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sa réputation : pour les concilier ensemble , elle
venait du fond de sa province chercher à Ma-
drid un asile contre la médisance : elle fut bien-
tot suivie de celui en faveur de qui elle faisait
le voyage. Que je fus étonnée à la première vi-
site
que

lui rendit son amant! elle vola entre ses bras; sa gravité se changea en une folle vivacité, et le feu de son visage en effaça sur-lechamp la trace des années.

LA CHEMINÉE F. La plaisante dévote!

LA CHEMINÉE E.
Elle aimait avec tout l'emportement imagi-
nable ; aussi ne négligeait-elle rien pour con-
server sa conquête; elle savait parfaitement qu'à
son âge il est permis d'orner la nature et d’em-
ployer quelques artifices.

LA CHEMINÉE F.
De quels artifices pouvait-elle se servir ?

LA CHEMINÉE E.
Je veux dire qu'avec du blanc et du rouge
elle se donnait la couleur qu'elle souhaitait ;
que les parfums, les bains, l'ajustement, tout
était employé : sa toilette durait ordinairement
jusqu'à ce que son amant fût venu, et recom-
mençait dès qu'il était sorti : elle étudiait sans
cesse devant son miroir les différens airs de
langueur ou de vivacité qu'elle devait prendre

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avec son amant; pour les caresses et les complaisances, elle en possédait l'art à merveille.

LA CHEMINÉE F. Avec tout cela il n'était pas possible qu'elle ne se fît point aimer.

‘LA CHEMINÉE E. Elle avait encore d'autres charmes infiniment plus puissans sur le cæur d'un jeune homme : elle était riche, et donnait largement. Or, faudrait avoir l'âme bien dure pour ne pas aimer une femme généreuse, mais les jours de l'homme sont comptés. Lorsque ces deux amans étaient au comble de leurs plaisirs, le cavalier tomba malade, et mourut en peu de temps, malgré tous les secours que les plus expérimentés médecins purent apporter.

LA CHEMINÉE F. Son amante en fut extrêmement touchée, sans doute?

LA CHEMINÉE E.
Oui : elle pleura, reprit son air composé,
et retourna édifier sa province par ses exem-
ples. Ma chambre ne fut pas vide long-temps ;
elle fut aussitôt habitée par une autre femme
dont la profession était de faire des mariages.

LA CHEMINÉE F.
Voilà un plaisant métier.

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LA CHEMINÉE E: C'est un métier très-commun. Ces sortes de négociations demandent de l'adresse, et la bonne dame n'en manquait pas : elle faisait les propositions, facilitait les entrevues , et souvent menait à fin l'aventure. Combien de contrats se sont fabriqués sous mon manteau ! Elle avait le talent de faire passer pour très-riche le plus mince Gascon, et donnait du lustre à la vertu la plus équivoque.

LA CHEMINÉE F.
L'admirable femme!

LA CHEMINÉE E. Tout cela n'était pour elle qu'un jeu : elle aurait trompé toutes les expertes. Aussi fit-elle fortune dans cette adroite profession; mais elle s'avisa d'avoir des scrupules , et les poussa si loin, qu'elle crut devoir aller cacher dans un cloître la honte de sa vie passée : c'est ainsi que la dévotion me fit perdre cette habile négociatrice.

LA CHEMINÉE F. Heureusement votre indifférence naturelle vous empêcha de la regretter.

LA CHEMINÉE E. Cela est vrai : cependant, après elle , j'eus long-temps des personnages très-communs , comme des plaideurs, des plaideuses, gens

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fort ennuyeux, ou des provinciaux que la curiosité seule amenait à Madrid, et qui s'en retournaient chez eux sans avoir rien vu qu'en perspective. Mais il est tard, ma voisine, je vous souhaite le bon soir; je vous achèverai une autre fois les portraits des originaux que j'ai vus à mon foyer.

LA CHEMINÉE F. Adieu, ma chère voisine ; je vous ferai souvenir de la parole que vous me donnez.

FIN DES ENTRETIENS.

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