu'il gardait à vue; sa maison était inaccessible aux hommes. Aurore ne sortait jamais que pour aller à la messe, et encore était-elle toujours accompagnée de son vieux Tithon, qui la menait quelquefois prendre l'air à une terre qu'il a auprès d'Alcantara. Cependant un cavalier appelé don Garcie Pacheco, l'ayant vue par hasard à l'église, avait conçu pour elle un amour violent : c'était un jeune homme entreprenant, et digne de l'attention d'une jolie femme mal mariée. |