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mais,

rise. Je viens d'enfanter des vers................., que dis-je, je viens! c'est Apollon lui-même qui me les a dictés : si j'étais à Paris, j'irais les lire aujourd'hui de maison en maison; j'attends qu'il soit jour pour en aller charmer monsieur notre ambassadeur, aussi bien que tous les Français qui sont à Madrid. Avant que je les montre à personne, je veux vous les réciter.

Je vous remercie de la préférence, a répondu l'auteur comique en bâillant de toute sa force : ce qu'il y a de fâcheux, c'est que vous prenez mal votre temps; je me suis couché fort tard : le sommeil m'accable, et je ne réponds pas que j'entende, sans me rendormir, tous les vers que vous avez à me dire. Oh! j'en réponds bien, moi, a repris le poète tragique : quand vous seriez mort, la scène que je viens de composer serait capable de vous rappeler à la vie. Ma versification n'est point un assemblage de sentimens communs et d'expressions triviales que la rime seule soutienne; c'est une poésie mâle qui émeut le cœur et frappe l'esprit. Je ne suis pas de ces poétereaux dont les pitoyables nouveautés ne font que passer sur la scène comme des ombres, et vont à Utique divertir les Africains; mes pièces, dignes d'être consacrées avec ma statue dans la bibliothèque Palatine, ont encore la foule après trente re

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présentations mais venons, ajouta ce poète modeste, venons aux vers dont je veux vous donner l'étrenne.

Voici ma tragédie : La mort de Patrocle. Scène première. Briséis et les autres captives d'Achille paraissent : elles s'arrachent les cheveux et se frappent le sein, pour témoigner la douleur qu'elles ont de la mort de Patrocle. Elles ne peuvent pas même se soutenir; abattues par leur désespoir, elles se laissent tomber sur le théâtre. Vous me direz que cela est un hasardé; mais c'est ce que je cherche. Que les petits génies se tiennent dans les bornes étroites de l'imitation sans oser les franchir, à la bonne heure; il y a de la prudence dans leur timidité pour moi, j'aime le nouveau, et je tiens que, pour émouvoir et ravir les spectateurs, il faut leur présenter des images auxquelles ils ne s'attendent point.

peu

Les captives sont donc couchées par terre. Phénix, gouverneur d'Achille, est avec elles : il les aide à se relever l'une après l'autre ; ensuite il commence la protase par ces vers :

Priam va perdre Hector et sa superbe ville;
Les Grecs veulent venger le compagnon d'Achille,
Le fier Agamemnon, le divin Camelus,
Nestor, pareil aux dieux, le vaillant Eumelus,
Léonte, de la pique adroit à l'exercice,

Le nerveux Diomède, et l'éloquent Ulysse.
Achille s'y prépare, et déjà ce héros
Pousse vers Ilium ses immortels chevaux;
Pour arriver plus tôt où sa fureur l'entraîne,
Quoique l'oeil qui les voit ne les suive qu'à peine,
Il leur dit: Chers Xanthus, Balius, avancez;
Et, lorsque vous serez de carnage lassés,
Quand les Troyens fuyant rentreront dans leur ville,
Regagnez notre camp, mais non pas sans Achille.
Xanthus baisse la tête, et répond par ces mots :
Achille, vous serez content de vos chevaux,
Ils vont aller au gré de votre impatience;
Mais de votre trépas l'instant fatal s'avance.
Junon aux yeux de bœuf ainsi le fait parler,
Et d'Achille aussitôt le char semble voler.
Les Grecs, en le voyant, de mille cris de joie
Soudain font retentir le rivage de Troie.
Ce prince, revêtu des armes de Vulcain,
Paraît plus éclatant que l'astre du matin,
Ou tel que le soleil, commençant sa carrière,
S'élève pour donner au monde la lumière;
Ou brillant comme un feu que les villageois font
Pendant l'obscure nuit sur le sommet du mont.

Je m'arrête, a poursuivi l'auteur tragique, pour vous laisser respirer un moment; car si je vous récitais toute ma scène de suite, la beauté de ma versification, et le grand nombre de traits brillans et de pensées sublimes qu'elle contient, vous suffoqueraient. Remarquez la justesse de cette comparaison : Plus éclatant qu'un feu que les villageois font... Tout le

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monde ne sent point cela; mais vous, qui aveż de l'esprit, et du véritable, vous en devez être enchanté. Je le suis sans doute, a répondu l'auteur comique en souriant d'un air malin; rien n'est si beau, et je suis persuadé que vous ne manquerez pas de parler aussi dans votre tragédie du soin que prenait Thétis de chasser les mouches troyennes qui s'approchaient du corps de Patrocle. Ne pensez pas vous en moquer, a répliqué le tragique. Un poète qui a de l'habileté peut tout risquer : cet endroit-là est peut-être celui de ma pièce le plus propre à me fournir des vers pompeux; je ne le raterai pas, sur ma parole.

Tous mes ouvrages, a-t-il continué sans façon, sont marqués au bon coin: aussi, quand je les lis, il faut voir comme on les applaudit; je m'arrête à chaque vers pour recevoir des louanges. Je me souviens qu'un jour je lisais à Paris une tragédie dans une maison où il va tous les jours des beaux esprits à l'heure du dîner, et dans laquelle, sans vanité, je ne passe pas pour un Pradon : la grande comtesse de Vieille-Brune y était ; elle a le goût fin et délicat; je suis son poète favori. Elle pleurait à chaudes larmes dès la première scène; elle fut obligée de changer de mouchoir au second acte; elle ne fit que sangloter au troisième; elle se

trouva mal au quatrième; et je crus, à la catastrophe, qu'elle allait mourir avec le héros de ma pièce.

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A ces mots, quelque envie qu'eût l'auteur comique de garder son sérieux, il lui est échappé un éclat de rire. Ah! que je reconnais bien, dit-il, cette bonne comtesse à ce traitlà c'est une femme qui ne peut souffrir la comédie; elle a tant d'aversion pour le comique, qu'elle sort ordinairement de sa loge après la grande pièce pour emporter toute sa douleur. La tragédie est sa belle passion : que l'ouvrage soit bon ou mauvais, pourvu que vous Ꭹ fassiez parler des amans malheureux, vous êtes sûr d'attendrir la dame. Franchement, si je composais des poèmes sérieux, je voudrais avoir d'autres approbateurs qu'elle.

. Oh! j'en ai d'autres aussi, dit le poète tragique, j'ai l'approbation de mille personnes de qualité, tant mâles que femelles.... Je me défierais encore du suffrage de ces personnes-là, interrompit l'auteur comique; je serais en garde contre leurs jugemens. Savez-vous bien pourquoi? c'est que ces sortes d'auditeurs sont dis-traits, pour la plupart, pendant une lecture, et qu'ils se laissent prendre à la beauté d'un vers, ou à la délicatesse d'un sentiment : cela suffit pour leur faire louer tout un ouvrage,

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