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faire fentir par la difference de fon ftile, qu'il juge differemment des actions des uns & des autres.

11 dit par exemple: Que tous les hommes étant affujettis au travail, Dieu touché de compaffion de leur mifere, leur ordonna des feftes, afin qu'en fe délaffant de toutes lurs peines, ils lui offriffent des facrifices pour le remercier des biens qu'ils. avoient reçus de fa bonté. Il ajoûte; que c'est une verité que les payens mêmes ont reconnue, que non feulement ils ont imité ces feftes, mais qu'ils en ont parlé comme d'un don des Dieux, qui en leur accordant des temps de repos, exigeoient des marques de leur reconnoiffance. Voila (dit-il encore enfuite) quelles furent les feftes des premiers hommes: ils s'affembloient en certains temps, fur-tout en Automne aprés la recolte de leurs fruits, pour se réjouir & pour en offrir à Dieu les premices; ce qui donna la naissance à la poëfie. Car les hommes étant naturellement portez à l'imi tation & à la musique, employerent ces talens à chanter les louanges du Dien qu'ils adoroient, dont ils celebroient les a

tions les plus memorables.

Je ne dirai rien de l'efprit d'imitation felon lui, qui a donné lieu aux hymnes & aux cantiques, ce qui n'a point de

fondement. Mais étoit-il permis à un Auteur chrétien de rapporter du même stile & du même ton ce que l'efprit de religion infpiroit aux vrais ferviteurs de Dieu, & ce que l'efprit d'erreur infpiroit aux adorateurs des demons? Devoir-il dire que les payens avoient reconnu la verité de l'inftitution des feftes en l'honneur du vrai Dieu, parce qu'ils en avoient celebré de femblables en l'honneur des idoles ? Devoit-il confondre les feftes des payens avec celles du peuple de Dieu, & attribuer indifferemment aux hymnes des uns & des autres l'origine de la poefie; Cette broüillerie cft certainement trés-indigne d'un critique de ce caractere, dont les idées doivent toûjours être nettes, & les fentimens ju

ftes.

Mais ce qui eft merveilleux, c'eft qu'aprés avoir attribué dans cette Preface la naiffance de la poefie à la religion, il l'attribue à la joye & à la débauche dans fes Remarques fur le ch. 4. d'Ariftote, où il dir: Que la poëfie étant née dans les assemblées que les premiers hommes, qui étoient tous bergers on laboureurs, faifoient en l'honneur des Dieux aprés leurs vendanges, elle n'étoit pas l'effet de la préparation x mais celui de la nature excitée par la joye & par le vin qu'en un mot les impromptu

furent la premiere ébauche de la poësie. Si c'eft la religion qui a produit les premiers vers, les impromptu n'en fçauroient avoir été la premiere ébauche, parce que ce qui fe fait par le mouvement de la religion, ne vient point du hazard, ni d'un efprit échauffé par le vin, mais d'un efprit tranquille éclairé & plein de reconnoiffance pour les bontez de Dieu.

Mais je pourrai montrer ailleurs que dans tout cet ouvrage il n'y a rien de jufte ni fur l'origine de la poëfie, ni fur ce qui lui appartient, ni fur ce qui la corrompt & la défigure, ni fur fon ufage legitime & l'abus qu'en font les hommes. C'eft ainfi qu'on écrit, quand on fe propofe, non. de chercher la verité, mais de défendre Les préjugez; plus on a de fcience & d'ef prit plus on s'embarraffe, & moins on parle confequemment & jufte.

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XIX.

C'étoit donc dans les poëtes facrez & dans la vraye religion que le fçavant Auteur du Poëme épique devoit en chercher la conftitution & les regles, au-lieu de s'arrêter à Ariftote & à Horace ; c'étoit là qu'il en devoit puifer les exemples, & non pas dans Homere & dans Virgile. A la verité, s'il avoit écrit pour des payens, ces

autoritez lui auroient fuffi; mais écrivant pour des chrétiens, il devoit aller à des fources plus pures & à des Ecrivains plus

autori fez.

Ces anciens même trouveroient étrange que nous les priffions pour nos maîtres, nous qui en avons de feurs & d'infaillibles; que nous cherchaffions les regles du bon & du beau, dans des ouvrages, où l'on ne trouve pas les ni vrayes vertus, par confequent les vrayes beautez, parce que ces Auteurs n'ont point connu les principes de la verité, ni les veritables fentimens de la nature. Ils ont pris fes maladies pour elle, c'eft à-dire les paffions; & au lieu de la guerir, ils n'ont travaillé qu'à la rendre plus malade.

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Combien Homere & Virgile feroientils étonnez, s'ils fçavoient ce que le R.P. le Boffu leur donne d'efprit, de délicateffe, de vûës & de deffeins dans la compo. fition de leurs ouvrages? Ils admireroient bien plus l'intelligence & la fcience de ce Pere que la leur.

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Ariftote & Horace ne le feroient pas moins de voir que nos poëtes déferent aveuglément à leur autorité; & qu'ils ont pour eux autant de refpect, que s'ils avoient été infpirez pour la compofition de leurs ouvrages. Le P. le Boffu, M. Defpreaux

Pag Jr.

& M. Dacier pouvoient prendre ce qu'il y a de bon dans les uns & dans les autres, foit pour les preceptes, foit pour les exemples; mais ils ne devoient pas nous donner leurs réveries au fujet de la fable pour des maximes feures, & pour des preceptes tirez du fond de la nature, comme ils ofent le foûtenir.

Ce Pere fait une diftinction des mufes fuiv. qui eft contre lui, & qui prouve ce que je dis. Il y a (dit-il) des mufes chrétiennes comme des payennes ; il y en a de Grecques, de Latines & de Françoifes ; mais un chrétien & un François ne doit cultiver de ces mufes les chrétiennes & les Françoique fes, il doit laiffer les autres aux payens, aux Grecs & aux Romains. C'eft ainfi qu'en jugeroient les Auteurs de l'autorité defquels ce Pere fe fait une loi ; & c'est ce que la raifon fera connnoître à tous ceux qui feront capables de la confulter, &.de bien étudier la nature. Ils ne prendront point pour la nature, ce qui la corrompt & la déshonnore.

XX.

Ces veritez étant donc fuppofées, pour avoir des juftes idées de l'art poëtique, & en découvrir l'ufage legitime, il faut fe défaire des fauffes imaginations des payens

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