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ramore,

& que ce n'eft pas avoir le difcernement de la verité, que de la chercher dans de telles fources?

Ne voit-on pas au feul recit de ce difcours, qu'il a plus l'air d'une fable que d'une hiftoire ? On y fait faire au grand Roi une queftion indigne de lui, puifqu'el le fupofe qu'il étoit bien mal informé de l'état des divers peuples de la Grece, lui qui avoit eu tant d'affaires à déméler avec eux. Mais s'il connoiffoit fi peu ces peuples, il y a lieu de croire qu'il connoiffoit encore moins Ariftophane. Et enfin quand il l'auroit connu, il n'auroit pû renir de lui un tel difcours qu'en fe mocquant.

De plus le caractere de ce Poëte fait voir que l'on ne fçauroit guére plus mal ufer de fa raifon, que de croire ce qu'il dit de fon propre merite. Il a trop donné de témoignage de fa débauche & de fon peu de probité, pour meriter la moindre créance, lorfqu'il vante Les vertus. Un homme qui par fon art de tourner en ridicule les chofes les plus par faites, & de faire paroître criminelles les perfonnes les plus innocentes; un homme fi plein de lui-même, qu'il dit aux Atheniens: Que pour laiffer d'eux une bonne opinion à la pofterité, ils lui doivent don

tes,

ner leurs fuffrages, & voir fes comedies avec plaifir; un homme enfin qui a ofé entreprendre de facrifier à fa vengeance le meilleur de fes concitoyens, pourroit bien s'être fait un Dieu de fon propre merite, ainfi qu'il arrive ordinairement aux Poëcomme le dit M. Dacier même dans cette Preface, & par confequent elle abufe de notre fimplicité, lorfqu'elle veut que nous ajoûtions quelque foi aux contes que fait de lui même un pareil fanfaron. D. forte que pour me fervir de l'expreffion de cette Dame, fi de la maniere dont on eft fait aujourd'hui , on n'a pas grande croyance pour tout ce recit; fi on ne fait pas un grand cas ni de la perfonne d'un Poëte fi diffolu, ni de fes comedies qui font pleines d'obscenitez, c'eft une marque qu'on a le goût bon, qu'on a l'efprit regle fur les loix de l'ordre, de la juftice, de l'humanité & de la pudeur.

V I.

Voici un trait qui encherit encore fur tout ce que nous avons raporté. M. Dacier dir que le peuple d'Athenes étoit beau coup plus fage que d'autres que l'on connoît, parce qu'il fouffroit qu'Aristophane entreprit de le défabufer de fes juperfitions, en lui découvrant fur le theatre les

friponneries & les abus de fes Prêtres. Jene fçay fielle pouvoit dire quelque chofe qui marquât mieux, combien fon efprit eft peu d'accord avec la raifon. Tous les hommes fages fçavent que rien ne blesse l'ordre plus vifiblement, que de parler pu bliquement contre la reputation des perfonnes, mais fur tour de celles qui par la confideration de leur dignité & de leur miniftere, doivent être refpectées des peuples.

Ciceron, comme nous l'avons deja vû, ne veut pas que dans une Republique bien reglée aucun homme puiffe être noté par un Poëte. 11 raporte même une loi des douze tables, qui défendoit de bleffer la repuration d'autrui par des vers injurieux, cette loi en fait un crime capital. Void fes paroles, elles meritent d'être raportées en original: Tabula cùm per paucas res s. Aug. capite fanxiffent, in his hanc quoque fan- de civit, ciendam putaverunt, fi quis eccentaviffet, five carmen condidiffet, quod infamiam faceret, flagitiumve alteri. Nous avons dans le Digefte, dans le Code & dans nos Ordonnances, plufieurs loix femblables à celle des douze tables. Ciceron fait voir la juftice de cette loi, en difant qu'il fauc accufer les hommes devant leurs Juges & dans les tribunaux publics, où ils

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fe defendre, s'ils font injuftement accufez, & non fur le theatre & par des fatyres, contre lesquelles il n'y a point de défenfes legitimes. Combien cela fe doit-il moins fouffrir à l'égard des Prêtres que l'on eft obligé de refpecter beaucoup plus que les autres citoyens? Parmi les Chrêtiens la difcipline de l'Eglife marque l'ordre que l'on doit garder dans leur corretion. Mais quand les circonftances des choles empêchent que l'on ne puiffe fuivre cet ordre, l'honneur, la fainteté de leur caractere, & la charité veulent que l'on cache leurs défauts

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S'il eft donc vrai que les peuples que connoît M. Dacier, n'aiment pas qu'on les entretienne des fautes de leurs Prêtres ils font en cela paroître beaucoup plus de fageffe & de religion, que celui d'Athenes. Et on ne fçauroit les en blâmer, fans donner à entendre que l'on fe plaît dans la médifance & dans la fatyre. Or il n'eft rien qui convienne moins avec l'ordre & la juftice, & qui foir moins raisonnable que ce plaifir.

Ce que je dis eft fi vrai, il eft tellement des regles de la bonne police, que M. Dacier en reconnoît elle même la verité. Puifque dans fa Preface elle parle d'une loi des Acheniens, qui ordonnoit que l'on

reprît en particulier les hommes de leurs fautes, & que l'on tâchât de les corriger, avant que de les diffamer. C'est le precepte que nous donne Jesus-Chrift lui-même. Et cette loi des Atheniens eft une preuve que le Sauveur ne nous en donne point qui ne foit conforme à la raifon & à la juftice naturelle. La loi des douze tables dont je viens de parler, avoit fans doute été tirée de celle des Atheniens. M.Dacier allegue cette loi, pour faire voir qu'Ariftophane ne s'étoit abandonné à perfecuter la vertu dans la perfonne de Socrates, que par un efprit de vengeance & non par aucun interêt. Cette diftinction fait affeurément beaucoup d'honneur à Ariftophane; & le voila bien juftifié d'avoir fait rir Socrates, de ce qu'il ne l'avoir pas fait par avarice, mais par vengeance. Le grand homme de bien ! mais qui peut comprendre comment elle allegue cette loi pour faire une pareille preuve ?

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Voici comme elle s'y prend: Socrate étoit choqué de la trop grande licence de la comedie; comme il était pieux, charitable & jufte, il ne pouvoit fouffrir que l'on déchirat ainfi ouvertement la reputation de fes concitoyens, & qu'on violât impunément un article de leurs loix, qui ordonnoit que l'on reprît en particulier les

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