Imágenes de páginas
PDF
EPUB

patron des marchands, des tailleurs, des bouchers, des boulangers et des autres voleurs du tiers-état. Vous êtes

[graphic][subsumed]

peut-être Belzébuth? dit Leandro. Vous moquez-vous? répondit l'esprit; c'est le démon des duègnes et des écuyers. Cela m'étonne, dit Zambullo, je croyais Belzébuth un des plus grands personnages de votre compagnie. C'est un de ses moindres sujets, repartit le démon. Vous n'avez pas des idées justes de notre enfer.

Il faut donc, reprit don Cleophas, que vous soyez Léviathan, Belphegor ou Astarot? Oh! pour ces trois-là, dit la voix, ce sont des diables du premier ordre, ce sont des esprits de cour. Ils entrent dans les conseils des princes, animent les ministres, forment les ligues, excitent les soulèvements dans les états et allument les flambeaux de la

[graphic]

guerre. Ce ne sont point là des maroufles comme les premiers que vous avez nommés. Eh! dites-moi, je vous prie, répliqua l'écolier, quelles sont les fonctions de Flagel? Il est l'âme de la chicane et l'esprit du barreau, repartit le démon. C'est lui qui a composé le protocole des huissiers et des notaires. Il inspire les plaideurs, possède les avocats et obsède les juges.

[graphic][subsumed]

Pour moi, j'ai d'autres occupations: je fais des mariages ridicules; j'unis des barbons avec des mineures, des maîtres avec leurs servantes, des filles mal dotées avec de tendres amants qui n'ont point de fortune. C'est moi qui ai introduit dans le monde le luxe, la débauche, les jeux de hasard et la chinie. Je suis l'inventeur des carrousels, de la danse, de la musique, de la comédie et de toutes les modes nouvelles de France; en un mot, je m'appelle Asmodée, surnommé le Diable boiteux.

Hé quoi! s'écria don Cleophas, vous seriez ce fameux Asmodée dont il est fait une si glorieuse mention dans Agrippa et dans la Clavicule de Salomon? Ah! vraiment, vous ne m'avez pas dit tous vos amusements; vous avez oublié le meilleur. Je sais que vous vous divertissez quelquefois à soulager les amants malheureux : à telles enseignes, que, l'année passée, un bachelier de mes amis obtint, par votre secours, dans la ville d'Alcala, les bonnes grâces de la femme d'un docteur de l'université. Cela est vrai, dit l'esprit; je vous gardais celui-là pour le dernier. Je suis le démon de la luxure, ou, pour parler plus honorablement, le dieu Cupidon; car les poètes m'ont donné ce joli nom, et ces messieurs me peignent fort avantageusement. Ils disent que j'ai des ailes dorées, un bandeau sur les yeux, un arc à la main, un carquois plein de flèches sur les épaules, et avec cela une beauté ravissante. Vous allez voir tout à l'heure ce qui en est, si vous voulez me mettre en liberté.

Seigneur Asmodée, répliqua Leandro Perez, il y a longtemps, comme vous savez, que je vous suis entièrement dévoué : le péril que je viens de courir en peut faire foi. Je suis bien aise de trouver l'occasion de vous servir; mais le vase qui vous recèle est sans doute un vase enchanté : je tenterais vainement de le déboucher, ou de le briser : ainsi je ne sais pas trop bien de quelle manière je pourrai vous délivrer de prison. Je n'ai pas un grand usage de ces sortes de délivrances; et, entre nous, si, tout fin diable que vous ètes, vous ne sauriez vous tirer d'affaire, comment un chétif mortel en pourra-t-il venir à bout? Les hommes ont ce pouvoir, répondit le démon. La fiole où je suis retenu n'est qu'une simple bouteille de verre, facile à briser. Vous n'avez qu'à la prendre, et qu'à la jeter par terre, j'apparaîtrai tout aussitôt en forme humaine. Sur ce point-là, dit l'écolier, la chose est plus aisée que je ne pensais. Apprenez-moi donc dans quelle fiole vous êtes; j'en vois un assez grand nombre de pareilles, et je ne puis la démêler. C'est la quatrième du côté de la fenêtre, répliqua l'esprit. Quoique l'empreinte d'un cachet magique soit sur le bouchon, la bouteille ne laissera pas de se casser.

Cela suffit, reprit don Cleophas. Je suis prêt à faire ce que vous souhaitez; il n'y a plus qu'une petite difficulté qui m'arrête : quand je vous aurai rendu le service dont il s'agit, je crains de payer les pots cassés. Il ne vous arrivera aucun malheur, repartit le démon; au contraire, vous serez content de ma reconnaissance. Je vous apprendrai tout ce que vous voudrez savoir; je vous instruirai de tout ce qui se passe dans le monde; je vous découvrirai les défauts des hommes; je serai votre démon tutélaire; et, plus éclairé que le génie de Socrate, je prétends vous rendre encore plus savant que ce grand philosophe. En un mot, je me donne à vous avec mes bonnes et mauvaises qualités; elles ne vous seront pas moins utiles les unes que les autres. Voilà de belles promesses, répliqua l'écolier; mais vous autres, messieurs les diables, on vous accuse de n'être pas fort religieux à tenir ce que vous nous promettez. Cette accusation n'est pas sans fondement, repartit Asmodée. La plupart de mes confrères ne se font pas un scrupule de vous manquer de parole. Pour moi, outre que je ne puis trop payer le service que j'attends de vous, je suis esclave de mes serments; et je vous jure, par tout ce qui les rend inviolables, que je ne vous tromperai point. Comptez sur l'assurance que je vous en donne; et, ce qui doit vous être bien agréable, je m'offre à vous venger, dès cette nuit, de dona Thomasa, de cette perfide dame qui avait caché chez elle quatre scélérats pour vous surprendre et vous forcer à l'épouser.

Le jeune Zambullo fut particulièrement charmé de cette dernière promesse. Pour en avancer l'accomplissement, il se hâta de prendre la fiole où était l'esprit; et, sans s'embarrasser davantage de ce qu'il en pourrait arriver, il la

« AnteriorContinuar »